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La fonction première : la fonction de distinction et de garantie d’origine

Dans le document Le droit de marque (Page 174-179)

SUR LES CONDITIONS D ’ EXISTENCE DU DROIT

L E DROIT DE MARQUE : UN DROIT ARTIFICIEL

B. Les fonctions essentielles de la marque

1. La fonction première : la fonction de distinction et de garantie d’origine

157. La fonction de distinction induisant le caractère nécessairement distinctif de la marque.— Un auteur fait remarquer à juste titre que « s’il ne s’agissait que de désigner et

de distinguer des produits ou des services, on ne pourrait pas mieux accomplir cette mission qu’en utilisant un système de numérotation » 557. Or, telle n’a pas été la volonté du

législateur qui a au contraire tenu compte de la fonction naturelle et historique de la marque, utilisée essentiellement dans un contexte de concurrence économique. L’on retrouve ici encore la prééminence du marché et surtout la position des marques sur le marché pertinent. Dès lors, les juridictions européennes s’accordent pour déduire de la définition légale de la marque sa fonction première. Ainsi, la CJUE affirme que cette fonction est de permettre au signe « de distinguer sans confusion possible le produit de ceux qui ont une autre provenance » 558. L’OHMI reconnaît de même qu’ « un signe doit

[…] posséder la capacité inhérente de distinguer » 559. Or, l’article L. 711-1, alinéa 1er, du

Code de la propriété intellectuelle définit la marque comme étant un signe « servant à distinguer les produits ou les services d’une personne physique ou morale ». La doctrine classique affirme également que la marque, en présentant obligatoirement un caractère distinctif, a ainsi pour fonction de garantir l’identité d’origine de tous les produits ou services marqués du même signe. Pouillet, par exemple, parlait de l’indication de

prérogatives que le titulaire tient de la loi nationale qui tendent, dans l’hypothèse envisagée, à assurer la fonction de la marque ».

555 CJCE, 23 mai 1978, aff. C-102/78, Hoffmann-Laroche c/ Centrafarm, Rec. I-1165, point 7.

556 L’emploi du terme « notamment » par la CJUE laisse en effet entendre que les fonctions de la marque

ne sont pas figées mais évoluent au contraire avec les usages du commerce.

557 D. MARTINO, in Marque et droit économique – Les fonctions de la marque, colloque de l’Union des Fabricants

pour la protection internationale de la propriété industrielle et artistique, des 6 et 7 novembre 1975, p. 74.

558 CJCE, 23 mai 1978, aff. C-102/77, Hoffmann-La Roche c/ Centrafarm, Rec. I-1130. 559 OHMI, 3e ch. rec., 28 juin 2000, Les Grands Chais de France, R 464/1999-3, § 11.

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provenance de la marchandise 560. Mme le professeur Schmidt-Szalewski qualifie la

fonction de la marque de « désignation de l’origine de la marque » 561. Dès lors que la

marque a pour fonction de distinguer les produits ou services du titulaire de ceux de ses concurrents, elle permet de garantir au public que les produits ou les services identifiés par une même marque proviennent d’une origine commune. De par la nature de la marque, la fonction de garantie d’identité d’origine a été identifiée très tôt par les juges du fond, vers le milieu du XIXe siècle, comme un moyen matériel de garantir l’origine ou simplement la provenance de la marchandise aux tiers qui l’achètent, en quelque lieu et en quelque main qu’elle se trouve 562. Cette fonction a ensuite été consacrée pour la première fois par la

CJUE en 1976 dans l’arrêt Terrapin 563. L’acheteur doit pouvoir, grâce à la marque,

identifier l’origine d’une marchandise ou d’un service et ainsi distinguer les produits d’une entreprise des produits de ses concurrents 564. Elle est, depuis, devenue une « fonction

essentielle » de la marque 565. La fonction de garantie d’identité d’origine est sérieusement

prise en considération dans la caractérisation de la contrefaçon. Ainsi, la CJUE a décidé qu’une marque postérieure enregistrée ne peut être déclarée nulle que lorsqu’elle porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte à la fonction essentielle de la marque antérieure qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits désignés par celle-ci 566.

