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L’institutionnalisation de l’initiative populaire et du référendum

Chapitre 1 : L’insertion du référendum dans les systèmes politiques locaux politiques locaux

B) Le référendum local et le mouvement populiste aux États-Unis

2) L’institutionnalisation de l’initiative populaire et du référendum

Les succès du parti populiste aux États-Unis ne se sont pas fait attendre, puisqu’en 1896 il a remporté les élections dans le Dakota du Sud. La pression populiste a permis à un certain nombre d’États d’inclure les procédés de démocratie semi-directe. Par exemple, le Dakota du Sud a adopté en 1898 le référendum et l’initiative populaire constitutionnels3. Les premiers votes dus à une initiative populaire constitutionnelle4, ont eu lieu en Oregon en

1 Les thèmes de campagne des candidats boulangistes aux élections législatives en Gironde (Troplong, Mitchell et Pascal) ont été centrés sur l’institution référendaire pour régénérer le régime républicain, la révision constitutionnelle et la nécessité d’établir une assemblée constituante. Hélène LACAZE, 1963,

Le Boulangisme en Gironde, Mémoire de DES de l’université de Bordeaux, pp. 96-97.

2 Revue générale d’Administration, janvier-avril 1893, pp. 486-487.

3 Jean-Pierre LASSALE, 1996, « Le référendum aux Etats-Unis », Pouvoirs, n°77, p. 153.

4 L’initiative populaire locale existait depuis la fin du XIXe siècle. Par exemple, selon une loi de Virginie de 1887, un quart des électeurs ayant participé dans le county aux dernières élections

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 86 19041. Par ailleurs, certaines possibilités de consultation locale ont été intégrées dans les chartes de certaines villes : il est possible pour les électeurs de ces villes ou de ces comtés de se prononcer sur une mesure adoptée par une autorité locale. La Charte de Saint-Louis date de 1876, celle de Los Angeles de 1888 et en 1889, les électeurs de San Francisco ont accepté la leur après l’avoir rejetée trois années auparavant2. La pression populiste a réellement contribué au développement des pratiques référendaires locales, même si le parti n’a pas réussi à s’imposer sur la scène politique pour bousculer la donne du bipartisme, sans doute du fait qu’il lui manquait une personnalité charismatique susceptible d’emballer le mouvement. En effet, le général Weaver, candidat populiste, fut attaqué à la fois par les républicains et les démocrates, il n’obtint aux présidentielles de 1896 que 8,5% des votes3. Certains souhaitaient le rapprochement avec l’aile gauche du parti démocrate afin de faciliter les arbitrages entre les républicains et les démocrates conservateurs. Devant le Comité national du Parti du peuple, en janvier 1896, les responsables politiques Bryan, Taubereck et Weaver ont plaidé pour retarder la décision d’entériner une candidature populiste. Si le parti s’est essoufflé très nettement en 18964, la greffe référendaire a bien pris au point de transformer non seulement les Constitutions5 de certains États mais également les partis politiques. En l’occurrence, c’est grâce à l’influence populiste que les élections primaires6 (le système du caucus), les

générales pouvaient demander une votation populaire dans la même circonscription pour ou contre l’interdiction de l’alcool. Au Kentucky, cent électeurs pouvaient provoquer un scrutin local sur l’obligation de clôturer les champs et en Californie, cinquante électeurs et contribuables pouvaient solliciter un référendum local sur l’opportunité de l’établissement d’une école secondaire (high school) dans le county concerné. Andreas AUER, 1989, Le référendum et l’initiative populaire aux

Etats-Unis, Paris, Economica, p. 81.

1 En Oregon, la révision constitutionnelle introduisant le référendum et l’initiative a été acceptée par une majorité populaire en juin 1902 et le droit d’initiative a été étendu pour la première fois aux affaires constitutionnelles.

2 Andreas AUER, 1989, Le référendum et l’initiative populaire aux Etats-Unis, Paris, Economica, p. 80.

3 Alexandre DORNA, 1999, Le populisme, Paris, PUF, p. 29.

4 Guy HERMET, 2001, Les populismes dans le monde, une histoire sociologique dans le monde, Paris, Fayard, p. 197.

5 En Oregon, la révision constitutionnelle de 1902 introduisant le référendum et l’initiative populaire a permis une flambée de la démocratie semi-directe, puisque entre 1902 et 1910, on a dénombré 64 questions soumises au peuple, dont 48 provenant d’une initiative. Andreas AUER, 1989, Le

référendum et l’initiative populaire aux Etats-Unis, Berne, éditions Helbing et Lichtenhahn, p. 87.

