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B) La spécificité du référendum local

3) Types de votes locaux non électifs

Lorsque l’objet d’un référendum est issu d’une demande citoyenne, on parle alors d’initiative populaire. Celle-ci est définie par un certain nombre de signatures valides à atteindre. Elle est décisionnelle lorsqu’elle contraint les autorités locales à statuer sur son objet, c’est-à-dire soit à accepter la requête telle quelle soit à organiser un vote local. Elle est

consultative et est ramenée à un effet pétitionnaire lorsque les autorités ne sont pas obligées

de statuer sur son objet. Une pétition est une demande accompagnée d’un certain nombre de signatures sans qu’un taux spécifique minimal soit visé : la pétition est plus le reflet d’une demande spontanée visant à interpeller les autorités sur un problème particulier. Le tableau 1 détaille l’ensemble de ces outils de démocratie directe au niveau local définis selon les différentes cultures politiques.

Tableau 1 : Panoplie des outils de démocratie directe

Nom de l’outil Définition Caractéristiques Lieu Situation temporelle

Assemblée Réunion de tous les

citoyens à une date Remplace le système Communes suisses, 46 Assemblée régulière (une

1 Ibid., p. 7.

2 Les Subgovernments ont une importance dans la production de politiques publiques locales. Volker SCHNEIDER, Frank JANNING, 2006, Politikfeldanalyse, Akteure, Diskurse und Netzwerke in der

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 33

communale précise et régulière. représentatif local communes du

Schleswig-Holstein, quelques communes du Brandebourg

fois par an)

Initiative populaire

Quorum de signatures Elle est soit contraignante soit consultative Initiative populaire décisionnelle en Allemagne, initiative consultative en France Initiative réactive visant l’abrogation d’une décision locale (Länder allemands), initiative visant un futur projet de politique publique

Référendum local Vote sur une question d’intérêt local en dehors des élections Référendum consultatif ou décisionnel Référendum décisionnel en Allemagne, référendum consultatif et décisionnel en France En France, pas de référendum local avant ou après l’élection

Pétition Interpellation des autorités sur une question particulière Seuil minimal de signatures pour examen par l’assemblée délibérante compétente Pétition en France et en Allemagne (Einwohnerantrag) Pas de contrainte temporelle sur les pétitions

Le tableau 1 donne l’idée d’une gradation de ces outils puisque l’assemblée communale est un résidu des pratiques de démocratie directe telles qu’on les trouvait à Athènes et dans certaines communes au Moyen-Âge. En effet, ces outils s’enracinent dans l’essor du mouvement communal que l’on repère à partir du IXe siècle en Europe1. Les formes de gouvernement autonome qui se sont développées dans les villes italiennes notamment ont conduit à l’élaboration de mécanismes de partage du pouvoir entre les nobles et les bourgeois2.Le mode de l’assemblée communale avec droit de référendum s’est développé au XVe siècle au sein de la république Rhétique, à l’Est de la Suisse.

1 Ce mouvement communal est notamment très présent dans les villes germaniques à l’instar d’Augsbourg, Ratisbonne, Magdebourg, Leipzig qui profitèrent des rivalités entre le pouvoir politique et religieux. Pierre GAXOTTE, 1963, Histoire de l’Allemagne, Paris, éditions Flammarion, tome I, p. 328.

2 Samuel P. HUNTINGTON, Mai 2000, Le Choc des civilisations, Paris, éditions Odile Jacob pour la traduction française, p. 92. Il lie profondément la civilisation occidentale à la présence de corps intermédiaires ayant permis des formes de représentation et de pluralisme social sans précédent. De ce

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 34 « Les citoyens de chaque commune se prononçaient sur les décisions à prendre au niveau d’une ligue, ou même au niveau de la république, car les représentants des communes à la Diète des Grisons devaient consulter leurs électeurs avant d’y défendre une position. Et la Confédération, composée de treize cantons à l’époque, institua aussi en 1513 une prise de décision décentralisée au niveau des communes, sur le mode référendaire »1.

