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Tempérament : l ’exception de notoriété

Dans le document Le droit de marque (Page 170-173)

SUR LES CONDITIONS D ’ EXISTENCE DU DROIT

L E DROIT DE MARQUE : UN DROIT ARTIFICIEL

II. Tempérament : l ’exception de notoriété

149. Une protection limitée de la marque notoire.— La notoriété de la marque ne remplace

pas, ipso facto, l’enregistrement. Elle permet simplement au titulaire de se prévaloir de l’exception de notoriété pour, d’une part, s’opposer à l’enregistrement de marques identiques ou similaires, et d’autre part, agir en responsabilité civile contre l’usage de signes similaires ou identiques. C’est ce qui se déduit de la lecture de l’article L. 713-5, alinéa 2, du Code de la propriété intellectuelle, et de l’article 6 bis.1 de la Convention d’Union de Paris 542. En réalité, les intérêts du titulaire de la marque notoire non enregistrée sont traités

comme les droits non privatifs sur les autres signes distinctifs que sont les noms commerciaux, les dénominations sociales et les enseignes 543. En effet, ces derniers ne sont

pas des droits préexistants qui seraient protégés contre toute usurpation, ce ne sont au contraire que des intérêts qui ne sont reconnus qu’à la preuve de la commission d’actes de déloyauté commerciale par des tiers dans leur exercice de la libre concurrence. Ce qui est donc sanctionné, c’est l’excès dans la liberté du commerce et de l’industrie, et non l’appropriation frauduleuse de signes distinctifs. Le même raisonnement est adopté pour les marques notoires. Le fait que le signe soit connu d’une partie significative du public, et donc a fortiori des professionnels du même secteur d’activité, permet de reprocher à toute personne utilisant un signe identique ou similaire, sinon sa mauvaise foi, au moins sa négligence 544. L’action en responsabilité permet seulement au titulaire de s’opposer à

l’enregistrement de signes identiques ou similaires dans le but de lui permettre de procéder à l’enregistrement omis. La marque notoire peut ainsi constituer une antériorité au signe identique ou similaire enregistré pour les mêmes produits ou services.

De la même façon, l’action en responsabilité en vue de faire cesser l’usage d’un signe identique ou similaire ne s’analyse nullement en une action en contrefaçon. Le droit sur une marque notoire non enregistrée n’est en effet pas un droit de marque qui, seul, est protégé contre la contrefaçon. Le fondement de l’action autorisée par l’article L. 713-5 est donc la concurrence déloyale, ce qui tombe sous le sens au vu de la nature juridique de la

542 CUP, article 6 bis.1 : « Les pays de l’Union s’engagent soit d’office si la législation du pays le permet,

soit à la requête de l’intéressé, à refuser ou à invalider l’enregistrement et à interdire l’usage d’une marque de fabrique ou de commerce qui constitue la reproduction, l’imitation ou la traduction, susceptibles de créer une confusion, d’une marque que l’autorité compétente du pays de l’enregistrement ou de l’usage estimera y être notoirement connue comme étant déjà la marque d’une personne admise à bénéficier de la présente Convention et utilisée pour des produits identiques ou similaires. Il en sera de même lorsque la partie essentielle de la marque constitue la reproduction d’une telle marque notoirement connue ou une imitation susceptible de créer une confusion avec celle-ci ».

543 À l’exclusion des noms de domaine qui, du fait de l’obstacle naturel créé par l’impossibilité technique de

tout enregistrement ultérieur d’un signe identique, peuvent être considérés comme des droits privatifs.

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notoriété : de la famille de ces concepts mous, la notoriété est un fait juridique dont la preuve est libre, et dont l’appréciation est laissée à la discrétion des juges du fond. Ce n’est qu’à l’établissement de la notoriété que les intérêts du titulaire de la marque peuvent être défendus efficacement. Pour résumer, comme le dit à raison Mme Pérot-Morel, « l’usage d’une marque notoire l’emporte sur le dépôt mais sa sanction n’est pas assurée par les voies habituelles du droit des marques. Son statut reste en quelque sorte inférieur et le droit privatif qui, par exception, continue à naître de l’usage, n’a pas la même efficacité » 545.

Les prérogatives du titulaire d’une marque notoire sont néanmoins très proches de celles du titulaire d’un véritable droit de marque. Il peut ainsi être préconisé de franchir le pas en attachant à ces prérogatives tous les effets juridiques du droit de marque.

