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Chapitre 1 : L’insertion du référendum dans les systèmes politiques locaux politiques locaux

A) La banalisation de la pratique référendaire

1) Les assemblées communales

Le développement des référendums communaux en Suisse n’est pas très ancien, puisque le référendum a surtout été utilisé au niveau des cantons. Le référendum communal n’est pas courant, en partie parce qu’une autre institution de démocratie directe subsiste à l’époque, à savoir l’assemblée générale des habitants connue sous le nom de Landsgemeinde. Cette institution demeure semblable aux institutions antiques comme le note le géographe Elisée Reclus qui décrit la façon dont elle fonctionnait au niveau cantonal:

« Les assemblées de Schwitz et de Zug ont été abolies, la première à la suite de l’invasion française, en 1798, la seconde après les affaires du Sunderbund. Quant à celles des deux cantons forestiers Uri et Unterwalden, elles se tiennent encore en grande pompe et sont fort curieuses à voir comme une apparition des siècles passés, singulièrement embellie par le paysage qui les entoure ; mais ce ne sont guère que des formes surannées, servant à déguiser le déplacement du pouvoir, passé aux mains de quelques familles influentes. C’est à Trogen, dans les Rhodes Extérieures, que la Landsgemeinde impose le plus par le nombre, car elle est formée quelquefois de plus de dix mille citoyens. L’assemblée de Glaris est celle qui a gardé la plus grande part des anciennes prérogatives ; elle se distingue aussi par un curieux usage. Les enfants y assistent : groupés autour de l’estrade, ils écoutent les discours des hommes faits et s’initient à la discussion des affaires publiques »2.

1 Jean MEYLAN, 1993, Le référendum local en Suisse et en Europe, Publications par l’Association suisse pour le conseil des communes d’Europe, p. 31.

2 Élisée RECLUS, 1878, Nouvelle Géographie Universelle, tome III, L’Europe centrale, Paris, librairie Hachette, p. 126.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 76 Cette institution subsiste encore de nos jours dans deux demi-cantons, Glaris et Appenzell Rhodes extérieures, mais elle se distingue du référendum en ce sens que la délibération et la décision sont prises dans le même espace physique, dans une relation de « face-à-face »1. Au contraire, la « démocratie référendaire » est selon Giovanni Sartori « un système politique dans lequel le demos décide directement de questions particulières non plus ensemble mais séparément »2. Cette séparation permet à la fois de distinguer le moment de la délibération, celui du vote et enfin celui de la décision. Le temps de réflexion est plus long lorsqu’il y a lancement d’un référendum que lorsque l’assemblée générale se réunit. Selon Stefano Rodotà,

« La procédure référendaire peut être étirée dans le temps afin d’éloigner le moment du vote de la demande référendaire. De même, les référendums peuvent être organisés uniquement à certaines périodes de l’année (à des moments spécifiques ou en les faisant correspondre aux élections politiques). De cette manière, puisqu’il serait nécessairement précédé d’une phase d’information et de réflexion relativement longue, le vote référendaire serait débarrassé de données par trop émotionnelles »3.

Le problème majeur de la Landsgemeinde est d’une part la concentration des moments de délibération et de décision et d’autre part les pressions sociales que pouvaient subir certains membres de ces assemblées, parce que la plupart des votes n’y étaient pas secrets. Il est par conséquent important de distinguer les procédés de démocratie directe de ceux de la démocratie semi-directe tels que le référendum qui représente

« un compromis entre les contraintes posées par la grande taille et la dispersion géographique du corps électoral – qui rendent impossible la tenue de véritables assemblées populaires de type Landsgemeinde ou town-meeting – et l’exigence d’une participation directe des citoyens à la prise de décision, non médiatisée par des représentants »4.

Pour les communes, il est à signaler que plus de 85% des communes suisses fonctionnent encore suivant le modèle de l’assemblée communale5. On a retrouvé des traces de ce type de

1 J.S. FISHKIN, 1995, The Voice of the People, Public Opinion and Democracy, New Haven, Yale University Press, p. 4.

2 Giovanni SARTORI, 1993, Democrazia Cosa é, Milan, éditions Rizzoli, p. 83.

3 Stefano RODOTÀ, 1999, La démocratie électronique, de nouveaux concepts et expériences

politiques, Paris, éditions Apogée, p. 73.

