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A) L’institution du référendum local

1) Le statut de la comparaison

Aux débuts de la sociologie, la comparaison permettait de relever la régularité de phénomènes sociaux dans des contextes différents2. John Stuart Mill fut l’un des premiers à définir les différents types de démarche comparative, en distinguant notamment la méthode

de concordance (le même phénomène a lieu dans plusieurs cas), la méthode de différence

(on compare le phénomène avec des cas où il n’apparaît pas), la méthode unie de

concordance et de différence (phénomène aux multiples causes dont il est difficile d’isoler

les effets), la méthode des résidus (explication d’un cas en retranchant toutes les causes sauf une) et enfin la méthode des variations concomitantes3. La comparaison objective une

1 Émile DURKHEIM, 1992, Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, collection Quadrige, 6e édition, p. 137.

2 La comparaison a été d’abord le fruit de tâtonnements empiriques consistant à recueillir les variations culturelles de phénomènes sociaux avant de céder place à des considérations méthodologiques sur son statut. Mattei DOGAN, 2004, « Y a-t-il des paradigmes en science sociale comparative ? », dans Céline THIRIOT, Marianne MARTY, Emmanuel NADAL (dir.), Penser la politique comparée, Paris, Karthala, pp. 19-32.

3 John Stuart MILL, 1880, Système de logique, Paris, Librairie Germer Baillère et Cie, traduction de la 6e édition anglaise, pp. 425-449. Volker SCHNEIDER, Frank JANNING, 2006, Politikfeldanalyse,

Akteure, Diskurse und Netzwerke in der öffentlichen Politik, Wiesbaden, Verlag für

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 41 différence établie pour tenter de comprendre les raisons expliquant l’émergence d’un phénomène dans deux ensembles distincts.

« Comparer deux objets signifie les opposer pour énumérer leurs ressemblances et leurs différences et, par un glissement qui n’est guère évitable, pétrifier les oppositions. On ne peut comparer en effet ce qui n’est pas confondu. Lorsqu’on compare un groupe social en France et en Allemagne, on s’interdit par exemple d’aboutir à la conclusion selon laquelle l’appartenance nationale ne serait nullement un trait pertinent. La comparaison conforte le clivage national et rend problématique sa remise en question »1.

L’enjeu consiste à dépasser le prolongement d’une position subjective nationale qui tendrait à plaquer une définition du référendum et de la démocratie locale sur une autre aire culturelle.

En réalité, nous avons choisi de comparer l’insertion du référendum local dans deux systèmes représentatifs où le phénomène a pris de l’ampleur récemment avec un cas faible, celui de la France où le référendum local est étroitement contrôlé et ramené la plupart du temps à une simple consultation, et un cas où le référendum local a été institué de manière rigoureuse avec des conditions spécifiques définies par les gouvernements des Länder. Depuis le début des années 1990, le référendum local a subi une reformulation de ses caractéristiques au sein des systèmes représentatifs locaux européens.

D’une part, l’Europe a vu la chute des régimes communistes et l’apparition de régimes représentatifs nouveaux et d’autre part la problématique participative a acquis une visibilité rendant actuelle la discussion sur l’introduction de mécanismes de démocratie directe. C’est également l’époque où les systèmes ont accentué leur décentralisation territoriale, valorisant le rôle des communes et des provinces2. L’Allemagne, depuis la Réunification, a vu progressivement les législations des Länder inclure le référendum local avec des conditions juridiques très diverses3. En fait, l’introduction des éléments de démocratie directe était destinée à accompagner le processus de transition démocratique dans les nouveaux Länder et à approfondir la transformation opérée de l’État-Nation allemand4. Cette inclusion s’explique

1 Michel ESPAGNE, 1999, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, p. 36.

2 Luigi BOBBIO, 2002, I governi locali nelle democrazie contemporanee, Bari, éditions Laterza, pp. 50-55.

3 Jürgen FIJALKOWSKI, 2002, « Zum Problem direkt-demokratischer Beteiligung », in Dieter FUCHS, Edeltraud ROLLER, Bernhard WEβELS (Dir.), Bürger und Demokratie in Ost und West,

Studien zur Politischen Kultur und zum Politischen Prozess, Wiesbaden, Westdeutscher Verlag, p.

