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Le critère de l ’appropriabilité

Dans le document Le droit de marque (Page 75-77)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

II. Le critère de l ’appropriabilité

50. La notion de propriété.— L’appropriabilité d’une chose est la qualité de cette chose à

devenir un bien appartenant exclusivement à une personne. Les choses ne deviennent des biens que si elles sont susceptibles d’appropriation privée 205. Le mot est tiré de

« propriété », lui-même tiré du latin proprius signifiant « propre », « sans partage ». Certains auteurs font fi des abus de langage confondant propriété et droit de propriété. La propriété, en effet, utilisée en l’absence du mot « droit », n’aurait pas la même nature que le droit subjectif y afférent. Ainsi, quand le législateur parle d’une propriété, il n’envisagerait pas une prérogative ni la relation d’une personne à un bien, mais le bien lui-même considéré sous un certain rapport 206. Cette précision a d’ailleurs été faite dans le droit romain, où ni le terme

proprietas, ni le terme dominium, n’étaient envisagés comme le droit subjectif d’une personne

sur une chose — la propriété n’étant pas, à cette époque, un jus —, mais un pouvoir exercé sur une chose. Le droit de propriété est donc « le droit par lequel une chose m’est propre et m’appartient privativement à tous autres […], le droit de disposer à son gré d’une chose, sans donner néanmoins atteinte au droit d’autrui, ni aux Loix (sic) […] » 207. Aubry et Rau le

définissaient comme le « droit en vertu duquel une chose se trouve soumise, d’une façon absolue et exclusive, à l’action et à la volonté d’une personne » 208. Le marquis de Vareilles-

Sommières la considérait comme « le droit en vertu duquel une personne peut en principe faire d’une chose ce qu’elle veut » 209. Le doyen Cornu, s’inspirant des dispositions de

l’article 544 du Code civil, la définissait comme « le type le plus achevé de droit réel : droit d’user, jouir et disposer d’une chose d’une manière exclusive et absolue sous les restrictions

205 N. REBOUL-MAUPIN, Droit des biens, op. cit., p. 9 et s., n° 14 et s. : « La qualité de biens s’acquiert dès

l’instant que ces derniers sont entrés dans le patrimoine. L’ensemble des biens constitue l’actif de celui- ci. Ils sont alors considérés comme des droits. […]. Ce qui fait qu’une chose matérielle devient un bien, c’est l’existence d’un droit sur cette chose. ».

206 F. ZÉNATI,Essai sur la nature juridique de la propriété : contribution à la théorie du droit subjectif, thèse, Lyon,

1981, p. 726, n° 531. L’auteur définit la propriété comme n’étant que « le substantif de l’adjectif "propre", largement entendu, qui permet par sa formulation même d’exprimer la situation juridique d’un bien : la propriété est sous ce rapport la qualité propre d’un bien ».

207 POTHIER, Traité du droit de domaine de propriété, 1772, p. 6.

208 AUBRY et RAU, Cours de droit civil français, 5e éd., t. 2, Marchal et Billard, 1897.

209 VAREILLES-SOMMIÈRES, « La définition et la notion juridique de la propriété », RTD civ. 1905, t. IV,

établies par la loi » 210. Le droit réel étant le « pouvoir exercé directement sur une chose et

permettant d’en retirer tout ou partie de ses utilités économiques » 211, la propriété, droit sur

un bien qui est par définition une chose, une res, appropriée ou appropriable, est le droit réel par excellence. Cette qualification s’est imposée chez la plupart des exégètes 212. Selon

Ginossar, les choses corporelles et les droits, inscrits à l’actif du patrimoine, ont en commun d’être des objets de propriété, ce qui explique qu’ils soient tous soumis au régime des biens 213. Selon l’auteur, cependant, c’est le droit de propriété qui entre dans le

patrimoine, et non le bien, faisant ainsi une confusion entre propriété et bien 214. Sans

l’intervention juridique de la propriété, en effet, une chose ne pourrait figurer dans un patrimoine. Ainsi, tout élément de l’actif devient un bien du seul fait de l’appropriation. Ce qui, à en croire certains auteurs, donnerait par exemple aux créances la qualification de biens 215. Cette conception du patrimoine a conduit un auteur à la définition suivante du

droit de propriété : « un pouvoir juridiquement protégé d’une personne sur l’actif de son patrimoine et, partant, sur tous les biens le composant » 216. L’application de cette théorie

au droit de marque amènerait indubitablement à qualifier ce dernier de droit de propriété. La marque étant un élément de l’actif du patrimoine d’une société, elle est un bien et, à ce titre, objet de propriété, ce qui l’exclut définitivement de la catégorie des res commune.

51. Exclusion des res commune.— La portée de l’exigence du critère de l’appropriabilité des

biens concerne la classification des choses en res nullius (choses sans maître), res commune (choses communes appartenant à tous) et res derelictae (choses volontairement abandonnées par leurs anciens propriétaires et qui peuvent être récupérées) : seules les res nullius et les res

derelictae peuvent être appropriées et devenir ainsi des biens, à l’exclusion des res commune qui

sont réservés à l’usage commun de tous. Ainsi, l’acquisition d’une marque par le dépôt d’une demande d’enregistrement auprès de l’INPI est parfois perçue comme un acte

210 CORNU, Vocabulaire juridique, op. cit., V° Propriété.

211 CARBONNIER, Droit civil, vol. II, Les biens, Les obligations, Puf, 2004, n° 164.

212 DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, t. IX, 4e éd., 1870, n° 471 ; DURANTON, Cours de droit civil français,

t. IV, 4e éd., 1844, n° 232.

213 GINOSSAR, Droit réel, propriété et créance. Elaboration d’un système rationnel des droits patrimoniaux, LGDJ, 1960. 214 GINOSSAR, « Pour une meilleure définition du droit réel et du droit personnel », RTD civ. 1952, p. 573

et s., nos 43 et 68.

215 CEDH, 6 octobre 2005, deux arrêts, n° 1513/03, Draon c/ France, et n° 11810/03, Maurice c/ France,

D. 2005, p. 2546, obs. M.-C. DE MONTECLER ; RTD civ. 2005, p. 743, obs. J.-P. MARGUÉNAUD ; ibidem p. 798, obs. Th. REVET.— CEDH, 9 janvier 2007, n° 31501/03, Aubert et autres c/ France, RDC 2007/2, p. 477, obs. A. DEBET : Les créances sont admises au rang de biens en application du critère de la patrimonialité.

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d’occupation d’une res nullius 217. M. le professeur Chavanne observe également qu’en

dehors des limites du territoire du pays où elle a été déposée, la marque serait « une res

nullius que n’importe qui peut s’approprier » 218.

Comme nous le verrons maintenant, la marque peut remplir les critères du bien, et dès lors, il est possible de soutenir l’existence d’un droit de propriété sur la marque.

§ 2. L’

APPLICATION DES CRITÈRES DU BIEN À LA MARQUE

52. Plan.— La Cour européenne des droits de l’Homme qualifie la marque de bien au sens de

la Convention européenne des droits de l’Homme, en subordonnant cette qualification à l’enregistrement 219. La marque étant en effet un élément du fonds de commerce, elle

enrichit l’actif du patrimoine d’une société. À ce titre, elle entre dans la catégorie juridique des biens. En effet, elle répond aux critères cumulatifs de la valeur patrimoniale (I) et de l’appropriabilité (II).

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