150. Pour une reconnaissance du droit sur la marque notoire en droit de marque.— Il

apparaît à la suite de l’analyse du droit positif, que l’usage interdit aux tiers, relativement à une marque notoire, est le même usage interdit relativement à une marque enregistrée. Il s’agit, dans les deux cas, d’un usage du signe en tant que marque. Une fois la notoriété établie, les tiers ne peuvent, sans l’autorisation du titulaire, faire usage du même signe ou d’un signe similaire, pour désigner des produits identiques, similaires, ou même différents. L’interdiction entraîne deux séries d’effets : l’annulation de l’enregistrement du signe litigieux et la mise en œuvre de la responsabilité civile. Ces deux séries d’effets se retrouvent dans l’interdiction de faire usage d’une marque ordinaire enregistrée. Par ailleurs, une partie de la doctrine, dont Mme Pérot-Morel, reconnaît au droit sur une marque notoire un véritable « droit privatif » 546. Dès lors, il ne paraît nullement choquant de reconnaître au

titulaire d’une marque notoire un véritable droit de marque assorti de toutes ses prérogatives, principalement le droit d’agir en contrefaçon. Toutefois, la solution, rétroactive, est à soumettre à la condition que le titulaire procède à l’enregistrement de son signe notoire dans les plus brefs délais postérieurement à l’annulation de la marque litigieuse. À défaut d’un tel enregistrement, les prérogatives du titulaire demeurent celles consacrées par le droit positif, à savoir les prérogatives similaires à celles d’un titulaire d’un droit non privatif sur un signe distinctif autre que la marque : action en responsabilité civile de droit commun pour usage d’un signe identique ou similaire créant un risque de confusion, dans l’esprit du public, sur l’origine des produits ou des services désignés. Le traitement juridique des marques notoires justifie également leur qualification en droit de marché : il s’agit de réserver au titulaire d’une marque notoire une sorte de droit de

545 M.-A. PÉROT-MOREL, « L’extension de la protection des marques notoires », op. cit., p. 9 et s., n° 18. 546 Ibidem.

préemption sur le marché pertinent, au vu de la position privilégiée qu’il occupe déjà dans l’esprit du public du fait de sa notoriété.

Le droit de marque n’est pas seulement un droit artificiel, il est également un droit fonction, ce qui le distingue, une fois de plus, du droit de propriété.

§ 2. U

N DROIT FONCTION

151. Les fonctions de la marque, critères de sa protection.— Si le droit de marque est

difficilement susceptible de recevoir la qualification droit de propriété, c’est principalement parce que le droit n’est protégé que dans ses fonctions essentielles, à savoir, notamment, la distinction des produits et services 547. Les fonctions essentielles garantissant l’origine des

produits ou des services ne sont cependant exigées que pour les marques individuelles. Les marques collectives de certification obéissent à une logique et un fondement différents.

152. L’exclusion des marques collectives de certification et de qualité.— Ce sont les labels

tels que NF ou CE. Il convient d’emblée de les ranger dans une catégorie distincte de celle des marques individuelles, car leurs natures et leurs fonctions sont différents. La marque collective de certification et de qualité est en effet un « symbole d’un ensemble de caractéristiques » 548. Ainsi, les produits ou les services marqués doivent être conformes aux

normes qui leur sont applicables. Le dépôt d’une marque collective de certification et de qualité, qui n’obéit pas au même régime que celui de l’enregistrement des marques individuelles, doit être accompagné du règlement déterminant les conditions auxquelles est subordonné son emploi. En outre, ces labels sont soumis à l’homologation et à un contrôle par des organismes certificateurs.

153. Plan.— La marque individuelle, en revanche, est un instrument d’organisation du marché,

un « élément essentiel d’un système de concurrence non faussé », pour paraphraser la CJUE 549. Cette conception de la marque acquise, il est aisé d’identifier, d’abord les

fonctions de la marque (I), puis les enjeux du droit de marque (II).

547 F. POLLAUD-DULIAN, Propriété intellectuelle, La propriété industrielle, op. cit., p. 24, no 45 : « Les signes

distinctifs, eux, ne sont protégés que dans leur fonction, qui est de désigner ou distinguer des produits ou services déterminés, un fonds de commerce ou une société ».

548 Y. SAINT-GAL, in Marque et droit économique – Les fonctions de la marque, colloque de l’Union des Fabricants

pour la protection internationale de la propriété industrielle et artistique, des 6 et 7 novembre 1975, p. 38.

549 CJCE, 18 juin 2002, aff. C-299/99, Koninklikje Philips Electronics, Rec. I-5475 ; JCP E 2003, 1434,

n° 1, obs. N. BOESPFLUG, F. GREFFE et D. BARTHÉLÉMY ; PIBD 2003, n° 756, III, p. 37 ;

Propr. intell. 2002, n° 5, p. 83, obs. E. JOLY ; Propr. ind. 2002, comm. 71, obs. F. GREFFE ;

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