• Aucun résultat trouvé

L E DROIT DE MARQUE : UN DROIT ÉVOLUTIF

Dans le document Le droit de marque (Page 196-200)

SUR LES CONDITIONS D ’ EXISTENCE DU DROIT

L E DROIT DE MARQUE : UN DROIT ÉVOLUTIF

175. Plan.— Le droit de marque est un droit qui protège la place occupée par le titulaire sur le

marché de ses produits ou de ses services. Dès lors, l’étendue du droit de marque évolue en fonction de la position occupée par la marque dans l’esprit du public et vis-à-vis de ses concurrents. En effet, selon les économistes, « la puissance d’une marque est fonction de la place qu’elle occupe dans l’esprit des consommateurs » 645. C’est ce qui explique, en premier

lieu, la protection minimale des marques ordinaires (§ 1), et en second lieu la protection élargie des marques notoires et renommées (§ 2).

§ 1. U

NE PROTECTION MINIMALE DES MARQUES ORDINAIRES

176. Plan.— Le droit actuel des marques a pour objet de protéger une place détenue par le

titulaire sur le marché. Par conséquent, l’enregistrement permet la réservation d’une place future sur le marché (I), tandis que l’action en contrefaçon protège une place actuelle sur le marché (II).

I. La réservation par l’enregistrement d’une future place sur le marché

177. Plan.— Cette affirmation de l’arrêt Ansul de la CJUE démontre bien la nature juridique de

droit de marché : « la protection de la marque et les effets que son enregistrement rend opposables aux tiers ne sauraient perdurer si la marque perdait sa raison d’être commerciale, consistant à créer ou à conserver un débouché pour les produits ou services portant le signe qui la constitue » 646. Nos propos invitent, dans un premier temps, à

conceptualiser la notion de place sur le marché (A), avant de comprendre le rôle de l’enregistrement dans la réservation d’une place sur le marché (B).

645 K. KELLER, Management stratégique de la marque, adaptation française de N. FLECK et I. FONTAINE, 3e éd.,

Pearson Education France, 2009, p. 36. En effet, selon cet auteur, le modèle CBBE (Customer-Based

Brand Equity), qui aborde le capital-marque sous l’angle du consommateur, postule que la puissance

d’une marque dépend de ce que les consommateurs ont pu apprendre, ressentir, voir et entendre à son propos, au fil des expériences vécues.

646 CJCE, 11 mars 2003, aff. C-40/01, Ansul, point 37, Rec. I-2439 ; Comm. com. électr. 2003,

— 196 —

A. La notion de place sur le marché

178. La distinction entre place sur le marché et part de marché.— La principale spécificité

du droit de marque réside dans l’importance du marché, concept consubstantiel au droit de marque. Le marché d’un bien ou d’un service étant globalement défini comme le lieu de la confrontation d’une offre et d’une demande qui permet la fixation d’un prix 647, le droit de

marque n’existe que pour conquérir et garder des parts de marché. C’est ce qui explique la subordination de la protection à une exploitation effective du signe enregistré. Le droit de marque est donc un droit qui tend exclusivement à la conquête de parts de marché. D’un point de vue économique, les parts de marché se définissent par des indicateurs qui permettent de préciser l’importance d’un produit, d’une marque ou d’une société sur son marché, pour une période donnée. La part de marché se calcule par le ratio : vente de la marque relatives à un produit / ventes totales sur le marché relatives au même produit. Les ventes peuvent s’exprimer en valeur monétaire ou en volumes de produits vendus. Cependant, les parts de marché ne peuvent être protégées par le droit car elles ne peuvent faire l’objet de droit privatif. Le jeu de la libre concurrence dans une économie de marché l’empêche. Ainsi, le droit de la concurrence, en régulant les opérations commerciales sur le marché, et en sanctionnant aussi bien les pratiques anticoncurrentielles que les actes de déloyauté commerciale, n’a pas pour objet de préserver les parts de marché détenues par les entreprises. La liberté du commerce et de l’industrie tend au contraire à organiser une course au profit et à la performance des concurrents, dans le but d’allouer aux consommateurs les meilleures ressources. De même qu’on ne peut se réserver une clientèle, on ne peut se réserver des parts de marché. L’objectif même de la libre concurrence consiste à s’accaparer les parts de marché de ses concurrents. Par conséquent, ce qui est protégé par le droit, c’est la place occupée par le titulaire d’une marque sur le marché des produits ou services de sa spécialité, c’est-à-dire sa place sur le marché.

