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Le caractère absolu du droit

Dans le document Le droit de marque (Page 91-93)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

B. La marque comme res nullius

II. Le caractère absolu du droit

68. La réunion des attributs du droit de propriété.— Le droit de propriété se caractérise

également, à côté de son exclusivité, par la réunion, entre les mains d’une seule personne, ou d’une collectivité propriétaire, de tous les attributs du droit réel, à savoir l’usus, le fructus et l’abusus 291. Historiquement, l’ de la propriété est le symbole de la rupture avec le système

féodal des saisines. Il signifiait alors que le droit ne souffre d’aucun empiètement du pouvoir central, et que le domaine éminent de l’État n’existe plus. Notre époque éloignée et épurée du tourbillon révolutionnaire permet de repenser le caractère absolu à la lumière de la philosophie juridique actuelle 292. Ainsi, sous quelques réserves tirées du bon sens,

évacuées de façon préliminaire, le caractère absolu doit être apprécié dans la plénitude des prérogatives du propriétaire.

69. Réserves préliminaires.— La propriété privée, telle qu’elle a été conçue en 1804, est un

droit que le législateur a intentionnellement décrété comme absolu 293. C’est ainsi tout

naturellement que la doctrine classique l’a qualifiée comme le droit le plus complet, le plus exclusif, le droit réel par excellence. Le siècle des Lumières a nourri l’idée d’un pouvoir juridique dont le titulaire peut faire ce qu’il veut : user comme s’en abstenir. Ce caractère absolu du droit ayant conduit, dès le début des années 1900, à des abus, des tempéraments sont apparus nécessaires. La jurisprudence foisonnante en matière d’abus du droit de propriété a construit une théorie prétorienne limitant les prérogatives du propriétaire. Ces limites ont rapidement été enrichies par des restrictions législatives venues encadrer la liberté du propriétaire. En effet, le propriétaire n’est pas un individu vivant seul, en robinson sur une île déserte. La vie en société impose des règles de conduite à tenir, dans le respect des droits et libertés de chacun, et dans la préservation des intérêts de la collectivité. C’est ainsi que certaines obligations ou interdictions sont dictées par les règles d’urbanisme (obligation de ravalement, interdiction de construire, de démolir ou de planter), de protection de l’environnement ou encore de préservation du patrimoine culturel. Si le caractère absolu est l’élément principal permettant la distinction entre la propriété

291 AUBRY et RAU, en interprétant l’article 544 du C. civ., définissaient en effet la propriété comme le

« pouvoir juridique le plus complet d’une personne sur une chose », et donc comme « le droit en vertu duquel une chose se trouve soumise, d’une manière absolue et exclusive, à la volonté et à l’action d’une personne » : Droit civil français, 7e éd., t. 2, par P. ESMEIN, Litec, 1961, p. 321, n° 139.

292 Voir notamment AULAGNON : « Si les rédacteurs du Code civil ont ainsi solennellement proclamé

l’absolutisme du droit de propriété, c’était pour mieux marquer leur réaction contre les entraves de l’Ancien Droit. Mais il va sans dire que l’absolu n’est pas de ce monde et qu’il s’agit seulement de considérer ce droit comme étant de tous celui qui est le plus complet, comme aussi le plus durable », in

Rev. crit. de législ. et de jurisp. 1934, p. 285.

293 C. civ., article 544 : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus

révolutionnaire et la propriété rénovée, il est, dans son existence même, contesté par la majorité doctrinale, laquelle, selon un raisonnement logique et rationnel, conçoit la propriété comme étant un droit à finalité sociale, par essence non absolu. Ainsi, selon M. le professeur Revet, le caractère absolu du droit, dans les faits, ne correspond à rien, et n’a d’ailleurs jamais correspondu à quelque chose. Il se fonde en cela sur la réserve finale du texte de l’article 544 du Code civil : « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou les règlements ». Selon lui, cette réserve marquerait, depuis l’origine, la nécessaire soumission des propriétés privées à l’intérêt général, qui fonde la kyrielle de restrictions en vigueur 294. L’article 544 du Code civil lui-même pose les limites de l’absoluité du droit

lorsqu’il tempère la plénitude des pouvoirs par les termes « pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements ». La liberté individuelle s’arrête où commence elle d’autrui, pour paraphraser Planiol 295. Il s’agit donc pour le propriétaire de

ne pas abuser de son droit de propriété. L’exercice du droit de propriété engage la responsabilité civile du titulaire lorsqu’il n’a d’autre objectif que de causer à autrui un dommage, les juges se fondant sur l’article 1382 du Code civil pour sanctionner les actes nuisibles. Ainsi, le caractère absolu ne signifie pas que le droit est discrétionnaire. Au contraire, l’absoluité résulte d’une plénitude des prérogatives.

70. Une plénitude des prérogatives.— La plénitude des prérogatives du propriétaire,

expressément édictée à l’article 544 du Code civil, est décrétée avec force : « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » 296. Si le propriétaire a

le droit de faire ce qu’il veut de son bien, ce n’est qu’à la condition de ne pas en faire « un usage prohibé par les lois et par les règlements ». Dans les limites prévues par ce texte, le propriétaire est libre. C’est ainsi que les professeurs Terré et Simler voient dans l’absoluité du droit « le caractère de ce qui n’a rien de contingent, ni de relatif » : la plénitude des prérogatives est reconnue au propriétaire 297. En somme, pour citer Roubier, le droit de

propriété est « la forme la plus complète du droit subjectif » 298, ce qui exclut le droit de

marque.

Les thèses qualifiant le droit de marque en droit de propriété se fondent également, outre sur l’application des critères du droit de propriété, sur celle des mécanismes propres au droit des biens.

294 Th. REVET, « Les nouveaux biens », op. cit.

295 La formule célèbre de l’auteur est la suivante : « Le droit cesse où l’abus commence ». 296 Nous soulignons.

297 F. TERRÉ et Ph. SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., p. 136, n° 141. 298 ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz, 1963, p. 29.

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§ 2. L’

APPLICATION DES MÉCANISMES PROPRES AU DROIT DES BIENS

71. Plan.— Lorsqu’un droit de propriété est reconnu sur une chose, les règles d’acquisition et

de preuve du droit applicables en droit des biens doivent être observées. De plus, un bien étant un élément d’actif du patrimoine, il fait partie de l’assiette du droit de gage général des créanciers du propriétaire. Dès lors, à titre particulier, il peut également faire l’objet d’une sûreté réelle. Les mécanismes propres au droit des biens, qui pourraient, selon les thèses du droit de propriété, s’appliquer aisément au droit de marque, sont, d’une part, celui de la possession (I), et d’autre part, celui du gage (II).

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