• Aucun résultat trouvé

Le principe de l ’acquisition par l’enregistrement

Dans le document Le droit de marque (Page 166-170)

SUR LES CONDITIONS D ’ EXISTENCE DU DROIT

L E DROIT DE MARQUE : UN DROIT ARTIFICIEL

I. Le principe de l ’acquisition par l’enregistrement

147. L’enregistrement, acte générateur du droit.— Le droit de marque est attribué par

l’INPI, sous réserve pour le signe de remplir toutes les conditions d’existence de la marque, notamment celle de distinctivité 522. L’enregistrement est un acte qui assure la publicité

légale de la marque, de manière à la porter à la connaissance des professionnels présents sur le marché 523. Ainsi, contrairement au droit d’auteur, le droit de marque ne naît pas du seul

choix d’un signe distinctif. À ce titre, ce n’est donc pas un droit naturel inhérent à la personne de son titulaire. Braun et Capitaine le font remarquer en citant le réquisitoire prononcé par Mesdach de ter Kiele, sur le pourvoi de Masquelier, propriétaire de la firme Boonekamp : « La propriété des marques de fabrique n’est pas de droit naturel ; elle doit son existence à la loi qui l’a instituée et qui y a mis pour condition expresse l’accomplissement de formalités qui n’admettent aucun équivalent […]. Jusqu’au dépôt, la marque n’est la propriété exclusive de personne, et la formalité est véritablement attributive

522 CPI, article L. 711-1.

— 166 —

de droit » 524. Il n’est donc pas dans la nature des choses de vouloir s’approprier un signe

distinctif. Comme le dit le doyen Roubier, « le caractère exclusif des droits intellectuels, dans la mesure où il est admis par la loi, correspond à quelque chose d’artificiel, et non point à la nature des choses » 525. Les théories jusnaturalistes ne doivent pas prendre en

considération le droit de marque, qui est un droit concédé par une autorité étatique à un utilisateur prenant l’initiative de contribuer à l’essor de l’économie et du commerce. D’ailleurs, sous l’Ancien Droit, le droit de marque était accordé au moyen d’un privilège, logique radicalement différente du droit de propriété 526. En effet, le privilège était attribué

sélectivement et arbitrairement. Si l’octroi du droit de marque a aujourd’hui perdu son caractère arbitraire, il reste sélectif en ce qu’il est réservé aux déposants respectant les critères de l’enregistrement de la marque. Or, le droit de propriété appartient naturellement à toute personne s’étant approprié une chose appropriable. C’est en cela que les décisions du Conseil constitutionnel des 8 janvier 1991 527 et 15 janvier 1992 528 proclamant que les

« domaines individuels nouveaux » du champ d’application du droit de propriété comprennent « le droit pour le propriétaire d’une marque de fabrique, de commerce ou de service d’utiliser celle-ci et de la protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France » ne doivent pas être interprétées restrictivement. En effet, elles poursuivent un objectif précis distinct de celui du droit de marque : les requérants reprochaient aux textes soumis au contrôle de constitutionnalité d’empêcher les titulaires de marques d’exercer leurs droits intellectuels dans des conditions normales. En reconnaissant que la marque est un bien, le Conseil constitutionnel ne commet aucune erreur d’identification de l’objet du droit, puisqu’il n’en tire aucune conséquence liée à l’atteinte au droit. Il se borne à régler un conflit d’intérêts en faisant primer sur le droit de marque, tantôt « le principe constitutionnel de protection de la santé publique » 529, tantôt

« l’intérêt général » qui consiste dans l’introduction de la publicité comparative visant à améliorer l’information des consommateurs et à stimuler la concurrence dans le respect des règlements clairement établis 530. Ces décisions n’ont pas vocation à régir le droit de

524 BRAUN et CAPITAINE, Les marques de fabrique et de commerce, Bruxelles : Bruylant ; Paris : LGDJ, 1908,

p. 159, n° 74.

525 ROUBIER, Droits subjectifs et situations juridiques, op. cit., p. 284. 526 F. ZÉNATI-CASTAING et Th. REVET, Les biens, op. cit., p. 114, no 66.

527 Cons. const., décision no 90-283 DC, 8 janvier 1991, considérant no 7.

528 Cons. const., décision no 91-303 DC, 15 janvier 1992, considérant no 9.

529 Cons. const., décision no 90-283 DC, 8 janvier 1991, considérant no 11.

marque 531. M. le professeur Vivant affirme d’ailleurs que le juge constitutionnel n’a pas de

« fonction doctrinale » 532 et sa théorie du droit de propriété ne peut dès lors se substituer à

celles du droit civil. Cette position rallie celle de M. Chérot : « L’étude du droit des biens relève toujours des civilistes » 533. Si le droit de marque n’est pas un droit naturel, il n’est

par conséquent pas un droit fondamental.

