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A) La recherche comparative configurationnelle

1) Les étapes de la recherche qualitative

Les enquêtes qualitatives ont consisté en entretiens semi-directifs dans les communes ayant connu plusieurs référendums et consultations dans le passé (Cobourg en Bavière, Mons-en-Baroeul dans le Nord)2. D’autres ont été menés à Paris et à Münich, à Arcueil, à Halstenbek (Schleswig-Holstein) et à Hambourg3. Cette série est destinée à saisir l’inscription du référendum au sein de systèmes de démocratie locale, ces entretiens étant essentiellement réalisés auprès d’un public d’agents communaux chargés d’organiser la procédure, afin de mesurer le temps du processus référendaire en lui-même4. L’objectif était de comprendre comment les agents administratifs et les acteurs mettaient en place la procédure5.

Cette série d’entretiens permettait d’analyser les cas déviants c’est-à-dire les cas particuliers de communes ayant développé une tradition référendaire avec une fréquence beaucoup plus élevée que la moyenne des communes. Ces cas déviants permettent d’approfondir le recours à la pratique du référendum local au sein du système de démocratie locale et font partie de la méthode des ensembles flous propres à la méthode comparative configurationnelle. Comme le remarque Catherine Moury, cette méthode a deux stratégies :

1 Charles C. RAGIN, 2004, « La spécificité de la recherche configurationnelle », Revue Internationale

de Politique Comparée, vol. 11, n°1, p. 138.

2 Le récapitulatif des entretiens et périodes d’observation est donné dans les annexes.

3 Paris a connu quelques référendums locaux (qui sont en fait des référendums d’arrondissement), Münich est la ville allemande ayant connu le plus d’initiatives populaires ces dernières années (une vingtaine) ; Arcueil et Halstenbek ont été choisies d’une part en raison de leur situation (villes à proximité d’une grande métropole) et d’autre part en raison de la démarche participative et en particulier de l’usage du référendum local.

4 Cette phase méthodologique est essentielle pour la définition des variables pertinentes dans l’étude des procédés référendaires. Howard S. BECKER, 2002, Les ficelles du métier, comment conduire sa

recherche en sciences sociales, Traduit de l’anglais par Jacques MAILHOS et révisé par Henri

PERETZ, Paris, La Découverte, p. 131.

5 PINSON Gilles, SALA PALA Valérie, octobre 2007, « Peut-on vraiment se passer de l’entretien en sociologie de l’action publique ? », Revue Française de Science Politique, vol. 57, n°5, pp. 555-597.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 56 « les recherches statistiques, en testant les (configurations de) variables identifiées comme pertinentes par l’analyse des ensembles flous, et les recherches en profondeur pour comprendre les cas identifiés comme déviants ou pour approfondir la nouvelle théorie »1.

Ces entretiens semi-directifs ont été complétés par des entretiens auprès d’élus locaux (maires, maires-adjoints), de responsables politiques locaux et de militants associatifs. La relation entre ces deux séries tient au fait que nous souhaitions interroger à la fois des agents administratifs en charge de l’organisation matérielle de la procédure et des acteurs politiques ayant initié le référendum local. Sachant que la Suisse permettait de donner en contrepoint une vision de la palette des mécanismes référendaires, nous avons complété ces études par une série d’entretiens dans une commune du canton de Genève, la commune de Meyrin, qui a connu plusieurs initiatives populaires et plusieurs référendums sur le même sujet depuis de nombreuses années. D’autres entretiens complémentaires avec des responsables politiques locaux ainsi que des enquêtes historiques sur les droits populaires en Suisse ont permis de mettre en perspective la comparaison franco-allemande.

Le deuxième temps fort de notre démarche qualitative a été marqué par une série d’observations participantes venant approfondir le rôle des promoteurs de la démocratie directe. Nous avons procédé à plusieurs observations participantes, dont l’une fut menée en Allemagne auprès de l’association constituée spécifiquement autour de la promotion des référendums locaux, Mehr Demokratie (Plus de démocratie). Comme le souligne Jean Copans,

« Mot à mot l’expression d’ "observation participante" est un non-sens. L’observation implique peut-être la participation, c’est-à-dire la présence, mais encore faut-il qu’elle soit techniquement et socialement permise et possible. D’autre part l’observation n’est pas que visuelle, elle est aussi "auditive" »2.

Plus la participation est forte, plus l’observation se révèle riche ; en votant pour le renouvellement du bureau de l’association, en prenant part à des actions ponctuelles et à un week-end de formation annuelle, nous avons pu dégager le parcours biographique de ces acteurs. Nous avons choisi d’adhérer à cette association pour pouvoir suivre les actions, les

1 Catherine MOURY, 2004, « Les Ensembles Flous pour y voir plus clair : décoder les caractéristiques des accords de coalition en Europe occidentale », Revue Internationale de Politique Comparée, vol. 11, n°1, p. 103.

