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Chapitre 2 : La diffusion d’une norme participative en France et en Allemagne France et en Allemagne

A) La mise en scène du pouvoir mayoral

2) Un pouvoir mayoral accru en France et en Allemagne

Nous observons en Europe une tendance à la construction de leaderships locaux légitimés par le suffrage universel. L’espace local est redéfini à partir d’une personnalisation du pouvoir politique1 et l’affirmation du maire en tant que pilier de la démocratie locale2. Comme le soulignent à juste titre Elodie Guérin-Lavignotte et Eric Kerrouche, les maires se trouvent au carrefour d’exigences contradictoires :

« À l’impératif de spécialisation requis par la technicisation croissante des modes de gestion publique locale répond une revendication démocratique et citoyenne de communication qui ne remet pas en cause l’attachement des citoyens à leur territoire, le cas de la commune demeurant emblématique »3.

Il est nécessaire d’examiner la qualification et l’ancienneté des maires en France et en Allemagne pour comprendre si l’expérience locale joue en matière de référendum. Selon les résultats d’une enquête internationale menée sur les maires de communes de plus de 10 000 habitants en Europe en 2003-2004, 8,6% des maires en Allemagne ont un niveau élémentaire à l’école, 28,9% un niveau d’études secondaires, 56,2% ont fait des études supérieures (5,8% n’ont pas répondu) alors qu’en France, 1,1% des maires ont un niveau d’études élémentaires, 16% d’études secondaires, 78,7% d’études supérieures (4,3% sans réponse)4. La complexification des tâches, la maîtrise des rouages juridiques et la professionnalisation des fonctions électives locales expliquent cet écart entre le niveau d’études des maires5 et celui du reste de la population6.

La différence avec l’Allemagne est significative (plus de 20%) et peut s’expliquer par le statut du maire dépendant de la législation de chaque Land, alors qu’en France le travail

1 Hatem M’RAD, 2006, « La démocratie d’opinion le dépassement de la démocratie représentative ? », dans Rafaâ BEN ACHOUR, Jean GICQUEL, Slobodan MILACIC (dir.), Bruxelles, éditions Bruylant, p. 120.

2 Élodie GUÉRIN-LAVIGNOTTE, Éric KERROUCHE, 2006, « Les élus locaux en Europe, un statut en mutation », Paris, La documentation française, p. 21.

3 Ibid., p. 8.

4 Ibid., p. 52.

5 Selon les données de la DGCL rapportées par Michel Koebel, 44,5% des maires de villes de plus de 3 500 habitants proviennent de professions intellectuelles supérieures pour 0,7% d’ouvriers. Michel KOEBEL, 2006, Le pouvoir local ou la démocratie improbable, Bellecombe-en-Bauges, éditions du Croquant, p. 29.

6 Selon les chiffres de l’INSEE en 1999, 17,6% de la population hexagonale a un niveau d’études supérieures.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 132 municipal implique la compréhension des mécanismes de négociations de financement de politiques publiques avec l’État central et des ressources propres au développement local. En Allemagne, 34,4% des maires ont une ancienneté de moins de 11 ans, 40,3% de 11 à 20 ans, 25,3% de plus de 20 ans alors qu’en France, 33,7% des maires ont une ancienneté de moins de 11 ans, 16,9 de 11 à 20 ans et 49,4 de plus de 20 ans1. L’ancienneté des maires est importante en France, car l’enracinement local est une condition sine qua non de la carrière politique et un tremplin pour une visibilité nationale. L’écart est de plus de 24% entre les deux pays pour les maires ayant une ancienneté de plus de 20 ans. Selon les données que nous avons récoltées sur les communes de plus de 5 000 habitants en France, nous avons pu détailler le profil des maires urbains. En effet, à la fin de l’année 2006, 47,6% des maires ont moins de dix années de mandat2, sachant que nous avons distingué la date d’entrée en mairie et la date d’entrée en politique locale. Parmi les informations que nous avions pour 1869 communes, 37,4% des maires ont entre dix et vingt ans de mandat et 15% ont une expérience de plus de vingt ans. Par rapport aux données d’Éric Kerrouche et d’Élodie Guérin-Lavignotte, nous percevons que plus la taille de la commune augmente et plus la longévité du mandat politique est patente. En d’autres termes, le mandat de maire est peu accessible aux nouveaux entrants, la conquête d’une ville nécessitant une expérience et une connaissance

du milieu politique local.

