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La valeur patrimoniale de la marque

Dans le document Le droit de marque (Page 77-80)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

I. La valeur patrimoniale de la marque

53. La reconnaissance juridique de la valeur de la marque.— Si la marque est susceptible

d’être évaluée en argent, elle possède alors une valeur économique — reconnue par les juges 220 — fondant son appropriabilité en tant que bien 221. Les économistes et le droit des

sociétés — la marque appartenant le plus souvent à une société — reconnaissent au signe distinctif cette qualité de bien, élément d’actif du patrimoine d’une société, et cela eu égard aux méthodes d’évaluation qui ont fait leurs preuves 222. Or, l’actif est défini par les

217 Voir notamment A. PÉLISSIER, Possession et meubles incorporels, thèse, Dalloz, 2001, p. 229, n° 432.

218 A. CHAVANNE, « Les marques notoirement connues ou de haute renommée », in Études de droit

contemporain, Cujas, 1966, p. 301.

219 CEDH, 11 octobre 2005, Anheuser-Busch Inc. c/ Portugal, aff. C-245/02, JCP 2006, I, 109, n° 15,

obs. SUDRE. Par extension, le nom de domaine, qui a une valeur économique puisqu’il peut être cédé, a

pu être qualifié de bien au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH, 5e sect.,

18 septembre 2007, aff. n° 25379/04, n° 21722/05 et n° 21770/05, Paeffgen GmbH c/ Allemagne,

Comm. com. électr. 2008, n° 7, comm. 88).

220 Voir notamment CAA Nancy, 30 mars 2006, no 01-94, Chocolats Klaus : La valeur vénale de la marque

a été évaluée à dix ans de redevance de licence, ce qui correspond à la durée de la protection légale, l’enregistrement de la marque entraînant des effets durant une période de dix ans.— Voir également TUE, 22 mars 2007, aff. T-215/03, VIPS : La marque « possède une valeur économique intrinsèque autonome et distincte par rapport à celle des produits ou services pour lesquels elle est enregistrée ».

221 Encore que l’on a pu affirmer à raison que le « bien » du juriste ne se confond pas avec les « valeurs »

des économistes : « Ce n’est pas parce qu’une entité immatérielle a un prix qu’elle peut être juridiquement qualifiée de bien » (R. OLLARD, La protection pénale du patrimoine, thèse, Dalloz, 2010, p. 223, no 364).

222 J.-N. KAPFERER, Ce qui va changer les marques, 2e éd., Éditions d’Organisation, 2005, p. 132 : « La marque

économistes comme « une propriété de l’entreprise, séparable, et produisant des profits au- delà de la période comptable de référence (l’année) » 223. La définition donnée par les

juristes n’en est pas très éloignée : l’actif de la société est un « élément identifiable du patrimoine ayant une valeur économique positive pour l’entité » 224. Mais la définition la

plus précise de l’actif est sans doute celle du Plan comptable général : une « immobilisation incorporelle identifiable, séparable des activités de l’entité, susceptible d’être vendue, transférée, louée ou échangée de manière isolée ou avec un contrat, un autre actif ou passif » 225. S’agissant de mesurer la valeur de la marque comme élément d’actif, nous

retiendrons essentiellement la conception économique de la valeur. C’est ainsi que Turgot affirmait que « la valeur n’a d’autre mesure que la valeur : il n’y a point d’unité fondamentale donnée par la nature, il n’y a qu’une unité arbitraire et de convention. Toute marchandise a les deux propriétés essentielles de la monnaie de mesurer et de représenter toute valeur, et, dans ce sens, toute marchandise est monnaie » 226. Cette définition de la

valeur, comme le constate M. le professeur Binctin, en constitue une « notion finie au cœur de l’économie » 227. La conception économique de la valeur rejoint donc les critères d’utilité

et de rareté de la définition juridique du bien, la rareté d’un bien augmentant son prix de négociation 228. Cependant, les économistes opposent plusieurs types de valeurs,

notamment la valeur intrinsèque (qui est le coût de production de l’objet, ignorant nécessairement le rapport offre/demande 229), la valeur de marché, la valeur vénale, la

valeur fondamentale, la valeur d’acquisition (intégrant les motifs qui ont engendré l’opération, et donc nécessairement supérieure à la valeur intrinsèque 230), et enfin la valeur

d’usage ou la valeur d’échange, ces notions pouvant se chevaucher. La valeur est donc une donnée objective déterminée par des expertises et au moyen d’un faisceau de méthodes 231.

