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Chapitre 2 : La diffusion d’une norme participative en France et en Allemagne France et en Allemagne

A) L’extension de la norme référendaire

1) Le référendum d’entreprise

La participation directe des salariés à la vie de l’entreprise a été invoquée comme l’un des piliers d’un management participatif qui a souvent pour résultat le renforcement d’un contrôle social1. Dominique Martin a montré comment l’évolution des rapports de force entre syndicats et patronat a favorisé l’émergence de l’idée d’une participation autonome des salariés, sans pour autant aborder la question des référendums d’entreprise. Souvent, « la participation s’accorde alors avec une mystification, dont l’objet est de masquer les contradictions des politiques sociales et de faire oublier la dureté des temps »2, or, les référendums d’entreprise s’inscrivent souvent dans cette logique3. Comme le rappellent à juste titre Jacques Donzelot et Renaud Epstein en s’inspirant de l’article de Sherry R. Arnstein4, il existe trois niveaux de participation, le premier étant marqué par la manipulation et la thérapie (non-participation)5. Il s’agit d’éduquer les participants et de traiter leurs pathologies en leur imposant un plan. Vient ensuite la phase de coopération symbolique, scandée par l’information et la consultation sans qu’il y ait de prise sur la décision puis le

1 Dominique MARTIN, 1994, Démocratie industrielle, la participation directe dans les entreprises, Paris, PUF, p. 234.

2Ibid., p. 287

3 Le projet de l’UMP est de pouvoir faire voter les non-grévistes au moment des grèves, c’est-à-dire d’utiliser les référendums d’entreprise pour contourner les forces syndicales et débloquer des situations de crise. Le Monde, 26 avril 2007.

4 Sherry R. ARNSTEIN, 1969, « A Ladder of Citizen Participation », Journal of the American

Institute of Planners.

5 Roger Beaunez et Francis Kohn faisaient eux une distinction entre la « participation-intégration » et la « participation-manipulation ». Roger BEAUNEZ, Francis KOHN, 1975, La démocratie locale, un

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 108 niveau de la participation caractérisé par un contrôle effectif des citoyens, une délégation de pouvoir et un partenariat1. Les référendums d’entreprise ont tendance à s’inscrire dans le premier niveau, parce que les salariés sont souvent mis devant le fait d’un plan à accepter ou à rejeter. Un référendum d’entreprise devait être organisé auprès des 27 000 salariés du groupe Michelin, mais la justice l’a reporté à une date ultérieure devant les actions intentées devant les tribunaux par la CGT. La fédération de la chimie-énergie de la CFDT, avec l’appui de Nicole Notat, responsable de la CFDT à l’époque, avait demandé l’organisation d’un référendum d’entreprise local à Clermont2.

Le référendum d’entreprise3 est un moyen de légitimer des modifications du Code du travail lorsque les syndicats majoritaires ne les ont pas approuvées. En France, la loi du 19 janvier 2000 porte sur la réduction négociée du temps de travail et prévoit qu’une consultation du personnel est obligatoire lorsqu’un accord sur cette réduction n’a pas été signé par les syndicats majoritaires, c’est-à-dire les organisations syndicales ayant obtenu la majorité des voix lors des précédentes élections professionnelles4. Certains thèmes peuvent faire l’objet d’une procédure de référendum dans l’entreprise5 tels la mise en place d’un régime de protection sociale complémentaire dans l’entreprise (Article L. 511-1 du Code de Sécurité Sociale), l’institution dans l’entreprise d’un système d’intéressement ou de participation des salariés aux résultats de celle-ci (Articles L 441-1 et L-442-10 du Code du Travail), les horaires individualisés (article L-212-4-1 du Code du Travail)6. Les consultations du personnel se sont multipliées depuis le début des années 1990, puisqu’une trentaine de

1 Jacques DONZELOT, Renaud EPSTEIN, Juillet 2006, « Démocratie et participation : l’exemple de la rénovation urbaine », Esprit, pp. 7-8.

2 Le Point, 2 février 2001, pp. 86-90.

3 Le film de Laurent Cantet, Ressources Humaines (1999), montre la mise en place d’une consultation sur les 35 heures dans une entreprise. Laurent CANTET, 2000, Ressources Humaines, scénario écrit en collaboration avec Gilles MARCHAND, éditions ARTE, p. 71.

4 Ulrick OHLEN, 2001, Le référendum d’entreprise, Mémoire de DEA de Droit Social, Université Panthéon-Assas, p. 2. Selon cette loi, il existe même un droit d’initiative appartenant aux organisations syndicales minoritaires signataires de l’accord.