L’initiative populaire est en fait l’instrument le plus direct que l’on peut trouver dans des systèmes représentatifs puisqu’elle provient de citoyens, partis politiques et associations diverses. En France, l’initiative populaire communale est consultative alors qu’en Allemagne tous les Länder ont institutionnalisé l’initiative populaire décisionnelle avec des quorums variables de signatures2. De surcroît, les Länder ont ajouté la possibilité d’une initiative

réactive en institutionnalisant un délai de réaction des citoyens aux décisions locales pouvant

être discutées. Ce délai correspond au temps accordé aux citoyens pour qu’ils rassemblent des signatures en vue de demander un référendum local sur une question. Cette initiative de type abrogatif vise à annuler une décision prise par les autorités locales. Nous nous situons alors dans un cas où le référendum local a la faculté de suspendre une décision et de perturber le

travail des représentants. Le référendum provenant d’une initiative populaire est appelé référendum d’initiative populaire et relève plus de la démocratie directe, car la demande est

réellement citoyenne et vise à mobiliser les autorités pour qu’elles organisent un vote sur la question.

Le référendum local, en tant que vote sur une question locale, peut procéder d’une initiative populaire ou d’une initiative des autorités locales. Ainsi évoquer le référendum local ne consiste pas uniquement à se limiter au vote lui-même, mais à considérer l’ensemble des outils de la panoplie, que ce soit des instruments de démocratie directe (initiative populaire) ou semi-directe (référendum à l’initiative des élus). Les mécanismes référendaires ne se limitent pas à l’évocation d’un instrument spécifique permettant aux citoyens d’attirer l’attention des autorités sur un problème particulier. C’est pourquoi nous préférons parler de

moment référendaire rassemblant toutes les occasions de participation des habitants à la vie locale par le biais d’un vote. Cette conceptualisation de notre objet comme moment

point de vue, les premières traces de référendum local seraient à mettre au compte de l’affirmation d’une autonomie locale.

1 Yannis PAPADOPOULOS, 1998, Démocratie directe, Paris, Economica, p. 26.

2 Pierre SADRAN, décembre 2002, « Le référendum local », Regards sur l’actualité, La Documentation française, p. 33.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 35 référendaire permet de mettre l’accent à la fois sur l’opportunité que les citoyens saisissent pour mettre sur l’agenda des autorités locales une question politique importante et sur les conséquences de cette intervention dans le circuit temporel de la décision locale. Il faudra veiller à trois paramètres importants permettant d’apprécier la portée de ces instruments, d’une part la provenance de l’initiative, puis la contrainte sur la décision locale et enfin le

type de décision concerné par l’usage du référendum.

La première remarque qui s’impose est celle d’une ambiguïté de la législation française qui a ajouté en mars 2003 le référendum local décisionnel au référendum consultatif local : ainsi, le choix est laissé aux élus d’organiser une consultation locale ou de rendre contraignant le référendum. Alors que l’initiative populaire reste purement consultative en France, cette double législation a l’avantage de laisser les élus piloter étroitement la procédure et de définir eux-mêmes les modalités du vote local. En d’autres termes, la décentralisation française ne rime pas nécessairement avec démocratisation puisque les élus locaux peuvent transformer ces opérations en plébiscites servant à légitimer leur pouvoir local et leur rôle au sein des espaces publics locaux. En Allemagne, les législations témoignent d’une reconnaissance plus forte de l’initiative populaire et du référendum qui deviennent des instruments adéquats aux formes de mobilisation citoyenne.

En deuxième lieu, il faut aussi signaler la différence majeure dans l’utilisation du terme

plébiscite dans les deux langues, dans la mesure où ce terme a une connotation péjorative en

français1, alors qu’en allemand, le terme de Plebiszit permet de distinguer les mécanismes référendaires et électoraux des autres instruments de participation. Selon Pieter Dienel, « sous le concept de plébiscite, on rassemble l’ensemble des procédures qui, dans une corporation de droit public, donnent la même chance de participation aux électeurs »2. Il s’agit, de manière sous-jacente, de différencier d’une part la participation par le vote (participation électorale et participation plébiscitaire3) des autres dispositifs participatifs qui visent des publics ciblés (conférences de consensus, cellules de planification). Dans les référendums et les élections locaux, la participation concerne l’ensemble des électeurs locaux et non une partie de ceux-ci.

