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B) La spécificité du référendum local

2) Histoire du référendum

En France, la Constitution de 1793, qui ne fut jamais appliquée, avait fait une part belle au référendum : cette Constitution est allée le plus loin dans la définition de mécanismes référendaires donnant le moyen aux citoyens des assemblées primaires de faire remonter des vœux qui, grâce à l’approbation de tous, pourraient avoir force de loi. La Suisse connaissait depuis le Moyen-Âge des pratiques de démocratie directe plutôt que des pratiques référendaires. Le pays a été un instant sous domination politique française avant de signer l’Acte de Médiation en 1803 qui a permis au pays de redevenir une Confédération. C’est grâce à l’autonomie communale que le référendum a pu être utilisé au cours de la construction du système politique suisse, notamment au moment de la régénération des cantons en 18303. Les Constitutions helvétiques de 1848 et de 1871 ont par la suite consacré le référendum au niveau de la Confédération, alors que les cantons en faisaient également un principe de leur souveraineté. Cet outil permet de régler les rapports entre les cantons et la Confédération, il mêle intimement un sens diplomatique et un sens politique. Comme le souligne à juste titre Francis Hamon,

« Le mot référendum appartient à un vocabulaire politique plus récent. Son sens actuel résulte d’une évolution sémantique qui s’est produite à la fin du XIXe siècle. Ce n’est qu’à

1 Jean-Marie DENQUIN, 2001, « L’impact du référendum sur la vie politique », dans Francis HAMON, Olivier PASSELECQ (dir.), Le référendum en Europe, Bilan et perspectives, Paris, éditions L’Harmattan, p. 164.

2 C’est le sens du référendum défini par Léon Duguit. Léon DUGUIT, 1903, Les gouvernants et les

agents, Paris, éditions Fontemoing, p. 2.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 29 cette époque que l’on a commencé à l’utiliser pour désigner une consultation de l’ensemble des citoyens sur un texte de loi »1.

Lorsque l’on consulte les dictionnaires d’administration, le terme de referendum qui apparaît en latin jusque dans les années 1930 avant d’être francisé, désigne un déplacement du sens diplomatique au sens politique. Dans les premières éditions du Dictionnaire

d’administration de Maurice Block2, on ne trouve aucune occurrence du terme. Il faut attendre la cinquième édition du dictionnaire en 19053 pour le voir apparaître. C’est essentiellement à cause de la référence helvétique ainsi qu’à sa résurgence problématique au niveau communal dans les pays européens que les dictionnaires et les encyclopédies l’intègrent4. En Suisse, les exécutifs cantonaux prennent soin de ne pas entraver le développement de l’autonomie communale, d’où le développement du référendum communal dans toute la Confédération. Dans la mesure où il existe une forme de souveraineté locale, le référendum joue un rôle similaire à tous les échelons, alors qu’en France, le peuple local5 n’a pas d’existence juridique, puisqu’il contredirait l’unité de la souveraineté nationale. En Allemagne, le vocabulaire actuel distingue les demandes référendaires et les référendums à l’échelon du Land (Volksbegehren, Volksentscheid) et à l’échelon des Kreise et des communes (Bürgerbegehren, Bürgerentscheid).

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le référendum, en tant qu’instrument spécifique d’intervention des citoyens, est relativement moderne. En effet, mis à part quelques essais médiévaux6, le référendum apparaît réellement au XVIIIe siècle comme instrument moderne,

1 Francis HAMON, 1993, « L’idée de démocratie directe de la Révolution à nos jours », dans Francis HAMON, Jacques LELIÈVRE (dir.) L’héritage politique de la Révolution française, Lille, Presses Universitaires de Lille, p. 73.

2 Maurice BLOCK, 1885, Supplément annuel au dictionnaire de l’administration française, Paris, éditions Berger-Levrault et Compagnie.

3 Maurice BLOCK, 1905, Dictionnaire de l’administration française, Paris, éditions Berger-Levrault, cinquième édition, pp. 2267-2268.

4 Charles RABANY, septembre-décembre 1905, Revue générale d’administration, p. 160 : « de même en Norvège et surtout en Suisse le referendum a pris une extension et porte aussi bien sur les questions de politique générale que d’administration communale ».

5 La décision n°91-290 du Conseil Constitutionnel datant du 9 mai 1991 a refusé la mention de “peuple corse” dans la loi portant sur le statut de la collectivité territoriale de Corse.

6 Charles RABANY, septembre-décembre 1905, Revue générale d’administration, pp. 159-160 : « Villehardouin, le premier de nos historiens chroniqueurs, raconte que, lorsqu’il fut envoyé avec cinq autres députés pour demander aux Vénitiens des vaisseaux afin d’embarquer les soldats de la quatrième croisade, il fut reçu avec ses compagnons dans l’église Saint-Marc, où tout le peuple était

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 30 au moment où le système représentatif est à son tour défini. Le premier référendum constituant a lieu entre février et juin 1778 au Massachusetts et est précédé par une résolution votée le 5 mai 1777 par l’Assemblée générale de cet État conviant le peuple à élire un nouveau parlement chargé d’élaborer une constitution de gouvernement, laquelle serait présentée au peuple dans les assemblées locales (town-meetings) pour approbation. Si les deux tiers des hommes âgés de 21 ans et présents dans les town-meetings l’acceptent, le parlement serait autorisé à la ratifier1, ce qui ne s’est pas produit en raison du résultat négatif du référendum. En mars 1780, la Constituante avait achevé ses travaux et la Constitution, dont l’auteur principal fut John Adams et qui servirait de modèle à la Constitution fédérale de 1787, fut soumise au vote des électeurs dans les villes. Selon Andreas Auer, le référendum constitutionnel est un « pur produit de l’époque révolutionnaire américaine »2. Force est de constater que le référendum a été pratiqué à l’échelle d’un État à la fin du XVIIIe siècle, alors même qu’il existait dans la pratique à l’échelon local. Le référendum local précède d’une

certaine manière le référendum national, mais c’est le référendum constitutionnel qui rend paradoxalement opératoire la définition de la technique. Les collectivités publiques

inférieures (pour le cas des États-Unis, les comtés et les municipalités) avaient auparavant connu des situations référendaires et des votes locaux sur des questions particulières.