L’utilité de la valeur économique de la marque se ressent en droit des sociétés, en droit comptable et en droit fiscal, lesquels imposent un inventaire annuel, notamment lors de la

223 Ibidem.

224 N. POLLAK, Droit des marques, Studyrama, 2013, p. 155, no 345.

225 Plan comptable général, articles 211-1 et 211-3.

226 TURGOT, Dictionnaire des sciences économiques, t. 2, Puf, 1958, V° Valeur. 227 N. BINCTIN, Le capital intellectuel, op. cit., p. 235, n° 232.

228 Ibidem, p. 236, n° 233.

229 Ibidem, p. 235 et s., nos 232 et s.

230 Ph. MOUY, « Les méthodes actuarielles d’évaluation », Analyse financière, 2e trimestre 1982, p. 38.

231 J.-L. MÉDUS, « Goodwill et survaleur – Plaidoyer pour une valorisation financière fondée », Rev. Banque,

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cession des parts sociales 232. L’évaluation de la marque en tant qu’apport en nature doit

être exacte : sa surévaluation induit les créanciers sociaux en erreur sur la solvabilité de l’entreprise 233, tandis que sa sous-évaluation limite le crédit de la société et lèse aussi bien

l’apporteur que l’administration fiscale. Or, la vérité économique de la valeur n’existant pas 234, et le législateur, ne pouvant fixer une méthode de valorisation, renvoyant à la

compétence des professionnels chargés de cette opération, la détermination de la valeur de la marque en tant qu’apport est ainsi « un fait juridique dont la loi ne peut s’emparer en raison de son caractère très conjoncturel » 235. C’est ainsi que la Cour de cassation a retenu

le choix de la valeur vénale de l’apport en nature, à savoir le prix normal qu’eût accepté de payer un acquéreur quelconque n’ayant aucune raison exceptionnelle de convenance de préférer le bien évalué à d’autres similaires 236, et que, d’un point de vue fiscal, le Conseil

d’État, suivant la doctrine du juge judiciaire, a donné sa définition de la valeur vénale réelle : la valeur de l’apport, lors de son acquisition, qui dépend des profits que l’acquéreur peut escompter de son exploitation, et qui doit être appréciée en fonction des perspectives de profit que, à la date d’acquisition, la société pouvait raisonnablement espérer réaliser 237.

54. Les méthodes d’évaluation de la marque.— Il revient au commissaire aux apports,

expert désigné par la justice ou par les associés en vue d’apprécier, sous sa responsabilité, l’évaluation des apports en nature, de déterminer librement les méthodes utilisées pour apprécier la valeur d’un bien intellectuel 238. Les méthodes retenues doivent aboutir à la

fixation d’une valeur actuelle, appréciée au jour de l’acquisition. La marque ayant vocation à attirer une clientèle elle-même amenée à s’étendre, se développer et se diversifier, elle possède une valeur économique non statique, non figée, mais évolutive en fonction de sa renommée. Or, le droit des sociétés impose de retenir une valeur actuelle. Cette dernière constitue donc la valeur de la marque en tant qu’apport, étant entendu que le signe, en évoluant dans son degré de notoriété, acquiert une nouvelle valeur qui est celle de la

232 Le régime fiscal des redevances perçues par l’octroi de licences d’exploitation d’une marque est le

régime d’imposition des bénéfices : bénéfices industriels et commerciaux pour l’exploitation d’une marque de commerce (CGI, article 34), et bénéfices non commerciaux pour l’exploitation d’une marque de fabrique.

233 Voir notamment Com., 5 mars 1980, Bull. IV, n° 113, p. 88.— Com., 26 mai 1983, Bull. IV, n° 153,

p. 134.

234 Toutes les valorisations étant, comme le dit M. BINCTIN, réelles, « elles varient simplement en fonction

des éléments inclus pour leur appréciation » (Le capital intellectuel, op. cit., p. 239, n° 238).

235 N. BINCTIN, Le capital intellectuel, op. cit., p. 238 et s., nos 236 et s.

236 Civ. 1re, 16 novembre 1959, Bull. I, 1959, n° 477, p. 396.

237 CE, 12 janvier 1990 (à propos d’un brevet d’invention), Dossier Brevet 1991, III, 1, note J.-L. PIERRE. 238 C. com., article L. 223-9 (dans les SARL), articles L. 225-8, L. 225-14 et L. 225-147 (dans les SA).

marque en tant qu’actif. C’est ainsi qu’à la suite de M. le professeur Binctin, deux catégories de techniques d’évaluation peuvent être retenues 239 : d’une part, celles qui recherchent la

valeur de la marque en raison de sa valeur patrimoniale — les méthodes statiques d’évaluation (A) — et, d’autre part, celles qui la valorisent en raison de son rendement économique — les méthodes dynamiques d’évaluation (B).

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