• Aucun résultat trouvé

La possession comme mode de preuve du droit

Dans le document Le droit de marque (Page 95-97)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

B. La possession comme mode de preuve du droit

76. La possession des objets incorporels.— La lecture de l’article 2255 du Code civil efface

toute équivoque sur l’applicabilité de la possession aux objets incorporels, les droits étant par essence des choses immatérielles. L’évolution législative paraît vouloir généraliser le principe, en témoigne le futur article 557 proposé par l’avant-projet de réforme du droit des biens, ainsi que le futur article 558 du même texte, qui dispose que « la possession des meubles incorporels obéit aux lois spéciales qui les régissent ». Cependant, si cette dernière disposition entend renvoyer au Code de la propriété intellectuelle, nulle mention n’y est faite concernant la possession des droits intellectuels. Mais le principe est acquis, concernant la possession des choses immatérielles.

77. Le mécanisme de la possession des meubles incorporels.— La notion de possession

étant un des fondements de la propriété, la théorie propriétaire pourrait se justifier par l’applicabilité de la possession aux objets de droits intellectuels. En effet, en vertu de l’article 2276 du Code civil, « en fait de meubles, la possession vaut titre ». Ce qui érige la possession en mode de preuve de la propriété. À qui objecterait que classiquement, la possession ne s’applique qu’aux objets matériels, il serait facile de brandir la définition de la possession donnée par l’article 2255 du Code civil : « La possession est la détention ou la

307 F. DANOS, Propriété, possession et opposabilité, thèse, Economica, 2007, p. 110, n° 101.

308 A. PÉLISSIER, Possession et meubles incorporels, op. cit., p. 123-124, nos 272 et s. : « Au moment de la

naissance du droit, au moment du dépôt, le droit n’existe pas encore, et c’est sur le pouvoir de fait de la possession que va devoir alors se baser la naissance du droit ».

jouissance d’une chose ou d’un droit […] » 310. Cette définition légale, de toute évidence,

met en échec la summa divisio entre objets corporels et objets incorporels, puisqu’elle admet clairement la possession d’un « droit ». La qualité de possesseur est donc révélée, non par la maîtrise physique de la chose, mais par l’exercice des prérogatives attachées à cette chose 311. Plus n’est besoin, ainsi que l’enseignait la doctrine classique, d’une emprise

physique pour caractériser la possession 312. Seule importe l’intention, l’animus domini, la

jouissance effective de la chose ou du droit. En effet, la définition du corpus s’est modifiée avec le développement de la possessio juris, la possession des droits, acceptée par les Romains concernant les servitudes, l’usufruit, l’emphytéose ou la superficie 313. La possession est

devenue « la jouissance effective des utilités et/ou des prérogatives attachées à une chose », et peut donc s’appliquer indistinctement aux biens corporels ou incorporels 314. Cette

jouissance consacrée par le droit sous la forme de la possession est prise en otage par une partie de la doctrine propriétariste pour arrêter la nature juridique des droits intellectuels. Comment, dès lors, expliquer la résistance jurisprudentielle sur la question ?

78. La résistance jurisprudentielle.— Les juges sont unanimes à refuser d’appliquer la

possession aux objets incorporels, et, comme une pétition de principe, affirment solennellement que l’article 2276 (anciennement 2279) est applicable aux seuls meubles corporels individualisés 315. Cette position est solide et constante puisque dès le XIXe siècle,

la Cour de cassation a rejeté l’applicabilité de la possession aux créances 316 et aux titres

nominatifs 317. Plus tard, la même solution est étendue aux fonds de commerce 318, aux

310 Nous soulignons.

311 Voir la convaincante démonstration d’A. PÉLISSIER qui conclut que le corpus de la possession doit alors

être « dilaté » pour y voir un pouvoir de fait, « pouvoir abstrait », et non un pouvoir matériel (Possession et

meubles incorporels, op. cit., p. 84 et 101).

312 SALEILLES faisait remarquer que la possession exige une prise de possession matérielle, une mainmise

sur la chose (« Etudes sur les éléments constitutifs de la possession », Rev. bourguignonne de l’enseignement

supérieur, tome 3, 1893, p. 121 et s., et p. 197 et s., tome 4, 1894, p. 201 et s., et p. 309 et s., spéc. tome 3,

n° 8, p. 130, cité par F. DANOS, Propriété, possession et opposabilité, op. cit., p. 90, n° 83).

313 GIRARD, Manuel élémentaire de droit romain, n° 592, p. 354, cité par F. DANOS, Propriété, possession et

opposabilité, op. cit., p. 91, n° 83.

314 F. DANOS, Propriété, possession et opposabilité, op. cit., p. 107, n° 99. 315 Civ. 1re, 6 mai 1997, pourvoi no 95-11.151, Bull. I, n° 144.

316 Civ., 2 décembre 1856, DP 1856, I, 443.— Voir aussi Req., 25 novembre 1929, DH 1930, 3. Cette

jurisprudence sera vouée à la désuétude si l’avant-projet de réforme du droit des biens est adopté, puisque le futur article 557 du Code civil consacrerait expressément la possession des créances, en disposant que « le paiement fait de bonne foi au possesseur d’une créance est valable, encore que le possesseur soit par la suite évincé ».

317 Req., 4 janvier 1876, DP 1877, I, 33.

— 96 —

sommes d’argent 319, et plus récemment aux licences d’exploitation d’un débit de

boissons 320. Les droits intellectuels n’échappent pas à la règle, et les juges n’hésitent pas à

retirer les droits d’auteur à l’emprise de la possession 321. Ces solutions jurisprudentielles

étonnent à l’heure où la doctrine majoritaire prône une nouvelle summa divisio fondée non plus sur la distinction entre meubles et immeubles, mais sur celle des biens matériels et des biens immatériels 322. D’aucuns déplorent ainsi le maintien de la distinction opérée par

l’avant-projet de réforme du droit des biens entre meubles et immeubles 323.

À côté de la possession, il semblerait que le mécanisme du nantissement de meubles incorporels puisse également s’appliquer, au moins en théorie, à la marque.

II. La mise en gage théorique de la marque

79. Plan.— Un second mécanisme propre au droit des biens est constitué par les sûretés

réelles. En effet, les biens se caractérisent comme étant l’assiette de la garantie des créanciers de leur propriétaire (A). Dès lors, si le droit de marque est compris dans les biens du débiteur, il peut théoriquement être nanti au profit du créancier, ce qui entraîne l’application du droit commun du gage (B).

Dans le document Le droit de marque (Page 95-97)