179. Le droit de marché : un droit sur une place sur le marché.— Ce qui est protégé, c’est

la position qu’occupe la marque sur le marché de ses produits ou services, par rapport à ses concurrents 648. En effet, les économistes ont constaté qu’ « en payant très cher des

entreprises à marques, les acquéreurs voulaient acheter en fait une position dans l’esprit des clients potentiels, première loge ou strapontin » 649. D’ailleurs, M. le professeur Pollaud-

647 G. CANIVET et CHAMPALAUNE, « Le comportement du consommateur dans la définition du marché »,

in Etudes de droit de la consommation, Liber Amicorum Jean CALAIS-AULOY, Dalloz, 2004, p. 227 et s.

648 Voir notamment N. POLLAK, Droit des marques, op. cit., p. 22, no 33 : « L’image de la marque est le

résultat d’une stratégie marketing et de communication, créée pour déterminer la place du produit dans l’esprit des consommateurs, le résultat d’efforts et d’investissements considérables de son titulaire ».

Dulian généralise l’idée de place sur le marché en l’étendant aux autres droits de propriété industrielle. C’est ainsi qu’il parle du titulaire des droits : « En défendant son droit exclusif, on lui garantit le respect de la position concurrentielle qu’il a conquise grâce à ses inventions, ses dessins ou modèles et ses marques » 650. Cette position est plus ou moins

importante en fonction du degré de perception, par le public, de la marque sur le marché, laquelle dépend à la fois du succès des produits ou services rencontré auprès du public, et de la stratégie menée dans la campagne publicitaire développée autour de la marque. Le doyen Roubier était sans doute le précurseur d’une telle théorie lorsqu’il écrivait que le droit des marques donne « une position solide vis-à-vis de la clientèle à celui qui aura su faire apprécier sa marque par le public » 651. Enfin, Mme Malaurie-Vignal écrit que les valeurs

immatérielles enrichissant le capital d’une société, comme la marque, « confèrent à l’entreprise une place sur un marché. Cette position sur le marché, résultant de ces valeurs immatérielles, constitue une barrière à l’entrée de nouveaux entrants » 652. La place sur le

marché est identifiée par le lien établi entre la marque et le produit ou le service. Le marché auquel il faut se référer est donc le marché du produit ou service désigné par la marque, et non le marché du produit ou service répondant aux mêmes besoins du consommateur. Ainsi, le marché de la marque L’Oréal est le marché des produits de beauté de la marque

L’Oréal, et non le marché de tous les produits de beauté intersubstituables entre eux.

La place sur le marché n’est dès lors pas l’apanage de la marque : d’autres signes distinctifs, à condition qu’ils puissent faire l’objet d’une réservation, sont susceptibles d’occuper des places sur le marché.

180. Une nature juridique commune à d’autres signes distinctifs.— Si telle est la définition

de la place sur le marché, l’on peut dire que certains signes distinctifs occupent également des places sur le marché, à la fois vis-à-vis des concurrents et dans l’esprit du public. En effet, le nom de domaine, dont l’acquisition se fait par la réservation exclusive auprès d’un office d’enregistrement, identifie une place sur Internet. Si un nom de domaine identifiant un site Internet commerçant est susceptible d’occuper une place sur le marché, il n’en est pas ainsi de tous les signes distinctifs : l’appellation d’origine et les labels que sont les marques collectives de certification n’ont pas pour vocation de garantir l’origine de production ou de commercialisation des produits ou services. Leur rôle se borne à garantir que les produits ou services estampillés remplissent les qualités ou les caractéristiques

650 F. POLLAUD-DULIAN, Propriété intellectuelle. La propriété industrielle, op. cit., p. 44-45, no 79.

651 ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. II, op. cit., p. 483, n° 244.

652 M. MALAURIE-VIGNAL, « Les valeurs immatérielles et virtuelles de l’entreprise, entre protection et

— 198 —

requises par le label. En matière de noms de domaine, l’enregistrement sert à garantir la réservation d’une place sur Internet. En droit des marques, le rôle de l’enregistrement est également de garantir la réservation d’une place sur le marché concernant les produits ou services désignés.

