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Chapitre 2 : La diffusion d’une norme participative en France et en Allemagne France et en Allemagne

C) Conclusions de la première partie

4) L’affirmation d’une idéologie participative

La norme participative est en train d’être convertie en une idéologie participative et en une idéologie de proximité qui sont de nouvelles ressources à disposition des élus locaux en France et en Allemagne. Cette idéologie participative rassemble l’ensemble des valeurs et des représentations des élus locaux convaincus par la nécessité de faire participer les habitants à la vie locale alors que l’idéologie de proximité vise à mettre en scène le rôle central de l’élu dans la structuration de l’espace public local. L’idéologie participative est exprimée par des partis politiques n’ayant pas une influence dominante dans le champ politique et permet à ces partis et à leurs élus ou responsables de se démarquer stratégiquement.

Il importe à présent d’effectuer une généalogie de l’institution référendaire pour comprendre son inscription dans la diffusion de la norme participative. La généalogie de l’institution du référendum local nous permettra d’expliquer en quoi le référendum d’initiative populaire est un leitmotiv du discours politique français portant sur la rénovation des institutions tandis qu’en Allemagne la discussion porte sur l’efficacité de ce nouveau droit à la participation. Ce hiatus est dû au fait qu’il existe en France une législation ambiguë ayant pour objectif de neutraliser la pratique alors qu’en Allemagne la définition des conditions juridiques du référendum déplace le débat sur les conséquences de la pratique. En d’autres termes, il semblerait que le débat soit plus théorique en France sur les aspects généraux du référendum local alors qu’en Allemagne la réflexion est articulée autour de l’analyse des

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Deuxième partie : Généalogie comparée de

l’institution du référendum local en France et

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 192 La finalité de cette partie est de comprendre la logique politique qui a conduit à l’institution du référendum local dans les deux pays. Une démarche généalogique ne se réduit pas simplement à une histoire comparée des pratiques référendaires en France et en Allemagne. Il s’agit plutôt d’expliquer à partir d’une démarche génétique l’inscription du référendum local comme une occasion participative possible au sein des systèmes représentatifs locaux. Notre méthode suit un fil conducteur régressif pour explorer le rapport de la pratique aux législations successives. En l’occurrence, la généalogie ne s’arrête pas forcément au moment même de la visibilité de la pratique et de l’énonciation de ses conditions juridiques, car elle implique une mise en perspective de l’institution référendaire. L’enquête généalogique retrouve d’une certaine manière les caractéristiques d’une méthode archéologique définie par Michel Foucault.

« On peut maintenant inverser la démarche, écrit Foucault ; on peut redescendre en aval, et, une fois parcouru le domaine des formations discursives et des énoncés, une fois esquissée leur théorie générale, filer vers les domaines possibles d’application. Voir un peu à quoi faire servir cette analyse que, par un jeu peut-être bien solennel, j’ai baptisé "archéologie" »1.

Effectuer une analyse archéologique du référendum local implique d’étudier la façon dont le référendum a été défini comme instrument de démocratie directe pouvant réaménager le système représentatif. Cette proposition n’a aucun caractère évident et invite à redéfinir les catégories politiques et juridiques au sein desquelles ont pris naissance la démocratie locale et l’institutionnalisation progressive de ses instruments. La relation entre la pratique du référendum local et le discours sur la combinaison de la démocratie directe et du système représentatif retiendra notre attention. Le point de vue généalogique comparé prend un risque par rapport à une simple archéologie. En effet, lorsque Michel Foucault définit sa méthode d’investigation, il la définit par rapport à une culture donnée :

« L’ "archéologie du savoir", c’est précisément le repérage et la description des types de discours et ce que j’appelle la "dynastique du savoir", c’est le rapport qui existe entre ces grands types de discours que l’on peut observer dans une culture et les conditions historiques, les conditions économiques, les conditions politiques de leur apparition et de leur formation »2.

1 Michel FOUCAULT, 1969, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, p. 177.

2 Michel FOUCAULT, 2001, « De l’archéologie à la dynastique », dans Dits et Écrits I, 1954-1975, Paris, Quarto Gallimard, p. 1274.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 193 Dans le cas de notre recherche, l’introduction de procédés de démocratie directe traduit une mutation du système représentatif, aussi confinés soient ces instruments. C’est par rapport à un âge du régime représentatif que seront évoquées la définition et l’utilisation des procédés de démocratie directe. Selon Michel De Certeau, la temporalité « fournit le cadre vide d’une succession linéaire qui répond formellement à l’interrogation sur le commencement et à l’exigence d’un ordre »1. En nous positionnant par rapport à une continuité du temps représentatif, nous pourrons faire ressortir les ruptures introduites par l’institutionnalisation de dispositifs de démocratie directe.

La comparaison n’a pas pour fonction d’homogénéiser des contextes politiques distincts, elle dégage plutôt le référendum comme instrument problématique de

l’approfondissement du principe représentatif dans le temps. Analyser les conditions

d’énonciation du moment référendaire permet de nous situer sur un temps moins événementiel et de retrouver l’articulation dialectique entre deux niveaux de temporalité : d’une part le temps où l’institution référendaire vient perturber le système représentatif, d’autre part le temps de la procédure en elle-même et de ce qu’elle vient révéler à l’échelon local. Nous reprenons de facto deux des trois dimensions du temps théorisées par Fernand Braudel, lorsqu’il analyse l’histoire complexe de la Méditerranée2. La généalogie de l’institution référendaire permet de situer cet instrument au sein de la difficile perméabilité entre système représentatif et pratiques de démocratie directe et ne doit en aucun cas surdéterminer l’instrument qui n’est que l’une des facettes complexes de la démocratie directe. Dans le champ de la science politique, l’institutionnalisme historique avait été négligé jusque dans les années 1980 lorsque des études réapparaissent sur les institutions3. La généalogie de l’institution référendaire permet a posteriori de retracer l’ouverture contrainte du système représentatif.

Nous partirons de l’état des lieux des pratiques et des législations dans les deux pays pour ensuite remonter jusqu’au contexte d’une demande de référendum. L’histoire du

1 Michel DE CERTEAU, 1975, L’écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, p. 20.

2 Fernand BRAUDEL, 1949, La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, p. XIII.

3 Bo ROTHSTEIN, 1996, « Political Institutions: An Overview », in Robert E. GOODIN, Hans-Dieter KLINGEMANN (dir.), A New Handbook of Political Science, Oxford, Oxford University Press, pp. 139-142.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 194 référendum local est faite de bouleversements en France et en Allemagne, étant donné qu’il a été pratiqué avant d’être rejeté et de réapparaître et d’être progressivement codifié et institutionnalisé. La dimension scalaire est à prendre en compte dans l’évaluation de l’institutionnalisation du référendum dans la mesure où son rapport au référendum national est souvent ambigu. En France, le référendum local a été marginalisé parce qu’il menaçait les pouvoirs locaux alors même que le référendum national était vu comme l’un des modes d’expression de la souveraineté nationale. En Allemagne, au contraire, le référendum local est toléré parce qu’il concerne les problématiques d’un territoire particulier. Ce décalage est essentiel dans l’évolution de son statut.

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Chapitre 3 : État des lieux des pratiques et des législations

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