5 La loi du 4 août 1982 évoque l’idée de démocratie directe dans l’entreprise et la loi du 3 janvier 1986 fixe les modalités de la consultation. Patricia POCHET, 1986, La politique de démocratie directe dans

l’entreprise, l’expérience française, Thèse pour le doctorat d’état en droit, Université de Lille II, p.

268.

6 Ulrick OHLEN, 2001, Le référendum d’entreprise, Mémoire de DEA de Droit Social, Université Panthéon-Assas, p. 30.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 109 consultations ont été recensées en 1994 (Publicis Potain, Biscuiterie nantaise, Bordelaise de Crédit) et qu’elles ont toujours été favorables à la direction. Selon Olivier Ihl, « la consultation organisée par Christian Blanc auprès des 40 000 salariés d’Air France, le 11 avril 1994 (84% de la participation pour 81% de oui) montre que la « démocratie d’entreprise » constitue une technique de sortie de crise »1. Les salariés de l’équipementier automobile Visteon ont accepté au bout du deuxième référendum interne de racheter une partie de la réduction du temps de travail afin d’éviter des licenciements après avoir dit non dix jours plus tôt. Le 22 mars 2007, 666 des 1200 salariés du site de Charleville-Mézières ont accepté le rachat sous leur valeur réelle de 10,5 jours de temps réduit sur 20,5 au total2. Alain Minc effectue pour sa part un parallèle entre le référendum d’entreprise destiné à contourner les corporations syndicales et le référendum national dont l’objectif est de court-circuiter le Parlement3. C’est pourquoi le référendum, dans son essence même, a tendance à menacer

l’existence de corps intermédiaires et à traduire une somme de préférences individuelles

vis-à-vis de certaines décisions4. Récemment, le rapport de la commission Attali a préconisé, en cas de signature d’un accord par des syndicats non majoritaires dans l’entreprise l’organisation d’un référendum auprès des salariés5. Le référendum d’entreprise est évoqué dans le cadre d’une modernisation du dialogue social en France.

Il peut y avoir à l’inverse des référendums internes aux syndicats permettant de consolider une revendication collective. Par exemple, concernant le plan de réforme des retraites du gouvernement Raffarin en 2003, les agents d’EDF-GDF ont été consultés par référendum, à l’initiative de la CGT le 9 janvier 2003. Ils ont rejeté à 53,4% le protocole d’accord sur leurs retraites (question des régimes spéciaux) négocié par plusieurs syndicats et

1 Olivier IHL, 1996, Le vote, Paris, éditions Montchrestien, p. 72.

2 Les Échos, 26 mars 2007.

3 Alain MINC, 1995, L’ivresse démocratique, Paris, Gallimard, p. 50.

4 Cependant, le référendum d’entreprise peut être également utilisé dans un contexte où les relations entre partenaires sociaux sont moins tendues. Ainsi, suite à la propsition d’un congé parental effectuée par la direction de Fleury-Michon, sur 1694 salariés votants et 90% des suffrages exprimés, 791 ont dit oui, 744 ont dit non, le congé a par la suite été mis en place dans les quatre établissements vendéens du groupe Fleury-Michon. Le Monde, 11 mai 1994.

5 Jacques ATTALI (dir.), 2008, Rapport de la Commission pour la libération de la croissance

française, Paris, Documentation française, Décision 120, p. 110.

http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000041/0000.pdf Site consulté le 31 janvier 2008.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 110 les directions des deux entreprises, et ratifié par la CFDT, la CGC et la CFTC1. En janvier 1993, un référendum organisé par plusieurs syndicats a été organisé dans la société Valmex (ex-Peugeot / groupe Valois) pour proposer aux 894 salariés de partager leur temps de travail afin d’éviter 98 licenciements2. Les salariés de la fonderie Bouhyer à Ancenis (Loire-Atlantique) ont rejeté à 61% le projet d’aménagement du temps de travail proposé par la direction lors d’une consultation organisée dans l’entreprise le 19 avril 19943.

En Allemagne, le syndicat de la métallurgie IG Metall a connu plusieurs référendums, notamment dans les nouveaux Länder sur le partage du temps de travail. Un vote pour la grève y avait été organisé au printemps 2003 dans ces Länder, 79,7% des adhérents participant au vote se sont exprimés en sa faveur, pour un taux de participation de 95%. Selon les statuts d’IG Metall, aucune grève ne peut être déclenchée si un référendum n’a pas recueilli au préalable 75% au moins de voix favorables4. On trouve ce type de référendum

syndical dans d’autres pays européens à l’instar du grand syndicat suédois LO

(Landsorganisationen) qui a organisé un référendum interne le 18 mars 2002 sur la privatisation des entreprises publiques5. En Allemagne, on trouve au début du XXe siècle l’institutionnalisation d’un référendum patronal avant chaque vote portant sur une réforme importante6. Selon l’article 139 de la loi du 30 juin 1900,

« sur la demande des deux tiers au moins des exploitants, il pourra être disposé, pour une commune ou pour plusieurs autres communes limitrophes, par ordonnance de l’autorité administrative supérieure […] que, pour toutes les branches ou certaines branches seulement d’exploitation commerciale , les magasins devront être fermés au trafic, à des périodes déterminées pendant toute l’année, à partir d’un moment à fixer entre 8 heures et 9 heures du soir et entre 5 heures et 7 heures du matin »7.

