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État des lieux des pratiques et des législations en France et en Allemagne en France et en Allemagne

Ce chapitre évalue le volume de la pratique référendaire locale dans les deux pays et la situe par rapport au contexte européen et international. La législation de la France et des seize Länder allemands est à comparer pour comprendre la manière dont le référendum communal s’inscrit comme possibilité d’intervention des citoyens au sein de la vie politique locale. L’institutionnalisation du référendum local vient codifier une pratique officieuse en la restreignant et en la limitant à son caractère consultatif comme dans le cas de la France alors que les catalogues détaillés des seize Länder révèlent une logique d’appropriation différente. En Allemagne, l’étalon de la pratique n’est pas tant le taux de participation que la définition d’un seuil minimal de représentativité du référendum local appelé taux d’approbation

(Zustimmungsquorum). Cette innovation institutionnelle permet de relativiser la notion

d’intérêt général puisqu’il ne s’agit plus de s’appuyer sur la majorité simple des votants et sur le taux de participation, mais il devient important de quantifier la représentativité d’une position adoptée par les électeurs sur un sujet particulier.

La démarche généalogique implique d’effectuer un état des lieux de la pratique et de la législation dans les deux pays pour faire apparaître les facteurs qui ont conditionné l’émergence de cette pratique et l’institutionnalisation du référendum local en France et en Allemagne.

I. La récente augmentation du nombre de référendums locaux

Il est incontestable que la problématique du référendum local est apparue nettement au moment où les échelons politiques locaux ont gagné en visibilité. En réalité, la décentralisation dans le cas français1 et la redéfinition des chartes locales au moment de la Réunification pour l’Allemagne ont rendu possible les interrogations sur la participation des

1 Pierre-Étienne ROSENSTIEHL, Vianney HUGUENOT, 2005, Référendums locaux et consultations

des électeurs : une avancée pour la démocratie locale ?, Voiron, éditions de « La Lettre du cadre

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 196 citoyens à la vie locale. Celle-ci n’est pas le phénomène majeur de la mutation des systèmes politiques locaux, elle accompagne plutôt un renouvellement du système représentatif. La récente augmentation du nombre de référendums locaux remonte au début des années 1990, lorsque la procédure a été institutionnalisée progressivement dans tous les Länder allemands et lorsque la législation française a réintroduit la consultation locale puis l’initiative populaire communale consultative.

A) L’évaluation approximative de la pratique : l’incertitude des sources

Il est difficile de prétendre donner une estimation exacte des pratiques référendaires locales, d’une part parce que les statistiques officielles ne recensent pas tous les cas et d’autre part parce que les données portant sur les petites communes ne sont souvent pas prises en considération. On peut également mentionner la différence de culture statistique des deux pays, puisque la France a un système centralisé de recueil de données alors que l’Allemagne s’appuie à la fois sur l’office fédéral des statistiques de Wiesbaden et sur des offices administratifs propres aux Länder et indépendants de l’office fédéral1. Les relations entre ces offices sont précisément codifiées et permettent d’avoir des données qui ont fait l’objet de plusieurs contrôles. Le problème français n’est pas tant la qualité de l’appareil de production statistique que la difficulté à enregistrer des données pour les petites communes. Cependant, depuis la déconcentration des services de l’État dans les années 1970, l’information statistique publique a concerné les services publics locaux. Comme le souligne Alain Desrosières,

« La statistique locale peut n’apparaître souvent que comme l’application pour un territoire donné, d’un système d’action et de description à vocation nationale, et non pas comme une information spécifique à un lieu particulier et original. Ainsi se dessine une tension entre d’une part le territoire, espace d’équivalence associé à une action institutionnelle et susceptible d’être découpé, et d’autre part la localité, comme support d’une vie sociale, économique et politique aux composantes et interactions multiples, dont les habitants peuvent souhaiter des descriptions synthétiques informant des actions variées »2.

1 Alain DESROSIÈRES, 1992, « Entre la science universelle et les traditions nationales », dans Jean-Louis BESSON (dir.), La Cité des chiffres ou l’illusion des statistiques, Paris, éditions Autrement, pp. 154-156.

