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Les travaux sur la participation locale en France et en Allemagne

B) La comparaison des pratiques de démocratie directe

2) Les travaux sur la participation locale en France et en Allemagne

Peu de travaux ont été réellement effectués de manière systématique sur la comparaison entre les procédures de démocratie semi-directe au niveau local dans plusieurs pays1. La comparaison des pratiques référendaires se limite la plupart du temps à l’échelon national2. Cette lacune est due au fait que la démocratie semi-directe est encore suspectée d’être une forme illégitime et donc inadaptée aux régimes représentatifs modernes. Laurence Morel a souligné en 1992 la manière dont les études scientifiques ont négligé le fait référendaire3. Cette négligence commence à être corrigée à l’échelon national, mais les études portant sur la comparaison des pratiques de démocratie semi-directe au niveau local sont encore trop rares. En France, les travaux de Marion Paoletti4 ont montré l’appropriation exclusive de cet instrument par les maires, ceux de Carole Chevilley-Hiver5 et de Patrick Mozol1 ont fait

1 Susan E. SCARROW, August 2001, « Direct Democracy and Institutional Change, A Comparative Investigation », Comparative Political Studies, vol. 34, n°6, p. 656. On trouve des éléments de comparaison dans les travaux de Joachim Schild, mais ceux-ci ne concernent pas le champ de la politique locale. Joachim SCHILD, 2000, Politische Konfliktlinien, individualistische Werte und

politischer Protest. Ein deutsch-französischer Vergleich, Opladen, Leske+Budrich.

2 David BUTLER, Austin RANNEY (eds.), 1978, Referendums, a comparative study of practice and

theory, Washington, American Enterprise Institute for Public Research. David BUTLER, Austin

RANNEY (dir.), 1994, Referendums around the World, London, Macmillan Press. Wolfgang LUTHARDT, 1994, Direkte Demokratie: Ein Vergleich in Westeuropa, Baden-Baden, Nomos. Silvano MÖCKLI, 1994, Direkte Demokratie: Ein internationaler Vergleich der Einrichtungen und

Verfahren in der Schweiz und Kalifornien, unter Berücksichtigung von Frankreich, Italien, Dänemark, irland, Österreich, Liechtenstein und Australien, Bern, Haupt. Francis HAMON, 1995, Le referendum: Étude comparative, Paris, LGDJ. Serge ZOGG, 1996, La démocratie directe en Europe de l’Ouest, Arles, Actes Sud. Lawrence LEDUC, 2002, « Referendums and Initiatives. The Politics of

Direct Democracy », in LEDUC Lawrence, NIEMI Richard G., NORRIS Pippa (Eds.), Comparing

Democracies. New Challenges in the Study of Elections and Voting, London, Sage, pp. 70-87.

3 Laurence MOREL, 1992, « Le référendum : état des recherches », Revue Française de Science

Politique, volume 42, n°5, pp. 835-864.

4 Marion PAOLETTI, 1996, Analyse de la démocratie locale à travers la genèse institutionnelle du

référendum, Thèse de science politique, Université de Bordeaux IV, 495 pages. Marion PAOLETTI,

1997, La démocratie locale et le référendum : analyse de la démocratie à travers la genèse

institutionnelle du référendum, Paris, L’Harmattan, 235p.

5 Carole CHEVILLEY-HIVER, 1999, La participation directe des citoyens aux décisions locales, Thèse de droit, Université de Besançon, 637 p.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 49 ressortir la lente codification des instruments de participation locale. Les travaux de Cécile Blatrix2 sur la démocratie participative ont également porté sur la difficile émergence de cet instrument et Olivier Borraz3 a proposé une comparaison d’études de gouvernements locaux entre deux villes suisses et deux villes françaises en mettant en évidence le poids de la contrainte référendaire en Suisse.

De nombreuses études avaient été faites auparavant sur le référendum national à l’instar de celle de Laurence Morel4 qui a proposé une comparaison de l’inclusion de la démocratie directe au sein des régimes représentatifs de l’Europe de l’Ouest. En revanche, mis à part des articles ou des contributions à des ouvrages collectifs, nous n’avons repéré aucune étude française sur la démocratie directe en Allemagne, en particulier sur le plan local ces dernières années, ce qui est d’une certaine manière une régression dans l’étude de la démocratie directe par rapport à l’entre-deux-guerres où des thèses ont été publiées sur le référendum et l’initiative populaire dans les Länder allemands dans le cadre d’une analyse des mécanismes de démocratie directe du régime de Weimar5.

