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La difficile réalisation de la garantie

Dans le document Le droit de marque (Page 123-125)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

B. La difficile mise en gage de la marque

2. La difficile réalisation de la garantie

106. Plan.— Le nantissement confère traditionnellement deux prérogatives au bénéficiaire :

l’attribution judiciaire du bien nanti et la vente judiciaire dudit bien. Or, il s’avère que des difficultés pratiques font obstacle à l’efficacité de ces mesures. Ainsi, si la marque peut théoriquement être attribuée judiciairement (a) ou mise en vente forcée (b), la pertinence de telles mesures est discutable. Quant au pacte commissoire, il apparaît dangereux pour les intérêts économiques de la société titulaire de la marque (c).

a. Les difficultés liées à l’attribution judiciaire de la marque

107. La remise en cause de l’utilité de l’attribution judiciaire.— Dans la fiducie-sûreté, la

réalisation s’opère par l’acquisition de la libre disposition de la marque cédée à titre de garantie. En ce qui concerne le nantissement, la réalisation se fait par l’attribution judiciaire de la marque au créancier nanti. Cependant, un problème pratique demeure : le créancier nanti ou fiduciaire aura-t-il les qualités nécessaires pour exploiter utilement le monopole conféré par le droit intellectuel ? La question se pose d’autant plus que dans la majorité des cas, la marque est détenue par une société dont les créanciers principaux sont des établissements de crédit ou assimilés. Un créancier financier a-t-il seulement un intérêt à prendre une sûreté sur un élément d’actif qui nécessite une gestion complexe ? La difficulté n’est donc pas tant dans la réalisation effective de la garantie (rien n’empêche légalement l’attribution judiciaire d’un titre de propriété industrielle) que dans les modalités pratiques d’exploitation de la marque par un créancier nanti non familiarisé aux techniques de gestion

399 La Cour de cassation a en effet refusé l’exercice de l’action en contrefaçon de brevet par voie oblique en

se fondant sur l’argument suivant : l’action en contrefaçon « ne peut être exercée contre la volonté du propriétaire » (Com., 8 juillet 1958, JCP 1959, II, 10981, note R. PLAISANT ; RTD com. 1959, p. 420, obs. ROUBIER et A. CHAVANNE). On peut alors prévoir qu’il en ira de même en cas de contrefaçon de

marque.

400 Dans le même sens, C. LISANTI-KALCZYNSKI, Les sûretés conventionnelles sur meubles incorporels, op. cit.,

d’un portefeuille de marques. Il s’agit d’un problème d’opportunité qu’on peut retrouver dans les difficultés liées à la vente judiciaire de la marque.

b. Les difficultés liées à la vente judiciaire de la marque

108. Le risque de dévaluation de la marque par la revente.— Ici encore, si la validité

théorique de la vente judiciaire n’est pas remise en question, c’est l’opportunité d’une telle opération qui est mise en doute. La valeur de la marque à sa revente dépendra en effet des opportunités d’exploitation qu’offre la marque. Or, il est possible d’établir en pratique un lien de causalité entre la défaillance du débiteur et la mauvaise exploitation de la marque. Le nouvel acquéreur ne peut que se montrer prudent 401. Les effets du droit de l’Union

européenne contribuent également à la dévaluation de la marque : lorsque le titulaire initial d’une marque enregistrée dans plusieurs États se voit contraint de la céder dans un pays, les droits du cessionnaire s’en trouvent atteints du fait de la coexistence de deux marques identiques sur le même marché européen. L’arrêt Hag II 402, confirmé par l’arrêt Ideal

Standard 403, nous enseigne que la cession, même volontaire, ne réalise pas l’épuisement des

droits du titulaire de la marque. Ainsi, le cessionnaire ne peut, sans encourir une action en contrefaçon, importer des produits marqués dans un pays où le cédant reste titulaire de la marque. Dès lors, si le cessionnaire ne peut envisager une exploitation dans les pays où le cédant reste propriétaire des droits, cela réduit considérablement la valeur de la marque. La vente judiciaire n’est donc pas le meilleur mode de réalisation de la garantie en matière de marques, le créancier nanti risquant au contraire de ne pas être suffisamment désintéressé. C’est pourquoi il peut s’avérer utile de conclure un pacte commissoire entre le constituant et le créancier, mais c’est à la condition d’éviter le danger que peut représenter ce type de convention.

c. Le danger du pacte commissoire

109. La mise en péril de l’économie de la société titulaire de la marque.— Le pacte

commissoire est la clause, lors de la constitution de la sûreté, stipulant qu’à défaut

401 En ce sens, à propos des propriétés industrielles en général, N. MARTIAL, Droit des sûretés réelles sur

propriétés intellectuelles, op. cit., p. 371, n° 566.

402 CJCE, 17 octobre 1990, aff. C-10/89, SA CNL-Sucal c/ Hag GF AG, dit Hag II, Rec. I-3711 ;

RTD eur. 1991, p. 639, obs. G. BONET : « La fonction essentielle de la marque serait compromise si le titulaire du droit ne pouvait pas exercer la faculté que la législation nationale lui confère de s’opposer à l’importation du produit similaire sous une dénomination de nature à être confondue avec sa propre marque, car dans cette hypothèse, les consommateurs ne seraient plus en mesure d’identifier avec certitude l’origine du produit marqué et le titulaire du droit pourrait se voir imputer la mauvaise qualité d’un produit dont il ne serait nullement responsable ».

403 CJCE, 22 juin 1994, aff. C-9/93, IHT Internationale Heiztechnik c/ Ideal-Standard, Rec. I-2836 ;

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d’exécution de l’obligation garantie, le créancier deviendra propriétaire du bien mis en gage 404. Une telle convention évite aux parties de recourir à un juge pour attribuer la chose

nantie au créancier, lors de la réalisation de la sûreté. Les effets sont donc similaires à ceux de la réalisation en matière de fiducie-sûreté. Le danger présenté par le pacte commissoire est que le titulaire de la marque prend le risque de se voir déposséder de son droit de propriété industrielle dès le moment de son insolvabilité. Or, la marque n’est pas un bien ordinaire. Comme développé précédemment, une sûreté constituée sur la marque affecte nécessairement le droit intellectuel. En perdant la marque, le titulaire perd en même temps tous les droits découlant du titre : exclusivité d’exploitation, redevances de licences, droit de contrôle des réseaux de distribution, etc. Seul le titulaire d’une marque également enregistrée hors du territoire conservera des droits similaires, ceux portant sur les marques déposées à l’étranger, voire ceux portant sur une marque communautaire. Le maintien de ces signes peut toutefois lui accorder l’avantage d’une notoriété ou d’une renommée faisant alors obstacle à l’exploitation, par le créancier cessionnaire, de la marque cédée sous la même forme. Il apparaît donc peu probable qu’un titulaire d’une marque puisse trouver quelconque intérêt à conclure un pacte commissoire accessoirement à une clause de garantie portant sur sa marque.

Au vu de certaines incohérences constatées dans l’assimilation du droit de marque au droit de propriété, des limites peuvent être relevées dans les différentes qualifications propriétaires.

§ 2. L

ES LIMITES DES QUALIFICATIONS PROPRIÉTAIRES

110. Plan.— Les qualifications juridiques actuelles du droit de marque ne lui rendent pas justice

en ce qu’elles ne permettent pas de dégager le régime juridique approprié. Doivent ainsi être remises en question, d’abord les qualifications propriétaires (I), et ensuite les qualifications alternatives assimilables aux modèles propriétaires (II).

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