Lorsqu’on établit la répartition socioprofessionnelle des maires français et allemands des communes de plus de 10 000 habitants, on obtient le tableau suivant :

Tableau 11 : Répartition socioprofessionnelle des maires français et allemands (communes de plus de 10 000 habitants) en 2004

Professions France Allemagne

Corps législatifs / cadres supérieurs 27,1 34,7 Professions intellectuelles et

scientifiques 47,3 17

Professions intermédiaires 11,7 37

Employés 10,7 7,8

1 Élodie GUÉRIN-LAVIGNOTTE, Éric KERROUCHE, 2006, « Les élus locaux en Europe, un statut en mutation », Paris, La documentation française, p. 53.

2 Recherche menée avec Julien Dewoghélaëre entre mars et décembre 2006 à l’Institut d’études politiques de Bordeaux sur les 1881 communes de plus de 5 000 habitants.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 133

Autres 3,2 3,5

Source : Élodie GUÉRIN-LAVIGNOTTE, Éric KERROUCHE, 2006, « Les élus locaux en Europe, un statut en mutation », pp. 90-91.

En France, de manière générale, on remarque que le profil des maires urbains est beaucoup plus élitiste qu’en Allemagne. D’autres données portant sur les maires français de communes de plus de 30 000 habitants ont mis en évidence leur haut niveau d’études puisqu’en 2004, 20,5% d’entre eux ont obtenu un doctorat1. En Allemagne, le statut du maire maire varie d’un Land à l’autre, mais la généralisation de son élection au suffrage universel direct permet de renforcer son indépendance par rapport au conseil municipal et de légitimer son pouvoir. En France, les maires sont élus par le conseil municipal au sein d’un troisième tour interne, mais lors des élections, la tête de liste est pressentie pour être le maire en cas d’élection. Là encore, le cumul des mandats est la clé d’interprétation de cet enracinement des pouvoirs locaux, puisqu’une mairie est un bon appui dans la carrière nationale d’un élu. Le mandat local est celui qui justifie une proximité de l’élu avec ses administrés et qui montre une capacité à régler des problèmes concrets. En Allemagne, les élus ne contrôlent pas l’ensemble des opérations référendaires, dans la mesure où l’initiative populaire et en particulier l’initiative réactive sont institutionnalisées. Il n’est donc pas significatif d’analyser le poids de leur ancienneté alors qu’en France, les maires maîtrisent l’ensemble des consultations locales, c’est pourquoi il devient intéressant de savoir si leur ancienneté joue en cas de référendum.

Nous avons voulu, à travers le cas français, montrer si cette ancienneté était un élément déterminant pour le cas des maires qui ont organisé des consultations locales (pour les villes de plus de 10 000 habitants) depuis 1995. Le tableau suivant présente les communes de plus de 10 000 habitants ayant organisé une consultation locale depuis 1995 ainsi que le profil de leur maire en fonction au moment de cette consultation.

1 Éric KERROUCHE, 2005, « Les maires français, des managers professionnels ? », dans Gérard MARCOU, Hellmut WOLLMANN (dir.), La gouvernance territoriale, annuaire 2006 des

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 134

Tableau 12 : Ancienneté des maires des communes de plus de 10 000 habitants ayant connu une situation référendaire en France depuis 1995

Nom de la commune Taille de la commune Nom du maire au moment du référendum local Âge du maire au moment du référendum Etiquette

politique Date du référendum local (*)