2 Alain DESROSIÈRES, 1994, « Le territoire et la localité, Deux langages statistiques », Politix, n°25, p. 46.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 197

1) La saisie de données statistiques en France

Ainsi les statistiques locales françaises ont commencé à enregistrer régulièrement les consultations locales depuis la loi de 1992, même si des négligences ont été relevées tenant certainement au malaise provoqué par l’ambiguïté de cette procédure : le référendum local indique une perturbation du système représentatif, perturbation que le système administratif ne souhaite pas amplifier. Cela ne signifie absolument pas qu’il y ait un maquillage des données, mais on repère des erreurs ou des oublis1. Par exemple, nous avons demandé au service de la DGCL la liste exhaustive des consultations locales : celle-ci nous a été envoyée le 13 juillet 2004 après la réactualisation d’une liste existant depuis 1999. Entre celle de 1999 et celle de 2004, plusieurs erreurs de transcription ont été repérées. Les recherches au sein des archives de quotidiens régionaux et certains entretiens ont permis alors de la compléter.

Dans un entretien téléphonique avec le service du contrôle de légalité de la préfecture de Haute-Savoie, la personne contactée nous a indiqué l’origine de la liste des consultations locales en France :

« Dans ce genre de situations, il n’existe pas de liste réactualisée de manière (euh) permanente par la DGCL. La DGCL envoie un questionnaire à toutes les préfectures, suite à une enquête demandée par un parlementaire. Certaines préfectures répondent, d’autres pas, et la liste est synthétisée, si vous voulez, par la DGCL »2.

Il s’agissait de vérifier, pour certains départements, la fiabilité des statistiques officielles et de comprendre la manière dont les recherches ont été effectuées localement pour obtenir ces données. La procédure est simple, puisque chaque commune organisant un référendum local doit envoyer l’objet, les conditions et le calendrier de la consultation à la préfecture pour que celle-ci s’assure de sa légalité. Le relevé des autorisations ou des annulations de délibérations évoquant la tenue d’un référendum permet aux préfectures de comptabiliser l’ensemble des consultations locales organisées dans le département. Comme l’écrit Howard S. Becker, il faut considérer

« Les informations recueillies par des officiels ou d’autres comme des informations portant sur ce que ces personnes font : les statistiques policières comme des informations sur

1 Selon Nadia Auriat, « une erreur de mémoire est une omission ou une réponse erronée produite involontairement par la personne interrogée ». Nadia AURIAT, 1996, Les défaillances de la mémoire

humaine, Aspects cognitifs des enquêtes rétrospectives, Paris, PUF, INED, p. 18.

2 Entretien téléphonique réalisé par nos soins le 30 septembre 2004 avec le service du contrôle de légalité de la préfecture de Haute-Savoie.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 198 la manière dont la police tient ses archives et ce qu’elle en fait, les relevés de notes d’examens comme des informations sur ce que font les écoles et les évaluateurs, et non pas des informations sur tel ou tel trait caractérisant les étudiants, et ainsi de suite »1.

La méfiance épistémologique doit permettre d’enquêter sur le mode d’archivage de ces référendums, sachant que les autorités centrales auront tendance à diminuer leur importance et que les associations militantes seraient portées à exagérer leur nombre, car pour les autorités centrales, un recours important au référendum local pourrait à terme être associé à une demande d’autonomie locale alors que pour les associations militantes, le nombre de référendums locaux prouve un changement de mentalité politique et indique une implication croissante des citoyens à la vie locale.

Lors d’un entretien avec la responsable du service de contrôle de légalité de la préfecture du Gard à propos d’un référendum non pris en compte par les services administratifs, celle-ci nous a indiqué que

« Certains maires ne jugent pas nécessaire d’envoyer une note au préfet, parce qu’ils savent que leurs consultations sont illégales et qu’elles seront sanctionnées par le Tribunal administratif »2.