En l’occurrence, 743 villes, dont 40 de plus de 100 000 habitants avaient en 1910 la fermeture à 8 heures. Ce référendum patronal fonctionnait comme une consultation des professions sur

1 Le Monde, 11 janvier 2003.

2 Pierre AGUDO, « Offensive sur le travail », L’Humanité, 15 janvier 1993.

3 Le Monde, 19 avril 1994.

4 Adelheid HEGE, mars 2004, « Un accord salarial presque consensuel dans la métallurgie qui vient assouplir le temps de travail », Chronique Internationale de l’IRES, n°87, p. 31.

5 Bernard ZIMMEN, 2003, La dictature des syndicats, Paris, éditions Albin Michel, p. 235.

6 Emmanuel GOUNOT, 1913, Les réformes professionnelles par le referendum patronal, Paris, éditions Arthur Rousseau, pp. 56-57.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 111 un principe d’organisation du travail. Il a été organisé localement, afin de savoir quelles communes privilégiaient ces nouveaux horaires. Ainsi, cet exemple vient rappeler qu’il existe depuis longtemps de nombreuses variantes de consultation sur des publics ciblés. L’encadré ci-dessous rassemble des pratiques plus symboliques qui apparentent le référendum à une forme de sondage1.

Figure 1: Les usages mineurs de la consultation en France

Par exemple, la Chambre économique de Morlaix a organisé à la fin 2002 un référendum local pour remplacer le bonjour par le terme breton « demat ». 49% des électeurs ont accepté ce principe2. Depuis très longtemps, des revues évoquent le terme de « référendum » lorsqu’une consultation auprès des électeurs est organisée. On trouve une trace de cet usage lexical du référendum dans le Dictionnaire du français contemporain3. Le

référendum existe dans de nombreuses organisations collectives dont le nombre d’adhérents est suffisamment important pour qu’il y ait une consultation au moment d’échéances décisives (poursuite de la grève pour un syndicat, adoption d’une position commune). Au moment des conflits du Contrat Première Embauche en France (février-mars 2006), des syndicats et des associations d’étudiants ont organisé des consultations militantes symboliques sur la reprise du mouvement de grève4.

1 L’emploi du terme est tellement fréquent qu’on le trouve même pour désigner des élections pour traduire le fait que les électeurs se déterminent en fonction du programme et des idées des candidats et non seulement de leur personnalité. L’Express, 26 avril 2007, p. 5 : « le 6 mai, il y aura non pas un second tour, mais un référendum : non ou oui pour cinq ans de Sarkozy, oui ou non à un quinquennat Royal ».

2 Chambre de commerce et d’industrie de Quimper Cornouaille, revue de presse du 2 décembre 2002,

http://www.quimper.cci.fr, site consulté le 1er avril 2005.

3 Jean DUBOIS (dir.), 1971, Dictionnaire du Français Contemporain, Paris, éditions Larousse, p. 978 : le deuxième sens du terme référendum indique une « consultation des membres d’un groupe ou d’une collectivité. Revue qui organise un référendum auprès de ses lecteurs ». Le référendum auprès des lecteurs était aussi pratiqué par les députés en campagne à l’instar des élections législatives de 1967 qui sollicitaient l’avis de leurs électeurs grâce à un bulletin-réponse à remplir. Cahiers de la fondation nationale des sciences politiques, 1971, Les élections législatives de mars 1967, Paris, Armand Colin, p. 163.

4 Les membres du syndicat SUD de l’université de Bordeaux III ont organisé un vote sur la poursuite de la grève. Lors de l’occupation des locaux de l’université de Rennes II, le directeur a décidé d’organiser un vote auprès de l’ensemble des étudiants pour décider de la fin de l’occupation des salles. François TAVERNIER, novembre 2006, « La démocratie participative à l’Université, les espaces publics universitaires », dans Démocratie participative en Europe, textes réunis par Stefan BRATOSIN et Dominique BERTELLI, Actes du colloque LERASS publiés avec le concours de la revue Sciences de la Société, pp. 93-99.

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