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Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 42 en partie par le mécontentement des électeurs vis-à-vis des partis traditionnels, bien que cette affirmation soit à nuancer. En effet, selon Jürgen Maier, entre 1978 et 1996, le changement des facteurs idéologiques et politiques n’a qu’une influence limitée sur le changement de l’attitude par rapport aux partis politiques1. En revanche, l’abstention et les suffrages confiés à des partis non établis accusent l’érosion des partis politiques traditionnels. La corrélation entre l’évaluation des partis politiques et le degré de satisfaction à l’égard du système démocratique est plus forte dans les Länder de l’Ouest entre 1991 et 1992 qu’entre 1990 et 1991. Moins les électeurs sont satisfaits du fonctionnement des institutions représentatives, plus ils ont un jugement négatif sur les partis politiques. La méfiance s’est également reportée sur les institutions politiques locales. Dans les nouveaux Länder, les attitudes à l’égard des institutions et des partis sont beaucoup plus stables pour la même période2. C’est à la lumière de ce changement qu’il faut interpréter le renouveau des législations locales en Allemagne3, sachant que pour les nouveaux Länder, le changement de cadre institutionnel avec l’adoption d’une libre administration des communes explique que la méfiance fût moins prononcée au début des années 1990. La France, dans le même temps, a réintroduit le référendum local sous la forme d’une consultation avant d’inclure récemment la possibilité du référendum décisionnel. L’étude plus complète et précise de la généalogie de la mise en place du référendum local sera l’objet de la deuxième partie, il s’agit ici de préciser la portée de la méthode comparative.

L’évolution des valeurs des citoyens est à prendre en compte dans l’institutionnalisation de ces procédures qui correspondent à une défiance vis-à-vis d’une autorité politique jugée trop fermée et à une volonté d’autonomie. Selon Ronald Inglehart, le changement culturel dû à la post-modernité se traduit par une érosion du respect pour l’autorité et dans le même temps un soutien croissant aux institutions démocratiques4. Une comparaison entre les contextes

1 Jürgen MAIER, 2000, Politikverdrossenheit in der Bundesrepublik Deutschland, Opladen, Leske + Budrich, p. 211.

2 En allemand, on parle de Parteienverdrossenheit pour qualifier la méfiance à l’égard des partis politiques. Ibid., p. 255.

3 Lars HOLTKAMP, Jörg BOGUMIL, Leo KIβLER, 2006, Kooperative Demokratie, Das politische

Potenzial von Bürgerengagement, Frankfurt, New York, Campus Verlag, pp. 126-127.

4 Ronald INGLEHART, 1999, « Postmodernization Erodes Respect for Authority, but Increases Support for Democracy », in Pippa NORRIS (ed.), Critical Citizens, Global Support for Democratic

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 43 français et allemands a le mérite de proposer une évaluation de son inclusion dans des systèmes représentatifs locaux divers. Contrairement à l’Allemagne, il existe en France une tradition référendaire à l’échelle nationale. Sur le plan local, la tendance est nettement inversée, les Länder ayant remodelé les systèmes de démocratie locale depuis le début des années 1990.

La comparaison implique d’identifier des éléments susceptibles d’être comparables, c’est-à-dire des éléments qui se ressemblent, pour mieux cerner les différences. En reprenant la définition du Furetière, la comparaison désigne « la conférence, le rapport de deux choses mises l’une devant l’autre, pour voir en quoi elles conviennent ou diffèrent »1. Deux possibilités de comparaison s’offrent à nous : ou bien nous « comparons à », ou bien nous « comparons avec » : comparer à signifie que nous comparons l’ensemble de deux systèmes alors que comparer avec montre que nous comparons deux éléments pris dans des ensembles différents. En nous concentrant sur la similitude du procédé (vote des citoyens en dehors des élections sur une question), nous pouvons constater que la variation des conditions entraîne des logiques d’appropriation différentes et des mécanismes aux effets opposés. La comparaison ne vise pas l’identité de situations, mais à déterminer les raisons de leur similarité2. L’apparition de nouveaux mécanismes de participation traduit-elle l’émergence d’une nouvelle culture politique dans les deux pays ?3

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