B. Le rôle de l’enregistrement dans la réservation d’une place sur le marché

181. La perte de la place sur le marché par la non-exploitation de la marque.—

L’enregistrement a pour objet de porter à la connaissance des tiers qu’une marque est déposée pour désigner tel produit ou tel service. Cette publicité administrative est considérée par le droit comme essentielle au bon déroulement de la concurrence. Les opérateurs déjà présents sur le marché doivent être informés de l’entrée en lice d’un nouveau concurrent. Ce dernier est identifié par la marque qu’il a enregistrée. Si interdiction est faite aux tiers d’utiliser la même marque pour désigner un produit ou un service identique, c’est en raison de la réservation faite de la place ainsi occupée sur le marché. Corollairement, si le droit prévoit la déchéance de la marque pour non-exploitation, c’est pour libérer la place occupée inutilement pour le produit ou service désigné. Un autre opérateur économique en mesure de faire usage du même signe doit pouvoir se voir attribuer la marque afin d’en tirer les meilleures utilités économiques, l’objectif final étant d’offrir au public les produits ou les services les plus compétitifs en termes de qualité et de prix. Cela confirme les fonctions de la marque et celles du droit de marque, ainsi que le caractère non absolu du droit de marque. La marque sert en effet à garantir l’origine des produits marqués. La qualification propriétaire est loin de rendre compte de la fonction utilitaire du droit de marque. Aussi la place acquise par l’enregistrement sur le marché est- elle protégée par l’action en contrefaçon et non par l’action en revendication. La notoriété paraît accorder de facto un droit privatif au titulaire d’une marque d’usage notoire car elle rend indisponibles des signes identiques ou similaires. La raison en est que la place sur le marché, une fois prouvée, est présumée occupée de manière irréfragable, du fait de la forte visibilité de la marque. C’est pourquoi il ne semble pas choquant de considérer que le droit sur une marque d’usage notoire est un véritable droit de marque au même titre que le droit découlant d’un enregistrement.

II. La protection par l’action en contrefaçon de la place actuelle

sur le marché

182. Plan.— La sanction de la contrefaçon (B) s’explique par l’usurpation d’une place sur le

A. L’usurpation d’une place sur le marché

183. La création d’une confusion sur l’origine des produits ou services.— La contrefaçon

se définit globalement par l’usage ou la suppression d’une marque identique ou similaire, sans autorisation du titulaire, pour désigner des produits ou services identiques ou similaires 653. En faisant croire au public que des produits ou services non authentiques

proviennent du titulaire de la marque authentique, ou que des produits authentiques proviennent du contrefacteur, on subtilise frauduleusement la place occupée par la marque sur le marché. On occupe indûment une place détenue légalement par autrui. Or, un tel comportement est prohibé du fait de l’effet principal de l’enregistrement qui est la réservation d’une place sur le marché. Cette dernière procédure a en effet pour vocation de porter la marque à la connaissance des tiers qui, du fait de la présomption dans laquelle ils se trouvent de connaître la présence de la marque nouvelle sur le marché, se voient devoir une obligation passive de respecter l’exclusivité d’usage par le titulaire. C’est donc logiquement que la création d’une confusion sur l’origine des produits ou services, traduite par l’usurpation d’une place sur le marché, est sanctionnée par l’action en contrefaçon.

B. La réponse par la sanction de la contrefaçon

184. Le fondement : le droit de marque est un outil du droit de la concurrence.— La

sanction de la contrefaçon permet de réguler le jeu de la concurrence. Comme nous l’avons déjà démontré, en l’absence de droits de marque octroyant l’exclusivité de places sur le marché, la libre concurrence serait exercée de façon sauvage. Les consommateurs ne seraient plus en mesure de distinguer les produits ou services entre eux. Ainsi, l’indice donné par la marque sur la qualité ou le prix du produit ne serait plus objectif, car les opérateurs concurrents pourraient utiliser tous les moyens, loyaux comme déloyaux, dans la conquête de la clientèle. En ce sens, le droit des marques est donc un instrument du droit de la concurrence. Ce sont des indicateurs fiables et objectifs comme les marques, au surplus enregistrées auprès d’un organisme public, qui servent d’outils à leurs titulaires dans la course aux parts de marché. Les opérateurs, au lieu d’avoir chacun ses propres armes, comme dans un combat de rue, se retrouvent à faire courir, dans un jeu encadré et organisé, des voitures de course de même puissance.

653 L’article L. 716-1 qualifie de contrefaçon civile « l’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque »,

l’atteinte étant définie aux articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4 alinéa 2. Les articles L. 716-9, L. 716-10 et L. 716-11 (ce dernier article concerne les marques collectives de certification), quant à eux, définissent les délits de contrefaçon qui ont trait pour l’essentiel à la production, la détention et la commercialisation sous toutes ses formes (vente, location, importation, exportation, transbordement, commande, livraison) de marchandises présentées sous une marque contrefaisante.

Dans le document Le droit de marque (Page 196-200)