Maire

depuis Nombre d’années en tant que maire avant la consultation locale Date d’entrée en politique locale Manosque 1 Honde Robert 54 DVG 13/10/1996 1979 27 1979 Nice 5 Peyrat Jacques 65 DVD 27/11/1996 1995 1 1964 Aubagne1 2 Fontaine Daniel 59 PCF 07/04/2004 2001 3 1980 Berre-l’étang 1 Andréoni Serge 61 DVG 12/02/2001 1989 12 1989 Bouc-bel-air 1 Mallié Richard 50 UMP 15/03/1998 1989 11 1983 Les pennes-mirabeau 1 Amiel Michel 47 PS 12/02/2001 2001 0 1995 Marignane 2 Simonpieri Daniel 50 FN 12/02/2001 1995 6 1995 Bressuire 1 Boutet Claude - DVG 19/12/1999 1975 24 1975 Besançon 4 Fousseret Jean-Louis 55 PS 27/09/2001 2001 0 1983 Briançon 1 Bayrou Alain 45 UMP 06/09/2001 1983 18 1983 Chamonix 1 Charlet Michel 56 DVD 19/08/2001 1983 18 1982 Marmande 1 Gouzes Gérard 56 PS 04/11/1999 1983 16 1977 Cholet 3 Bourdouleix Gilles 42 UMP 26/06/2006 1995 11 1995 Croix 1 Carnois Michel 66 UDF 13/06/1999 1995 4 1995 Hautmont 1 Wilmotte Joël 51 DVD Février 1999 1989 10 1989

Hem 1 Vercamer 51 UDF 13/06/1999 1998 1 1989

1 Dans cette commune, le référendum est d’initiative populaire, il a été organisé par « l’association pour la protection du Garlaban aubagnais ». L’objet de ce référendum est de contester le projet d’urbanisation du maire.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 135 Francis Jeumont 1 Marin Christine 45 UMP 20/06/1996 1995 1 1995 Lambersart 1 Daubresse Marc-Philippe 46 UMP 13/06/1999 1988 11 1983

Marcq-en-Baroeul 2 Lecerf René Jean- 48 UMP 13/06/1999 1994 5 -

Mons-en-Baroeul 1 Wolf Marc 50 PS Décembre 1998 1977 21 1977

Mouvaux 1 Balay Patrick 65 UMP 13/06/1999 1996 3 1983 La Madeleine 1 Dhinin Claude 65 UMP 13/06/1999 1977 22 1976 Roncq 1 Ghesquière Benoît - NI 13/06/1999 1998 1 1998 Saran 1 Guérin Michel - PCF Décembre 1996 1977 19 1977 Wasquehal 1 Vignoble Gérard 54 UDF 13/06/1999 1977 22 1977

Cournon-d’Auvergne 1 Pasciuto Bertrand 50 PS 15/06/2003 2001 2 1998 La

Courneuve 2 Poux Gilles 46 PCF 07/12/2003 1996 7 1996 Les Pavillons-sous-Bois Dallier Philippe 35 UMP 22/06/2003 1995 8 1995 Sevran 2 Gatignon Stéphane 34 PCF 06/12/2003 2001 2 2001 Stains 2 Beaumale Michel 55 PCF Septembre 2003 1996 7 1996 Gaillac 1 Pistre Charles 62 PS 16/02/2003 1995 8 1976 Castelsarrasin 1 Dagen Bernard 57 NI 02/05/1999 1989 10 1988

Moissac Nunzi

Jean-Paul 57 PS 02/05/1999 1983 16 1982 Alfortville 2 Rouquet René 51 PS 12/10/1997 1988 9 1971 Arcueil 1 Breuiller Daniel 46 DVG 05/12/1999 1997 2 1989 Gentilly 1 Joubert Yann 51 PCF 23/11/1997 1997 0 1997 La

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 136 Achères 1 Pierre Soulat - PCF 13/10/1996 1995 1 - Rognac 1 Guillaume Jean-Pierre 55 NI 12/02/2001 2001 0 2001

Saint-Rémy-de-Provence 1 Palix Lucien - UMP 25/04/2004 2001 3 - Sète 2 Liberti

François 49 PCF 18/11/1996 1996 0 1971

Villefranche-de-Rouergue 1 Roques Serge 54 UMP 16/12/2001 2001 0 1989 Vitrolles 2 Mégret

Catherine

47 FN 12/02/2001 1997 4 1997

(*) Seule l’ancienneté des maires en place au moment du référendum local est prise en compte Légende :

Taille des communes 1= entre 10 000 et 30 000 habitants 2= entre 30 000 et 50 000 habitants 3= entre 50 000 et 100 000 habitants 4= entre 100 000 et 200 000 habitants 5= au-delà de 200 000