2 Jean COPANS, 2005, L’enquête et ses méthodes, l’enquête ethnologique de terrain, Paris, Armand Colin, p. 36.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 57 réunions et les manifestations de cette association et accéder aux archives et au centre de documentation1. Nous avons été rattaché à la section du Bade-Wurtemberg et cela nous a permis d’assister aux débats du Parlement local du Bade-Wurtemberg le 1er juin 2005 au moment des discussions sur l’abaissement du taux d’approbation en cas de référendum local dans les communes de ce Land. L’observation participante a été effectuée avec une distanciation relative : il s’agissait de s’impliquer pour négocier l’accès aux informations et aux archives de l’association. Comme le rappelle Georges Lapassade,

« Le chercheur s’efforce de jouer un rôle et d’acquérir un statut à l’intérieur du groupe ou de l’institution qu’il étudie. Ce statut [lui permet] de participer aux activités comme un membre, tout en maintenant une certaine distance »2.

L’observation participante se compose de phases d’observations simples, de recueil de données, d’entrevues structurées et d’entretiens directifs. Une « entrevue

semi-structurée »3 diffère de l’entretien face-à-face et de l’intervention sociologique : il ne s’agit pas du récit d’une simple observation ni d’un entretien face-à-face mené en fonction d’objectifs, mais plutôt d’une discussion moins formelle au cours de laquelle l’acteur parle de sa pratique.

Cette observation participante a été renforcée par notre participation aux initiatives de l’Institut pour le Référendum et l’Initiative populaire (IRI)4, think tank centré autour de la promotion des pratiques de démocratie directe en Europe. En participant à un voyage organisé en Suisse par l’IRI et financé par Présence Suisse pour un public d’experts français, nous avons pu également recueillir un certain nombre de documents relatifs à cette organisation et réaliser une série d’entrevues semi-structurées retraçant les objectifs et les moyens de cette

1 Cette adhésion ne s’est pas faite dans l’optique d’un souci normatif de positionnement par rapport à la démocratie dite directe. Elle avait essentiellement un objectif de recherche et d’études permettant de connaître à la fois la manière dont les adhérents de cette association agissaient et leur profil sociologique. Cette association revendique une neutralité partisane qui s’explique par le fait qu’elle souhaite dépasser les clivages du système représentatif.

2 Georges LAPASSADE, 2006, « Qu’est-ce que l’observation participante ? » dans Remi HESS, Gabriele WEIGAND (dir.), L’observation participante dans les situations interculturelles, Paris, Economica, p. 19.

3 Maurice TARDIF, AHMED ZOURHAL, 2005, « Enjeux et difficultés de la diffusion de la recherche sur l’enseignement entre les milieux scolaires et universitaires » dans Les Sciences de l’éducation,

revue internationale, vol. 38, n°4, 2005, p. 90.

4 Stéphen BOUCHER, Martine ROYO, 2006, Les Think tanks, cerveaux de la guerre des idées, Paris, éditions du Félin, p. 59.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 58 institution. Nous avons également rendu visite à l’Institut de démocratie directe de Dresde, optant pour une compréhension des mécanismes juridiques des procédés de démocratie directe. Ces entrevues semi-structurées au sein de ces instituts ont permis de saisir la manière dont une pédagogie référendaire est développée. La complexité des conditions juridiques encadrant le référendum local implique une comparaison des administrations communales, ces instituts se faisant le relais de cette compréhension.

Afin de comprendre la façon dont le référendum local était articulé aux autres instruments de démocratie participative, nous avons effectué des observations participantes pour suivre le cheminement d’autres procédures de démocratie participative telles que le débat public en France avec en particulier le suivi d’un débat public complet sur le projet de contournement autoroutier de Bordeaux qui a eu lieu de septembre 2003 jusqu’à la fin du mois de décembre. Nous avons également été stagiaires en animation locale dans un Centre social à Bordeaux, afin d’appréhender la façon dont la participation des habitants à la vie de quartier était conçue. La mise en perspective des procédés de démocratie participative en France a pu être confrontée à une littérature existant en Allemagne sur les instruments de participation locale. Assister à des conseils de quartier, interroger des habitants sur leur conception de la vie locale nous renvoient à une dimension plus secrète et plus intime de la participation, d’autant que certaines communes françaises ont récemment attiré l’attention au moyen de référendums locaux illégaux sur le droit de vote des étrangers pour les élections locales1. Sachant que ces consultations insistent sur l’expression d’une citoyenneté résidentielle, il nous a paru important d’écrire un « journal d’itinérance »2 retraçant la façon dont la participation des habitants à la vie de quartier était formalisée et les relais établis auprès des autorités locales. Cette expérience a été reliée à une autre observation participante que nous avions effectuée dans la commune d’Arcueil lors d’une fête de quartier en décembre 2003. Cette commune ayant institué des conseils de quartier depuis 1996 et ayant eu recours par deux fois à la consultation locale (sans compter les consultations de quartier) nous a paru significative.

1 « Vote des étrangers, qu’est-ce qu’on attend ? », Libération, 10 et 11 décembre 2005. En 2002, 70 communes avaient organisé un vote sur le droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections locales. 40 000 personnes avaient participé à ce référendum sauvage, 91,2% des suffrages exprimés étaient en faveur de ce principe.

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