1 Patrick MOZOL, 2002, La participation du public à la vie municipale, Thèse de droit, Université d’Aix-Marseille.

2 Cécile BLATRIX, 2000, La “démocratie participative”, de Mai 68 aux mobilisations anti-TGV,

Processus de consolidation d’institutions sociales émergentes, Thèse de doctorat, Université de Paris

I, 612 pages.

3 Olivier BORRAZ, 1994, Le gouvernement des villes : une analyse comparée dans deux villes suisses

et deux villes françaises, Thèse de sociologie, Institut d’études politiques de Paris, 631p. Olivier

BORRAZ, 1998, Gouverner une ville : Besançon, 1959-1989, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 227p.

4 Laurence MOREL, 1992, Les référendums dans les régimes parlementaires d’Europe de l’Ouest :

l’intégration de la démocratie directe à la démocratie représentative, libérale et partisane, Thèse de

science politique, Institut universitaire de Florence.

5 Louis FAURÉ, 1926, Les institutions de gouvernement direct en Allemagne depuis la guerre. Étude

de droit constitutionnel comparé, Thèse de la Faculté de droit de Paris. Aimé MALVARDI, 1935, Le referendum et le plébiscite en droit français et comparé, Thèse de la Faculté de droit de Nancy,

Toulon, Société nouvelle des imprimeries toulonnaises. Yves LE DANTEC, 1932, L’initiative

populaire, le referendum et le plébiscite dans le Reich et les pays allemands, Thèse de la Faculté de

droit de Paris. Maurice BATTELLI, 1932, Les institutions de démocratie directe, Paris, éditions Sirey. Yuet-Yee LEE, 1935, Les tendances vers la démocratie directe dans les constitutions européennes

d’après-guerre, Thèse de la Faculté de droit de Dijon. CONTELLI, 1920, Die direkte Volksgesetzgebung nach der neuen Reichsverfassung, Thèse, Francfort. KÜLLMANN, 1926, Sinn und Gestaltung der Volksabstimmung im deutschen Landesstaatsrecht, Thèse, Heidelberg.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 50 On remarque plusieurs vagues de travaux sur la question : en France, dans les années 1900, une série de thèses a été publiée sur l’intervention des habitants1 au sein des affaires municipales alors qu’en Allemagne, les premiers travaux sont apparus dans les années 1920. En 1903, une exposition sur les villes est organisée à Dresde qui permet de présenter l’état de la science communale peu avant la création d’instituts spécialisés dans les études communales (en 1911, une académie pour l’administration communale est fondée à Düsseldorf)2. L’entre-deux-guerres a été marqué par une recherche juridique comparée en France sur les Constitutions des Länder et le régime de Weimar. En revanche, comme les institutions de démocratie directe n’existaient pas à cette époque en France, il n’y a eu aucun travail scientifique sur cette question en Allemagne. En 1928, le premier institut de science communale a été fondé à Berlin, sans que des études portent sur la démocratie directe à l’échelon local. En France, Renaud Payre3 a montré que la science communale ne s’était pas constituée malgré les vœux de certains juristes dont le professeur de droit de l’Université de Strasbourg, Marcel Prélot. En juillet 1934, l’Union internationale des villes avait organisé une conférence sur l’élaboration d’une science municipale et l’enseignement des matières municipales. L’ambition était d’instituer une science dont l’objet serait la vie municipale et en particulier la vie municipale urbaine. Renaud Payre a rappelé que le terme de « sociologie municipale » avait même été évoqué par Émile Vinck, l’un des principaux organisateurs du congrès international. La science communale recherchée en France correspondait en réalité au souhait d’une discipline proche de la Kommunalwissenschaft allemande née dans les années 19104. Dans la mesure où la démocratie directe locale n’était pas un phénomène majeur et que

1 Jean SIGNOREL, 1893, Étude de la législation comparée sur le referendum législatif, Thèse de la Faculté de droit de Toulouse. Robert DE LA SIZERANNE, 1893, Le referendum communal, Thèse, Paris. BENNER, 1897, De l’intervention directe des électeurs dans la gestion des affaires

municipales: le referendum communal : étude comparée, Thèse de la Faculté de droit de Toulouse.