Dans l’affaire Budjovicky Budvar c/ Anheuser-Busch du 22 septembre 2011, le litige est né de la commercialisation simultanée de deux bières sous la marque Budweiser, par deux brasseries différentes, Budvar et Anheuser-Busch, chacune de ces entreprises faisant depuis l’origine, un usage de bonne foi de leurs marques respectives. En l’espèce, l’atteinte au droit de marque a été écartée au motif que, bien que les dénominations soient identiques, les consommateurs du Royaume-Uni perçoivent clairement la différence entre les bières de Budvar et celles d’Anheuser-Busch, leur goût, leur prix et leur présentation ayant toujours

560 POUILLET, Traité des marques de fabrique et de la concurrence déloyale en tous genres, 5e éd. par Taillefer et Claro,

Marchal et Billard, 1906.

561 J. SCHMIDT-SZALEWSKI, Droit de la propriété industrielle, op. cit., n° 564. 562 Paris, 16 janvier 1868, Goulet, Ann. 68.336.

563 CJCE, 22 juin 1976, aff. C-119/75, Terrapin c/ Terranova, Rec. I-1039 ; JCP G 1976, I, 2825,

obs. J.-J. BURST et R. KOVAR ; Gaz. Pal. 1977, 1, p. 43 ; Ann. propr. ind. 1976, p. 179.— Confirmé par

CJCE, 17 octobre 1990, aff. C-10/89, Hag II, Rec. I-3711 ; idem : CJCE, 11 novembre 1997, aff. C-349/95, Loendersloot, Rec. I-6227, point 24.— CJCE, 29 septembre 1998, aff. C-39/97, Canon, Rec. I-5507, point 28.

564 CJCE, 12 novembre 2002, aff. C-206/01, Arsenal, point 48, Rec. I-10273.

565 Voir notamment CJCE, 18 juin 2009, aff. C-487/07, L’Oréal c/ Bellure, point 58, Rec. I-5185 ;

Propr. ind. 2009, comm. 51, A. FOLLIARD-MONGUIRAL.

566 CJUE, 1re ch., 22 septembre 2011, aff. C-482/09, Budjovicky Budvar, narodni podnik c/ Anheuser-

été différents. Par conséquent, même si les marques sont identiques, les bières d’Anheuser- Busch et de Budvar sont nettement identifiables comme étant produites par des entreprises différentes. Cependant, la proposition de directive no 2013/0089 du 27 mars 2013 rapprochant les législations des États membres sur les marques, dans son considérant no 29, suggère de ne considérer la marque comme remplissant sa fonction de distinction que si elle est effectivement utilisée sur le marché. L’adoption définitive d’une telle conception de la fonction de distinction renforcerait davantage la thèse selon laquelle le droit de marque est un droit de marché. En effet, le droit n’existe et n’est protégé qu’autant que la marque est exploitée sur le marché. C’est pourquoi la marque doit permettre de distinguer deux produits ou deux services identiques ou similaires proposés sur le marché par deux concurrents : le signe doit détenir les qualités intrinsèques du pouvoir de distinction.

158. Le pouvoir intrinsèque de distinction de la marque.— La marque doit posséder en

elle-même un caractère propre à pouvoir distinguer des produits ou des services. C’est ainsi que l’article 1501 de l’ADPIC prévoit que « tout signe, ou toute combinaison de signes, propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises sera propre à constituer une marque de fabrique ou de commerce ». La Directive Marques, quant à elle, dispose, en son article 2 sur les signes susceptibles de constituer une marque, que « peuvent constituer des marques tous les signes susceptibles d’une représentation graphique, notamment les mots, y compris les noms de personnes, les dessins, les lettres, les chiffres, la forme du produit ou de son conditionnement, à condition que de tels signes soient propres à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises ». Cette disposition est reprise littéralement par l’article 4 du RMC, en ce qui concerne les marques communautaires. L’obligation, pour la marque, d’être distinctive, se traduit par le refus à l’enregistrement du signe ou encore la nullité de la marque. La Convention d’Union de Paris permet en effet aux pays membres de refuser l’enregistrement de marques non distinctives 567. L’article 6 quinquies B 2° de l’ADPIC

prévoit également l’énigmatique notion d’ « invalidation » d’une marque qui ne remplirait pas la condition de distinctivité. L’article 3 de la Directive Marques est beaucoup plus explicite en prévoyant qu’une marque enregistrée est susceptible d’être déclarée nulle lorsqu’elle est dépourvue de caractère distinctif. La nullité n’est en revanche pas prévue par le RMC pour les marques communautaires. Si la nullité n’est pas expressément prévue par le législateur français, le juge du fond n’hésite pas à procéder à l’annulation de marques non