Le développement des consultations officieuses est un trait caractéristique de la culture politique locale en France et tient en partie aux relations conflictuelles entre l’État et la commune en question, les consultations illégales portant la plupart du temps sur des projets de l’État sur le territoire communal. Ainsi, pour éviter une sanction administrative, le maire préfère organiser sa consultation qui aura pour effet d’asseoir sa légitimité démocratique. Nous avons estimé à 45 le nombre de consultations illégales en France entre 1995 et juillet 2004 soit à peu près 21% des consultations de cette période.

2) La saisie de données statistiques en Allemagne

En Allemagne, nous n’avons pas repéré de référendums illégaux en raison de l’organisation même des pouvoirs publics. En effet, d’une part la législation communale dépend du Land et d’autre part le référendum est décisionnel. Ainsi, pour pouvoir donner lieu à une décision locale, la requête est examinée par la Cour constitutionnelle du Land qui

1 Howard S. BECKER, 2004, « Épistémologie de la recherche qualitative », dans Alain BLANC et Alain PESSIN (dir.), L’art du terrain, mélanges offerts à Howard S. Becker, Paris, L’Harmattan, p. 80.

2 Entretien téléphonique réalisé par nos soins avec la responsable du service de contrôle de légalité de la préfecture du Gard le 25 juin 2004.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 199 autorise ou annule le référendum lui-même. L’intérêt d’une transgression du référé est nul, puisque l’objectif recherché n’est pas un défi des autorités supérieures, mais la mise en évidence d’un consensus autour d’une décision locale. Dans le repérage statistique auquel nous avons procédé, la liste officielle du Ministère de l’Intérieur de chaque Land, lorsqu’elle existe1, est beaucoup plus fiable dans sa conception même. L’observation participante que nous avons effectuée auprès de l’association Mehr Demokratie, nous a ouvert les archives de cette association. À plusieurs reprises, nous avons réordonné les archives de cette association en 2004 et en 2005 dans le Land du Bade-Wurtemberg. En 2005, lors d’un entretien avec la responsable de cette association en Bavière, nous avons également obtenu le logiciel interne permettant d’archiver les initiatives populaires, les questions et le taux de participation aux référendums locaux en Bavière2. Le fait que l’association ait influencé avec succès l’introduction de référendums locaux dans ce Land explique la différence de fonctionnement des bureaux locaux de Mehr Demokratie en Bavière et dans le Bade-Wurtemberg. Toujours est-il que dans notre travail auprès de cette association, nous avons pu confronter les différentes recensions chronologiques de la pratique référendaire dans ce Land avec les coupures de presse des quotidiens locaux ; les journaux ont également évalué, à certaines occasions, le nombre de référendums depuis 1956.

Nous nous sommes aperçu, au fil des courriers internes de l’association qu’il y a eu un effet de mimétisme dans la construction de cet objet statistique, puisque les membres de Mehr

Demokratie ont adressé à plusieurs reprises une demande de communication du nombre de

référendums et d’initiatives et que le Ministère de l’Intérieur s’est également appuyé par la suite sur les rapports de cette association. L’illusion d’une objectivation statistique de la pratique est certaine ; seul un travail sur les archives de presse ayant relevé les pratiques suivant leur impact médiatique a permis en France et en Allemagne de compléter les données.

Cependant, à l’échelle de l’Allemagne, il n’était matériellement pas possible d’effectuer ce travail systématique pour tous les Länder. Pour l’évaluation globale des pratiques

1 Entretien réalisé par nos soins avec Konrad Jung à l’institut de démocratie directe de Dresde le 31 mai 2006. Konrad Jung est le secrétaire de cette même association. Nous avons complété cet entretien par des recherches au service des archives locales du Land de Saxe le 1er juin 2006.

2 Entretien réalisé par nos soins avec Susanne Wenisch dans le bureau de Mehr Demokratie à Münich le 2 juin 2005. Susanne Wenisch est l’une des responsables de ce bureau qui a une réelle politique d’archivage contrairement au Land de Bade-Wurtemberg où les archives sont la reconstitution de coupures de presse au sein de classeurs.

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