148. Un droit non fondamental.— Le droit de propriété naît du seul fait de l’occupation sur

une chose sans maître ou de l’acquisition par cession ou libéralité, sans considération des caractères du bien. Si l’État intervient, dans certains cas, dans le processus de naissance du droit, ce n’est pas pour octroyer le droit, ce n’est que pour le reconnaître. Les titres de propriété accordés sont déclaratifs et non constitutifs de droit. C’est ainsi que le droit de propriété rejoint le Panthéon des droits fondamentaux 534. Le propre d’un droit

fondamental, en effet, c’est de ne pouvoir être retiré à son détenteur, sauf exceptions 535. Il

ne saurait être question d’un droit fondamental de marque. Plusieurs principes régissant le droit des marques le prouvent.

D’abord, et sous réserve d’un enregistrement dans un ou plusieurs pays étrangers, le principe de territorialité empêche le titulaire d’agir en contrefaçon sur un territoire autre que celui dans lequel la marque est déposée car il n’y dispose tout simplement pas de droit de marque, le signe n’y étant pas déposé 536. En comparaison, le droit de propriété, par

nature universel, peut être invoqué dans un pays étranger ; si le régime de la propriété peut varier d’un pays à l’autre, l’existence du droit, elle, ne sera jamais niée au propriétaire. Ensuite, la règle de l’épuisement limite le monopole d’exercice du droit aux territoires sur

531 Voir notamment M. GUILLAUME qui, à l’issue d’un examen minutieux des nouvelles fonctions du

Conseil constitutionnel, conclut que le Conseil constitutionnel n’a pas vocation à tout régir puisqu’il n’est pas devenu une cour suprême qui se situerait au-dessus du Conseil d’État et de la Cour de cassation, car le contrôle de ces deux juridictions est largement différent et non concurrent du sien (« Avec la QPC, le Conseil constitutionnel est-il devenu une Cour suprême ? », JCP G 2012, n° 24, étude 722).

532 M. VIVANT, « Et donc la propriété littéraire et artistique est une propriété », Propr. intell. avril 2007,

n° 23, p. 193.

533 J.-Y. CHÉROT, « La protection de la propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel »,

Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998, t. 1, p. 405.

534 Expression de Ch. CARON, in « La propriété intellectuelle au Panthéon des droits fondamentaux »,

Comm. com. électr. juin 2001, p. 25.

535 Notamment l’expropriation pour cause d’utilité publique, ou encore la réquisition des immeubles

inoccupés vacants pour pallier les crises du logement.

536 Conv. Paris, article 6-3 : « Une marque régulièrement enregistrée dans un pays de l’Union sera

considérée comme indépendante des marques enregistrées dans les autres pays de l’Union, y compris le pays d’origine ».

— 168 —

lesquels la marque n’a pas encore été introduite une première fois sur le marché 537, alors

même que les parts de marché correspondant reviendraient au titulaire qui est à l’origine de l’exploitation du signe. En outre, le principe de spécialité cantonne l’exclusivité du signe aux produits ou services visés par l’enregistrement 538, alors que si le droit était

fondamental, la protection porterait de façon absolue sur le signe, et tout acte d’atteinte, de quelque nature que ce soit, tomberait sous le coup de l’interdiction de la contrefaçon. De plus, le droit est constamment mis à l’épreuve par la possibilité qu’ont les tiers d’exercer l’action en déchéance de la marque dès que le titulaire ne l’aura pas exploitée pendant une durée de cinq années consécutives. Le titulaire peut en effet se voir déchu de son droit pour non-exploitation du signe ou encore lorsque ce dernier est devenu usuel ou déceptif, et ce, sans qu’il puisse bénéficier de la « juste et préalable indemnité » prévue par le droit des biens 539, et alors même qu’aucune utilité publique ne le justifie 540. Enfin, il est dans

l’obligation de se tenir à l’affût des usages de sa marque comme nom commun, sous peine de dégénérescence entraînant la perte de son droit. Au contraire, le droit d’auteur, par essence fondamental, peut être usé comme il peut ne pas l’être : un auteur peut choisir librement de divulguer ou non son œuvre 541.

La marque doit donc être enregistrée pour recevoir protection. Cela vaut pour tous les signes destinés à distinguer des produits ou des services, dans un but d’information du public et des professionnels présents sur le marché. Ainsi, la marque étrangère, présumée inconnue en France, doit également être enregistrée pour être portée à la connaissance des éventuels concurrents de son titulaire. Or, certaines marques étrangères sont déjà connues sur le territoire national, si bien que la procédure d’enregistrement peut paraître inutile. Mais le dépôt de la marque n’a pas pour fonction l’information des tiers sur l’existence de la marque. Il a pour fonction de conférer des droits exclusifs d’exploitation du signe. C’est donc parce que le dépôt est facultatif que la loi permet aux marques dites notoires d’occuper des places sur le marché en échappant à la rigueur de l’enregistrement.

537 CPI, article L. 713-4, alinéa 1er : « Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire

l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté européenne ou de l’Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement ».

538 CPI, article L. 712-2. 539 DDHC, article 17.

540 En ce sens, N. OLSZAK, « La propriété industrielle est-elle bien une propriété ? », D. 2002, p. 1894. 541 CPI, article L. 121-2, alinéa 1er : « L’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre. Sous réserve des

dispositions de l’article L. 132-24, il détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celle- ci ».

Dans le document Le droit de marque (Page 166-170)