1 La différenciation entre plébiscite et référendum est très difficile à établir. David BUTLER, Austin RANNEY, 1994, Referendums around the World, London, Macmillan Press, p. 1.

2 Peter C. DIENEL, 1992, Die Planungszelle, Opladen, Westdeutscher Verlag, p. 45.

3 On utilisera le concept de participation plébiscitaire pour caratériser la participation des citoyens à des procédures de démocratie semi-directe telles que l’initiative populaire ou le référendum.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 36 Selon Bärbel Martina Weixner, il existe en fait deux types de plébiscite, le Real-Plebiszit et le

Personal-Plebiszit, le premier portant sur les votations populaires (Bürgerinitiativen, Bürgerbegehren, Bürgerentscheide, Bürgerbefragungen) et le second sur les élections (Wahl)

et les révocations (Abwahl)1. Cela signifie que le concept de Plebiszit est un concept commun pour toutes les formes de votation que celles-ci soient des référendums ou des élections à caractère personnel alors qu’en français, il existe une discussion très approfondie sur la distinction entre le référendum et le plébiscite2. Comme le définit Georges Burdeau,

« La démocratie plébiscitaire n’utilise pas seulement les votations comme un moyen pour le chef d’accéder au Pouvoir, elle en fait un instrument de gouvernement. Loin d’être obligé de se taire, le peuple, tenu en haleine, est constamment consulté. Seulement, on ne lui demande pas ce qu’il veut, mais qui il veut »3.

Les plébiscites permettent donc au chef de l’exécutif de rallier une volonté populaire immédiate et de légitimer son pouvoir. Étudier les mécanismes plébiscitaires en Allemagne revient à étudier de manière objective les référendums locaux et les procédures révocatoires alors qu’en français le terme caractérise un détournement de la procédure référendaire à des fins de légitimation4.

La troisième remarque concerne la référence épisodique au cas helvétique qui aura l’avantage de mettre en perspective la comparaison franco-allemande à partir d’un pays offrant l’ensemble des possibilités réelles de démocratie semi-directe dans le monde. Dans ce cadre, le cas helvétique joue en quelque sorte le rôle de tertium comparationis5 permettant de cerner le développement des pratiques référendaires en France et en Allemagne. Avec une

1 Bärbel Martina WEIXNER, 2002, Direkte Demokratie in den Bundesländern, Opladen, Leske+Budrich, p. 82.

2 Cette discussion est d’ailleurs sans fin car les concepts ont été mêlés d’un point de vue terminologique. Dans un sens vieilli en français, le plébiscite est un référendum, un vote décisionnel d’un collège non constitutif d’une assemblée. Paul BACOT, 1994, Dictionnaire du vote, élections et

délibérations, Lyon, Presses universitaires de Lyon, p. 132.

3 Georges BURDEAU, 1966, La démocratie, Paris, Seuil, p. 56.

4 Lorsque certains auteurs utilisent le terme de plébiscite, c’est pour indiquer le caractère non obligatoire du référendum. En d’autres termes, si le référendum est une simple consultation à l’initiative des autorités, alors on peut considérer que c’est un plébiscite. Simon HUG, 2004, « Occurrence and policy consequences of referendums, a Theoretical Model and Empirical Evidence », Journal of Theoretical Politics, 16 (3), p. 324. Étant donné l’usage du terme « éléments plébiscitaires » en allemand, nous utiliserons le concept de plébiscite lorsqu’il y a clairement une optique de légitimation du pouvoir local.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 37 palette de vingt-six législations et des pratiques référendaires communales diverses selon les cantons, la Suisse offre de manière concentrée l’ensemble des combinaisons possibles entre les gouvernements locaux et les pratiques référendaires. Cette mise en perspective n’a absolument rien de normatif, elle nous sert à apprécier la définition et l’utilisation du référendum local dans les deux pays choisis.

Enfin, la dernière remarque a trait au champ des référendums locaux. En effet, le concept de moment référendaire englobe toutes les formes de votes locaux en dehors des élections et excède la simple définition juridique du référendum local. En d’autres termes, les consultations sauvages organisées en dehors de toute légalité feront l’objet d’une attention particulière en ce qu’elles revêtent une signification politique pour les initiateurs.

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