567 CUP, article 6 quinquies B : « Les marques de fabrique ou de commerce, visées par le présent article, ne

pourront être refusées à l’enregistrement ou invalidées que dans les cas suivants : […] 2o Lorsqu’elles

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distinctives. Ainsi en est-il de la Cour d’appel de Paris qui a annulé une marque communautaire constituée d’une photo célèbre du Che Guevara aux motifs que « l’exigence de distinctivité intrinsèque du signe déposé est autonome par rapport à l’exigence de son absence de caractère descriptif » ; « que la distinctivité d’un signe ne se déduit pas de son absence de caractère descriptif », et « qu’elle suppose, en application de la jurisprudence communautaire, que le signe déposé ait l’aptitude à remplir la fonction qui est celle de la marque [et] qu’il permette donc au consommateur de distinguer les produits par leur entreprise d’origine et qu’il lui garantisse ce faisant l’identité et l’origine du produit ou du service concerné » 568. L’exigence du caractère distinctif de la marque est motivée par la

nécessité de ne pas restreindre la disponibilité des signes pour les opérateurs économiques concurrents 569. Ce fondement est corollairement confirmé par celui de la sanction du

caractère purement descriptif des signes. De tels signes doivent en effet pouvoir être utilisés par tous 570. Si la distinctivité est juridiquement justifiée par la possibilité qui doit

être laissée aux tiers de pouvoir utiliser librement les signes qui ne présentent pas ce caractère, elle est également fondée par la nature même de la marque. L’adoption d’une marque est une manifestation spontanée des rapports de concurrence. Le marquage est en effet un usage qui remonte à l’Antiquité, notamment aux civilisations anciennes de l’époque romaine, où les fouilles archéologiques ont permis de découvrir de nombreux objets marqués (fer, bronze, céramiques, amphores). Mais la marque était alors une simple signature du fabricant, ce qui révélait le stade artisanal et le caractère personnel de la production 571. La nécessité d’une aptitude à distinguer s’explique donc par le fait que « la

marque est un signe de communication sur le marché » 572. Les marques sont alors des

signes liant le produit à l’entreprise et qui permettent la communication entre l’entreprise et le public. Ainsi, si le signe n’est jamais perçu comme tel par les consommateurs 573, ou s’il

n’est pas interprété comme un élément servant à informer sur l’origine du produit, il devrait

568 Paris, 4e ch., section B, 21 novembre 2008, JurisData n° 2008-007171 ; Propr. ind. 2009, comm. 33,

P. TRÉFIGNY-GOY ; PIBD 2009, n° 889, III, 792.

569 CJCE, 6 mai 2003, aff. C-104/01, Libertel, Rec. I-3793, point 60.— CJCE, 24 juin 2004, aff. C-49/02,

Heidelberger Bauchemie, Rec. I-6129, point 41.

570 Voir A. FOLLIARD-MONGUIRAL, Propr. ind. 2008, comm. 55.

571 M.-A. PÉROT-MOREL, « L’extension de la protection des marques notoires », op. cit., p. 10. 572 OHMI, 3e ch. rec., 5 décembre 2001, Myles, R 0711/1999-3, PIBD 2002, 754, III, 566.