En France, le premier référendum national a lieu sous la Révolution française même si le texte du 24 juin 1793, après avoir été ratifié par le peuple, n’a jamais vu le jour. Sous la Révolution française, on peut distinguer deux traditions de démocratie directe, l’une refusant toute formalisation de la souveraineté populaire et s’attachant à une conception spontanéiste voire immédiate, l’autre unanimiste refusant toute parcellisation des procédures qui doivent être ramenées au peuple dans son ensemble3.Ces deux traditions s’affrontent régulièrement sans pour autant rendre possible l’idée de démocratie directe locale. Anne-Sophie Chambost a montré récemment comment la ville de Lyon avait instauré un système véritable de

rassemblé. Le vieux doge Dandolo monta dans la chaire et exposa aux Vénitiens les propositions des croisés. Tout le peuple cria : “nous le voulons” ».

1 Andreas AUER, 1989, Le référendum et l’initiative populaire aux Etats-Unis, Berne, éditions Helbing et Lichtenhahn, p. 53.

2 Ibid., p. 74.

3 Francis HAMON, 1993, « L’idée de démocratie directe de la Révolution à nos jours », dans Francis HAMON, Jacques LELIÈVRE (dir.), L’héritage politique de la Révolution française, Lille, Presses Universitaires de Lille, p. 75.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 31 referendum municipal aux débuts de la Révolution avant que ce type de démocratie locale ne soit qualifié de fédéraliste en 17931.

Le premier référendum local est organisé sur un principe de délimitation territoriale. Certes, le cas des référendums territoriaux est particulier, on doit cependant les considérer comme locaux. Ainsi, les communes d’Avignon et de Comtat furent les premières à connaître un référendum sur leur rattachement à la France en juillet 1791 ; la commune de Tende en 1947 en a connu un juste après la guerre pour être rattachée à la France. De ce point de vue, le référendum est un outil de délimitation territorial essentiel lié au principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans la Constitution allemande actuelle, l’article 29 rappelle qu’un référendum est obligatoire en cas de modification des frontières territoriales d’un Land.

Le local ne renvoie pas aux mêmes entités administratives selon les cultures politiques considérées, d’où l’ambiguïté de la notion de référendum local qui ne peut en aucun cas revêtir une définition générale. En France, la tradition centralisatrice a considéré comme

local tout ce qui ne relevait pas du gouvernement central alors qu’en Allemagne, par exemple, l’échelon local renvoie explicitement aux communes et aux Kreise2, puisque les

Länder ont des constitutions propres. Ainsi si la taille d’un Land est comparable à celle d’une région française, une région est considérée comme étant une entité locale en France alors qu’en Allemagne, les Länder ont une réelle autonomie définie dans un cadre fédéral. Comme l’écrit Luigi Bobbio, « Le domaine local par excellence correspond aux villes (les villages, les pays) et les gouvernements locaux sont par excellence les gouvernements municipaux »3. Il poursuit en montrant que

1 Anne-Sophie CHAMBOST, 2005, « Les enjeux de la consultation populaire au niveau urbain. Éléments de réflexion dans les premiers temps de la Révolution », dans Gérard MARCOU, Hellmut WOLLMANN (dir.), La gouvernance territoriale, annuaire 2006 des collectivités locales, Paris, éditions CNRS, p. 81.

2 Il n’existe pas de traduction exacte de ce terme, il est donc préférable de maintenir le terme de Kreis (Kreise au pluriel) qui est semblable à la taille d’un canton français, mais dont les compétences et les fonctions sont quasiment celles d’un département. C’est aussi le choix effectué par Bérénice Manac’h dans sa traduction de l’introduction faite par Henrik Uterwedde du panorama communal en France et en Allemagne. Henrik UTERWEDDE, 1990, Kommunen in Frankreich und Deutschland, Einführung

in die kommunale Selbstverwaltung in Frankreich und der Bundesrepublik Deutschland, Bonn,

Multimedia Verlag, p. 52.

3 Luigi BOBBIO, 2002, I governi locali nelle democrazie contemporanee, Bari, éditions Laterza, pp. 6-7 (traduit de l’italien par nous).

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 32 « Le problème consiste dans le fait qu’existent des gouvernements sub-nationaux qui ont une dimension territoriale plus petite que celle nationale mais qui ne peuvent pas être considérés comme "locaux". C’est le cas des membres d’une fédération. Les États qui composent les États-Unis d’Amérique, les Länder allemands ou autrichiens, les cantons suisses ne sont pas considérés comme des gouvernements locaux »1.

Le référendum local a plusieurs échelles d’application, mais un référendum lancé par un gouvernement sub-national2 ne peut en aucun cas être appelé un référendum local. L’échelon de prédilection du local est celui de la commune, la langue allemande ayant d’ailleurs distingué le Bürgerentscheid (référendum communal) du Volksentscheid (référendum régional) à l’échelon des Länder. Il est en fait un vote local en dehors des circonstances électorales qui a valeur consultative ou décisionnelle. Une typologie de la valeur de ces votes locaux et de leur provenance est nécessaire pour comprendre l’amplitude des instruments de démocratie directe.

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