Albert SARRAUT, 1899, Le Gouvernement direct en France, Thèse de la Faculté de droit de Paris. Antonin BLANC, 1904, De quelques moyens de gouvernement direct en matière municipale, et

spécialement du referendum communal, Thèse de la Faculté de droit de Paris.

2 Ralf KLEINFELD, 1996, Kommunalpolitik, eine Problemorientierte Einführung, Leske+Budrich, Opladen, pp. 23-24.

3 Renaud PAYRE, 2005, « Le stade de l’expérience : une incertaine science communale et la question de l’institutionnalisation disciplinaire des savoirs urbains », Revue d’histoire des sciences humaines, n°12, p. 97.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 51 la science communale n’était qu’à ses balbutiements, il n’est pas étonnant que la participation des habitants à la vie locale n’ait pas attiré l’attention de nombreux scientifiques.

À la fin des années 1950, suite à l’inclusion du référendum et de l’initiative populaire dans le Land du Bade-Wurtemberg, des travaux sont réapparus en Allemagne ainsi que des analyses de la place du référendum au sein de la Ve République Française1. Ces travaux ont été par la suite renforcés par le développement du champ des études de politique publique en Allemagne dans les années 1970 autour de Fritz W. Scharpf2. La démocratie semi-directe est étudiée à la marge, elle vient questionner la capacité du système politique à prendre en compte des problématiques extérieures afin de les convertir en une politique publique répondant à ces besoins3.

Depuis le début des années 1980 et suite à l’institutionnalisation progressive du référendum local dans les deux pays, des travaux de science politique ont émergé, sans pour autant que la comparaison soit traitée de manière systématique, alors même qu’elle demeure essentielle pour comprendre la fonction4 des référendums au sein du système politique local. En revanche, se sont ajoutés à ces travaux scientifiques quelques mémoires universitaires dans les deux pays sur le référendum local5, avec toujours une quasi-absence de comparatisme6. Les études sur le référendum local ont été intégrées en Allemagne à un

1 Wolfgang SCHRÖDER, 1969, De Gaulle und die direkte Demokratie, Cologne, Wison-Verlag.

2 Fritz W. SCHARPF, 1973, Planung als politischer Prozeβ. Aufsätzen zur Theorie der planenden

Demokratie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, p. 20.

3 Volker SCHNEIDER, Frank JANNING, 2006, Politikfeldanalyse, Akteure, Diskurse und Netzwerke

in der öffentlichen Politik, Wiesbaden, Verlag für Sozialwissenschaften, p. 29.

4 Hans KEMAN, 2002, « The Comparative Approach to Democracy », dans Hans KEMAN (dir.),

Comparative Democratic Politics, London, SAGE Publications, pp. 9-11.

5 Georges BABAKA, 1981, Le référendum communal, Mémoire de DEA de Droit Public, Université de Lille 2. Florence BELOIN, 1990, Référendum communal et pouvoir local, étude des référendums

grenoblois de janvier 1990, Mémoire de maîtrise, IEP de Grenoble. Elisabeth MELLA, 1993, Le référendum communal, Mémoire de DEA de Droit Public, Université de Bordeaux I. Paul-Henri JOB,

1996, Le référendum local en France, Mémoire de DEA de Droit Public, Université de Paris I.

6 Tim WEBER, 1997, Direktedemokratische Prozesse auf der Kommunalebene in akteurstheoretischer

Perspektive, Diplomarbeit, Université de Marbourg. Susanne WENISCH, 2003, Bürgerbegehren und Bürgerentscheide in Bayern, eine Beteiligungsmöglichkeit für die gesamte Bevölkerung?