4 Yannis PAPADOPOULOS, 1998, « Démocratie directe, mobilisation, intégration » dans Gérard DUPRAT (dir.), L’ignorance du peuple, Essais sur la démocratie, Paris, PUF, p. 79.

5 Jean MEYLAN, 1993, Le référendum local en Suisse et en Europe, Modalités, pratiques,

perspectives, Lausanne, Publications de l’Association suisse pour le conseil des communes d’Europe,

p. 9. Andreas LADNER, 1991, Politische Gemeinden, kommunale Parteien und lokale Politik : Eine

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 77 fonctionnement en Allemagne, puisque certaines communes vivent sous le régime de la

Gemeindeversammlung. Selon Philipp Karr, sur 14 197 communes, seules 46 en connaissent

le principe (0,04% des communes) avec une population de moins de 100 habitants (il en existe 19 dans le Brandebourg et 27 dans le Schleswig-Holstein)1. Cette institution marginale est d’ailleurs reconnue par l’article 28 de la Constitution fondamentale. Cela explique en quoi les promoteurs de la démocratie directe sont attirés par ce type d’institution qui fonctionnait dans les assemblées germaniques médiévales. On retrouve cette possibilité instituée dans d’autres pays européens à l’instar de l’Espagne où la loi de 1985 sur l’organisation des élections locales a institué pour les communes de moins de 100 habitants la possibilité du système de l’assemblée locale (soit 932 municipalités concernées)2. Ces communes n’ont pas de conseil municipal à proprement parler mais un maire qui dirige les débats de ces assemblées de voisinage.

En tant que membre de l’association Mehr Demokratie, nous avions été invité par Gerald Häfner, l’un des responsables nationaux de l’association, pour un voyage d’études en Suisse, afin d’assister à la session de l’un des deux Landsgemeinde existantes, celle du canton de Glaris3. Lors de notre entretien avec Konrad Jung4, secrétaire de l’Institut de démocratie directe de Dresde, celui-ci nous a raconté la façon dont s’est déroulé le voyage, avec des observations et des conférences autour de ce thème. Chaque année, Mehr Demokratie invite ses membres, des chercheurs et des acteurs intéressés par le thème de la démocratie directe pour y effectuer une sorte de pèlerinage. Lors d’un entretien avec Bruno Kaufmann, directeur

1 Philipp KARR, 2003, Institutioner direkter Demokratie in den Gemeinden Deutschlands und der

Schweiz, eine rechtsvergleichende Untersuchung, Baden-Baden, Nomos, p. 119. Dieter GRUNOW,

Hellmut WOLLMANN (Hrsg.), 1998, Lokale Verwaltungsreform in Aktion : Fortschritte und

Fallstricke, Basel, Boston, Berlin, Birkhäuser Verlag, p. 413.

2 José Manuel RODRÍGUEZ ÁLVAREZ, 2005, « Local Democracy Reforms in Spanish Cities », in Herwig REYNAERT, Kristof STEYVERS, Pascal DELWIT, Jean-Benoît PILET (Dir.), Revolution or

Renovation? Reforming Local Politics in Europe, Bruges, Vanden Broele Publishers, p. 174.

3 Nous avons reçu ce courrier le 17 mars 2006 de la part d’un des responsables de l’association Mehr

Demokratie et qui a été député Vert au Bundestag : « Nous aimerions vous inviter à assister à [la Landsgemeinde] d’Appenzell Rhodes-Intérieures qui se tiendra le 30 avril à midi sur la Landsgemeindeplatz comme depuis 1378, pour élire le Landammann (représentant du gouvernement

cantonal), la commission cantonale (exécutif du canton) et les juges et pour décider des lois et des devoirs du canton ».

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 78 de l’Institut pour le Référendum et l’Initiative, celui-ci a clairement pris position contre ce type d’institution peu mobilisatrice.

« Les Allemands ont toujours été fascinés par ces assemblées qu’ils ont tendance à idéaliser. C’est le cas de Mehr Demokratie qui organise régulièrement des voyages et des rencontres autour du thème de la Landsgemeinde, alors même qu’elle est tombée en désuétude et qu’elle subsiste dans deux demi-cantons »1.

Les assemblées communales subsistent comme des vestiges de participation des habitants à la vie locale, mais le cas suisse est marqué par un nombre important de référendums communaux.

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