6 Le système a été appliqué pour la première fois à l’élection présidentielle et aux délégués de l’État. En 1912, treize États l’ont adopté et quinze en 1952. Jean-Pierre LASSALE, mai 2002, La démocratie

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 87 initiatives populaires et le référendum local ont été introduits dans le fonctionnement des partis politiques américains1. Le tableau suivant dresse un bilan des types d’initiative populaire que l’on trouve dans les États américains : il va sans dire que les pratiques sont encore plus complexes au niveau local où l’autonomie est telle que les villes ont édicté leur propre charte avec les modalités d’intervention des citoyens au sein de la vie politique locale. Si la démocratie directe est née dans les États de l’Ouest américain, elle s’est progressivement diffusée dans tout le reste du pays.

Tableau 5 : Les types d’initiative populaire dans les États américains2

État Initiative constitutionnelle directe Initiative constitutionnelle indirecte Initiative législative directe Initiative législative indirecte Alaska * Arizona * * Arkansas * Californie * Colorado * Floride * Idaho Illinois * * Maine * Massachus etts * * Michigan * Mississippi * Missouri * Montana * * Nebraska * * Nevada * * américaine à l’épreuve, Le test de l’élection 2000, Paris, La documentation Française, p. 27. À partir

d’une observation faite dans l’Etat de l’Iowa, Michael Behrent décrit les relations de face-à-face dans la première phase des primaires aux Etats-Unis. Michael BEHRENT, 2004, « Iowa 2004 : une authentique expérience démocratique », Tissages, volume 3, p. 23.

1 Moisei OSTROGORSKI, 1993, La démocratie et les partis politiques, Paris, Fayard, 1903 pour la première édition en deux volumes, p. 243.

2 L’initiative populaire indirecte signifie que le Parlement peut refuser d’organiser un référendum sur l’objet de l’initiative, quand bien même la demande serait recevable.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 88 Dakota du Nord * * Ohio * * Oklahoma * * Oregon * * Dakota du Sud * * Utah * * Washingto n * * Wyoming * *

Source: Bowler Shaun, Donovan Todd, Tolbert Caroline J., Citizen as Legislators, Direct Democracy in

the United States, Ohio State University, 1998, p. 5.

De nos jours, on estime entre 10 000 et 19 000 le nombre de référendums locaux par an aux États-Unis, ce qui montre à quel point cette pratique s’y est banalisée. Depuis la proposition 13 de 1978 en Californie, les référendums ont considérablement modifié le rapport des citoyens au gouvernement et ont été alimentés par la pression anti-fiscale. La Constitution californienne de 1978 a été modifiée par un référendum d’initiative populaire. Les référendums locaux ont également été nombreux au Canada où la participation des citoyens à la vie politique a été encouragée par les réformateurs. Les questions financières ont été portées devant les électeurs, la loi municipale de l’Ontario prévoyant des référendums sur les emprunts municipaux. Entre 1955 et 1965, 168 municipalités canadiennes ont organisé des référendums et entre 1964 et 1968, 109 référendums locaux ont eu lieu dans la seule Colombie britannique1.

La Suisse et les États-Unis restent les deux pays de référence en matière de référendum local. La banalisation de cette pratique permet de mettre en perspective son implantation et son développement dans d’autres régimes représentatifs. Les États-Unis ont développé une tradition de démocratie directe qui contraint les élus locaux à rendre des comptes auprès des populations. Comme l’écrit Guy Sorman,

1 Vincent HOFFMANN-MARTINOT, 2003, « Rôle et transformation des partis politiques urbains », dans Terry Nichols CLARK, Vincent HOFFMANN-MARTINOT (dir.), La nouvelle culture politique, Paris, éditions L’Harmattan, p. 264. Dans la province québecquoise, Laurence Bherer a décrit une augementation du recours au référendum local entre 1994 et 1998, passant de 32 référendums en 1994 à 46 en 1998. Laurence BHERER, 2003, Une lectture institutionnaliste du phénomène participatif, La

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 89 « Aux États-Unis, l’idée que les élus puissent être en avance sur la société est inacceptable. On y exige, au contraire, que ce qu’ils portent et ce qu’ils entreprennent corresponde à la photographie instantanée de l’opinion publique. L’élu est presque superfétatoire, il n’est qu’un mal nécessaire. S’il était possible de s’en passer, ce serait encore mieux. Mais puisqu’on ne s’en passe pas, il en faut qui se dévouent »1.

Non seulement les législations sont favorables à la pratique du référendum local engendrant parfois la perturbation du système politique local, mais les thèmes eux-mêmes des référendums sont moins restreints qu’en France et en Allemagne puisque les finances locales peuvent faire l’objet de procédures référendaires. En France et en Allemagne, l’institutionnalisation du référendum local n’est pas conçue comme pouvant perturber la gestion des affaires locales. Elle est envisagée comme ponctuelle : le moment référendaire est l’expression d’une intervention circonstanciée des habitants au sein de la vie politique locale soit pour refuser une décision locale soit pour mettre sur l’agenda des autorités locales un thème de préoccupation.

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