Diplomarbeit, Université de Münich. Gerhard LECHNER, 1996, Bürgerentscheide in Deutschland,

der Bürgerentscheid im System der kommunalverfassungsrechtlichen Mitwirkungsrechte. Bstandaaufnahme und Diskussion nach der Einfürhung in Bayern, Examensarbeit, Université

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 52 renouveau du champ de la politique locale en Allemagne dans les années 1990 où de nombreuses recherches ont été menées sur les mobilisations de la société civile et l’apparition de procédures de participation. Hubert Heinelt et Margit Mayer ont retracé l’évolution des débats scientifiques de la section « Recherches en politique locale » de l’Association allemande de science politique (Deutsche Vereinigung für Politikwissenschaft) depuis sa création en 1972. Si les travaux de cette section ont été au départ orientés vers une approche macrosociétale, ils ont par la suite été marqués par les paradigmes de l’implementation

research avant d’évoluer vers une analyse des politiques publiques et du capital social, avec

une influence de la sociologie urbaine1. Selon Rolf-Richard Grauhan, la section de la politique locale de l’Association allemande de science politique avait eu pour mérite de décrocher l’analyse de la politique locale du système politique local2, ce qui correspond aux années 1972-19763 où l’analyse des politiques locales était reliée à des problèmes sociétaux plus vastes.

En France, les premières études menées sur la politique locale remontent au début des années 1960 avec la création du Centre d’études et de recherches sur la vie locale au sein duquel des chercheurs tels qu’Albert Mabileau ont porté leur attention sur la vie politique locale et les relations complexes entre l’État et les collectivités territoriales. Les recherches menées dans le champ des politiques locales ont inclus depuis le début des années 1980 la perspective de l’analyse des politiques publiques afin de comprendre notamment le fonctionnement de « l’État au concret »4. C’est dans ce champ que les études sur les procédures de participation des habitants à la vie politique locale ont été menées. Certes, l’inclusion d’un droit à la participation dans les deux pays a favorisé ce type de recherches,

Bürgerentscheiden: Forschungsansätze und –perspektiven, Diplomarbeit, Université de Marbourg.

L’un des rares travaux universitaires s’étant attaché à la comparaison des référendums locaux en France et en Allemagne est celui de Florian Fritz. Florian FRITZ, 2006, Lokale Referenden in

Deutschland und Frankreich – ein empirischer Vergleich, Diplomarbeit, Université de Konstanz.

1 Hubert HEINELT, Margit MAYER, 2003, « Local Politics Research in Germany, Developments and characteristics in comparative perspective », European Urban and Regional Studies 10 (1), p. 41.

2 Rolf-Richard GRAUHAN, 1975, « Einführung. Lokale Politikforschung », in Rolf-Richard GRAUHAN, Lokale Politikforschung, Frankfurt am Main, éditions Campus, vol. 2, p. 12.

3 Hubert HEINELT, 2005, « Le débat sur la gouvernance locale en Allemagne », dans Gérard MARCOU, Hellmut WOLLMANN (dir.), La gouvernance territoriale, annuaire 2006 des

collectivités locales, Paris, éditions CNRS, p. 142.

Christophe Premat – « La pratique du référendum local en France et en Allemagne » 53 mais l’évolution du champ de la politique locale avec à la clé une sociologie des acteurs a conduit peu à peu à intégrer la manière dont les destinataires des politiques publiques se sont souciés progressivement de leur élaboration. Cette orientation s’est traduite en Allemagne par une collaboration croissante entre politologues localistes (Lokale Politikforschung) et sociologues du groupe de travail de la section Sozialpolitik de l’Association allemande de sociologie1. Dans ce contexte d’intérêt pour les formes de participation, l’étude du référendum local gagnerait à être approfondie dans la mesure où ce dernier intervient à la genèse d’une politique locale lorsqu’il provient notamment d’une initiative populaire ou d’une autre forme de mobilisation, ou à la fin pour approuver ou refuser la politique locale en question.

L’étude de la participation des habitants serait en fin de compte un apport majeur à la sociologie municipale traitant du rôle des élus et des citoyens au sein d’espaces publics locaux configurés. C’est en termes de conséquences sur les décisions politiques locales que le

référendum local doit être appréhendé. Sachant que la littérature scientifique sur le

référendum s’est quelque peu enrichie ces dernières années2, les recherches sur le référendum local et plus généralement sur la participation à la vie locale ne constituent pas un aspect prédominant de cette sociologie municipale.

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