Source : Recherches personnelles

L’âge moyen des maires de communes de plus de 5 000 habitants est d’environ 60 ans et leur entrée en mairie date en moyenne d’au moins 13 ans, leur entrée en politique locale remonte en moyenne à 17 ans1. Les maires n’organisant pas de consultations locales sont entrés en politique depuis longtemps et ne sont pas très favorables à un usage de ces instruments de participation, sauf lorsque les circonstances sont particulières. Selon les données que nous avons recueillies, entre 1995 et 2004, 101 communes de plus de 5 000 habitants ont connu une situation référendaire. Parmi les maires de ces communes, 15 sont sans étiquette, 35 de droite et 51 de gauche. Parmi les maires ayant organisé une consultation locale, 43 sont entrés en mairie après 2001, ce qui montre que la socialisation de l’élu peut avoir une légère influence sur l’usage de cet instrument. Il est cependant difficile d’en tirer des facteurs explicatifs stables dans la mesure où les cas sont trop peu nombreux et liés parfois à des circonstances exceptionnelles justifiant le recours au référendum local.

1 Enquête quantitative réalisée par Julien Dewoghélaëre et Christophe Premat entre mars 2006 et décembre 2006 à l’IEP de Bordeaux sur 1881 communes.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 137 Depuis les premières lois de décentralisation, les maires ont vu leur pouvoir accru et contrôlent de ce fait l’espace public local, refusant de voir émerger un référendum local décisionnel jugé dangereux pour le système représentatif local alors qu’en Allemagne, l’initiative populaire sert de contrainte au système politique local. Les élus du conseil municipal ont intérêt à adopter des politiques satisfaisant une demande localisée pour éviter le lancement d’une initiative ou pour contrer une initiative émergente. En France, le pouvoir du maire reste fortement centralisé, cette réalité est consolidée par le type de relation spécifique entre l’élu et le fonctionnaire au sein du dispositif local. Le système actuel, basé sur un pouvoir exécutif et législatif centralisé autour de la personne du maire, influe sur l’organisation des collectivités territoriales1. Selon Michel Charzat, maire du XXe arrondissement de Paris,

« Aujourd’hui il est autant de monarques locaux que de collectivités auxquels le suffrage universel transmet démocratiquement le pouvoir. Le maire, particulièrement depuis les grandes lois de décentralisation de 1981 et de 1992, s’apparente à un roitelet local dont l’absolutisme est borné par la législation, à condition qu’il ne s’en émancipe pas, et limité par l’obligation à laquelle il ne peut déroger de remettre périodiquement en jeu son mandat »2. D’autres témoignages mettent en avant le décalage entre la perception du rôle du maire et sa fonction réelle.

« On a cependant tendance à attribuer aux maires plus de pouvoirs qu’ils n’en ont. Surtout, on leur attribue trop le bénéfice de ce qui se fait dans la ville. C’est oublier que ce travail est collectif, qu’y contribuent pour une large part les adjoints et les conseillers. Le personnel communal aussi. Il est vrai que cela dépend de la façon dont le maire travaille et s’il délègue plus ou moins réellement ses pouvoirs aux adjoints […] On prête aussi très souvent aux maires des pouvoirs qu’ils n’ont pas : celui de la police, de délivrer n’importe quel permis de construire, d’expulser, de nommer les instituteurs, quand ce n’est pas de régler les querelles de voisinage. Pour beaucoup de citoyens, le maire, c’est souvent Saint-Louis sous son chêne »3.

Ce témoignage d’un ancien maire communiste vient tempérer la vision d’un maire omnipotent et insiste sur le style donné à l’action politique locale. Si les maires ont vu leurs responsabilités accrues, certains n’hésitent pas à mettre en application une idéologie participative, permettant au conseil municipal et aux habitants de s’impliquer dans la vie

1 Denys LAMARZELLE, 2005, La face cachée de la territoriale, Montreuil, éditions du Papyrus, p. 25.

2 Michel CHARZAT, 1998, Le Paris citoyen, la révolution de la démocratie locale, Paris, éditions Stock, p. 111.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 138 locale. De ce point de vue, les éléments de démocratie directe viennent contrebalancer le présidentialisme municipal en formalisant une demande extérieure qui est prise en considération par les élus et les fonctionnaires territoriaux. Ces contrepouvoirs sont réels si ces mécanismes sont contraignants ; dans le cas inverse, les dispositifs consultatifs ont tendance à légitimer le pouvoir local en présentant le maire comme enclin à la participation des habitants à la vie locale.

B) Vers une homogénéisation des systèmes de démocratie locale en

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