573 CJCE, 6 mai 2003, aff. C-104/01, Libertel, point 27, Rec. I-3793, JCP E 2003, 1434, n° 1,

obs. N. BOESPFLUG, P. GREFFE et D. BARTHÉLÉMY.— OHMI, ch. rec., 20 novembre 2002, Veuve

Clicquot, R 246/2000-2, point 17.— OHMI, 14 septembre 2000, Unilever, R 436/1999-1, PIBD 2001, 724, III, p. 367.

se voir refuser la qualité de signe pouvant constituer une marque 574. Un auteur a mené une

étude économique de la marque qui justifie, au plan juridique, sa distinctivité 575. D’après

cette analyse, la marque, en individualisant les produits ou les services et en les rattachant à une entreprise, fait gagner du temps au consommateur, par sa valeur de différenciation. Elle permet ainsi une économie de temps chez le consommateur en lui simplifiant la phase de sélection dans son processus de décision d’achat. La marque est d’autant plus utile que les caractéristiques du produit ne sont pas identifiables par la simple présentation visuelle, et que le brevet d’un produit est expiré ; la marque permet alors son maintien sur le marché 576. La marque est également liée à une image qui recouvre l’expérience passée du

produit et toutes les informations véhiculées par les supports publicitaires, ce qui conduit aussi à un choix affectif du consommateur. Il en est ainsi particulièrement de certaines marques notoires et renommées. Elles sont souvent perçues par le public comme un symbole, un vecteur de promotion socio-économique 577. C’est ainsi que M. Saint-Gal a pu

dire que la marque permet de rallier une clientèle 578. C’est donc à ce titre qu’un signe usuel

ou descriptif n’est pas susceptible d’être perçu par le public comme l’indicateur d’une origine. Toutefois, si le signe, usuel ou descriptif au jour du dépôt, a été enregistré par erreur, il n’y a pas lieu d’annuler la marque si, par l’usage qui en a été fait, le signe a acquis un caractère distinctif. La marque, pour être distinctive, n’a toutefois pas à être originale au sens du droit de la propriété littéraire et artistique.

159. Distinctivité et originalité.— Contrairement à une opinion certes minoritaire, nous

défendons l’absence d’originalité comme critère de la marque. En effet, certains auteurs comme le professeur Binctin voient dans la distinctivité « le siège de la créativité en droit des marques » 579. Ce dernier soutient que le choix du signe relève d’une « activité

créatrice », et qu’il est nécessaire d’opérer des choix pour constituer une marque, « faute de quoi le signe n’est pas distinctif mais purement descriptif » 580. Ainsi, pour lui, c’est le

rapport entre le signe et le produit ou le service désigné qui est le produit de la création 581.

574 Pour la couleur d’un produit, CJCE, 24 juin 2004, aff. C-49/02, Heidelberger Bauchemie, Rec. I-6129,

points 37 à 39.

575 J. BIOSSE DUPLAN, in Marque et droit économique – Les fonctions de la marque, op. cit., p. 14 et s. 576 L’auteur donne l’exemple de la marque Cellophane.

577 Ainsi en est-il de l’acquisition, dans les années 1990, par les férus de nouvelles technologies,

d’ordinateurs estampillés de la marque Apple, ou encore celle, par les jeunes issus des banlieues, d’accessoires vestimentaires de la marque Airness.

578 Y. SAINT-GAL, in Marque et droit économique, op. cit., p. 40. 579 N. BINCTIN, Droit de la propriété intellectuelle, op. cit., p. 515, n° 736. 580 Ibidem, p. 395 et s., n° 632.

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Or, l’activité créatrice est absente autant dans le choix du signe que dans la relation établie entre le signe et le produit ou le service. En effet, l’activité créatrice est juridiquement l’émanation de la personnalité de l’auteur. Par conséquent, un simple choix ne relève pas de la création. En tout état de cause, l’originalité, si elle peut exister intrinsèquement à certaines marques — notamment les marques figuratives ou les marques complexes —, n’est certainement pas un critère de la protection. La CJUE l’a rappelé en affirmant que « l’enregistrement d’un signe en tant que marque n’est pas subordonné à la constatation d’un certain niveau de créativité ou d’imagination linguistique ou artistique de la part du titulaire de la marque » 582.

À côté de la fonction essentielle de garantie d’identité d’origine, la CJUE reconnaît d’autres fonctions remplies par la marque, à savoir notamment la fonction de communication, d’investissement ou de publicité.

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