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Discussion sur la qualification « propriété de marché »

Dans le document Le droit de marque (Page 134-138)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

B. Discussion sur la qualification « propriété de marché »

125. Plan.— Après avoir exposé les fondements de la qualification (1), nous en démontrerons

les limites (2).

1. Fondements de la qualification

126. La remise en cause de l’absoluité de la propriété.— La thèse de la « propriété de

marché » entend remettre en cause le caractère absolu de la propriété classique, pour consacrer une propriété moderne, plus économique. Mme Abello entend insuffler la pensée économique dans une matière qu’elle nous reproche de garder « encore romantique » 436.

L’auteur commande en effet de se détacher de la conception post-révolutionnaire de la propriété. C’est ainsi que, rejoignant l’École de Montpellier, elle nie l’absoluité du droit, qui ne correspondrait plus à une définition économique, ni même juridique de la propriété, dont la vision plus fonctionnaliste conduit, dans une certaine mesure, à une propriété partagée 437.

127. La propriété moderne, une propriété essentiellement économique.— La proposition

« propriété de marché » s’explique par l’évolution de la notion de propriété : alors que la propriété classique est un droit absolu reposant essentiellement sur la liberté du non-usage du droit, la propriété moderne proscrit l’absence d’utilisation de ce droit, les idées de marché et d’utilité prenant en compte le fait que l’on n’est pas isolé. La propriété est donc désormais un droit utile et non plus un droit égoïste. Elle est aujourd’hui pensée à travers le lien entre propriété et besoin et non plus à travers le lien entre propriété et puissance. Si un droit de propriété n’est plus utile, il doit disparaître. Une propriété ne vaut que si elle est exploitée 438. Une telle conception de la propriété peut être rapprochée de l’obligation

d’exploitation de la marque sous peine de déchéance. Si une propriété disparaît par le non- usage, il s’agit d’une propriété de marché. En somme, une propriété qui se conçoit à travers son utilité dure le temps qu’elle dure. Le droit de marque se définissant par son utilité, il n’a

435 A. ABELLO, « La propriété intellectuelle, une "propriété de marché" », op. cit. 436 Ibidem.

437 A. ABELLO, Ibidem. Voir également La licence, instrument de régulation des droits de propriété intellectuelle,

op. cit., p. 79 et s., nos 158 et s.

438 A. ABELLO, La licence, instrument de régulation des droits de propriété intellectuelle, op. cit., p. 109 et s., n° 213

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pas besoin d’être absolu car il est une propriété de marché, dont le caractère temporaire est admis puisqu’il est efficace. C’est ainsi que Mme Abello parvient à faire des droits intellectuels des modèles de propriété moderne, une « pointe avancée de la propriété ordinaire » 439. En somme, la plume procède à une démonstration inverse de la nôtre, en

affirmant que les caractères et les fonctions du droit de marque ne sont que la preuve que le droit de propriété est un droit fonctionnel et utilitaire : « En toute hypothèse, le droit ne considère les biens que par rapport à leur utilité pour les hommes » 440. Or, « un droit de

propriété intellectuelle n’a […] de valeur que pour autant qu’il soit mis sur le marché » 441.

Si la thèse séduit en ce qu’elle apporte un souffle nouveau sur la controverse doctrinale relative à la nature juridique du droit de marque, qui patinait, il nous apparaît cependant dommage qu’elle ne se détache pas complètement des modèles propriétaires.

2. Critique de la qualification

128. La propriété de marché, un droit éventuel.— La qualification « propriété de marché »

sous-entend une propriété sur un marché ou sur des parts de marché. Or, on ne peut être propriétaire d’un marché ou de parts de marché, ce droit ne peut être qu’éventuel et aléatoire. Lorsqu’un titulaire d’une marque acquiert son droit, ce dernier ne lui garantit pas une position privilégiée sur le marché considéré, qui est celui qu’il entend conquérir. C’est la position occupée par la marque sur le marché qui est protégée, à travers la protection de la fonction distinctive et de garantie d’identité d’origine exercée par la marque, et non la part de marché à laquelle il a droit, concurremment avec les autres acteurs économiques. Ainsi, la « propriété de marché » n’explique pas le monopole légal du titulaire. Ce dernier ne peut asseoir sa position économique qu’au prix de ses efforts d’investissements, notamment en termes de communication commerciale, indépendamment de l’enregistrement de sa marque. Le titre de propriété industrielle ne lui confère que l’exclusivité d’exploitation de sa marque, et en aucun cas la propriété de parts de marché, lesquelles n’existent que si une partie du public achète ses produits ou ses services. Par ailleurs, la propriété de marché peut s’acquérir hors de tout droit de marque, notamment par la notoriété. Le signe non déposé est protégé, de façon exceptionnelle, alors même qu’aucun droit de marque n’est reconnu. En tout état de cause, si le droit de marque est une propriété de marché, c’est à la condition que cette qualification inclut en son sein le monopole sur la marque notoire, lequel mériterait d’ailleurs, au regard de sa prise en

439 A. ABELLO, « La propriété intellectuelle, une "propriété de marché" », op. cit.

440 A. ABELLO, La licence, instrument de régulation des droits de propriété intellectuelle, op. cit., p. 116, n° 231. 441 Ibidem, p. 117, n° 235.

compte par le Code de la propriété intellectuelle, la protection contre la contrefaçon. La propriété n’est donc qu’éventuelle car le marché n’est pas acquis, il est à conquérir, et rien ne permet de dire qu’il le sera.

129. La propriété de marché, un droit aléatoire.— Lorsqu’une clientèle est acquise, le droit

de marque ne garantit pas sa stabilité. C’est ce qui fait la différence entre la propriété et le droit de marque : le signe ne vise pas un objet stable et défini ; le droit de marque est un droit en mouvement, il se meut dans le dynamisme, contrairement au droit de propriété qui est un droit statique, stable et fixe. C’est ce que constatait Roubier : « la clientèle est à qui sait la prendre, car notre régime est un régime de concurrence économique et de liberté » 442. Par des procédés loyaux, les concurrents du titulaire de la marque peuvent d’un

moment à l’autre lui faire perdre ses parts de marché, sans que le droit de marque puisse venir à son secours.

Aucune des différentes qualifications propriétaires n’emporte la conviction. La comparaison entre le droit de marque et le droit de propriété n’entraîne que des différences, et point de ressemblance. L’erreur vient sans doute d’une identification incorrecte de l’objet du droit de marque.

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ECTION

II.

Dans le document Le droit de marque (Page 134-138)