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Les biens comme gage commun des créanciers

Dans le document Le droit de marque (Page 97-100)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

A. Les biens comme gage commun des créanciers

80. La confirmation de l’unité du patrimoine.— L’article 2285 du Code civil dispose que

« les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ». Ce principe est lui-même fondé sur l’article 2284 qui impose à quiconque s’étant obligé personnellement à remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et imobiliers, présents et à venir. La règle remonte à un stade avancé du droit romain, à l’époque où le débiteur cessait de répondre de ses dettes sur sa personne par sa mise en esclavage. Depuis lors, « qui s’oblige oblige le sien », dit un adage de l’Ancien Droit. Cette formule confirme la définition des biens fondée sur le contenu du patrimoine d’une personne 324. « Le patrimoine étant une

émanation de la personalité, les obligations qui pèsent sur une personne doivent

319 Civ. 1re, 6 mai 1997, pourvoi no 95-11.151, Bull. I, n° 144.

320 Com., 7 mars 2006, pourvoi no 04-13.569, Bull. IV, n° 62, p. 62.

321 Paris, 17 février 1988, D. 1989, somm., 50, obs. COLOMBET.

322 Cette summa divisio a déjà été discutée dès le projet de réforme du Code civil élaboré au milieu du XXe

siècle : Travaux de la commission de réforme du Code civil [1946-1947], Sirey, 1948, p. 781.

323 W. DROSS et B. MALLET-BRICOUT, « L’avant-projet de réforme du droit des biens : premier regard

critique », op. cit. : « Sans doute la distinction du corporel et de l’incorporel aurait pu s’imposer aujourd’hui pour constituer la ligne de fracture fondamentale entre les biens ».

naturellement aussi grever son patrimoine » 325. Le bien ainsi conçu est, selon ce postulat,

une « propriété à fonction de garantie » 326. Dès lors, le patrimoine étant présenté

communément comme l’assiette du droit de gage général des créanciers, et la marque étant reçue en doctrine comme un bien, cette dernière est susceptible de faire l’objet d’une saisie au profit des créanciers du titulaire. Selon la théorie propriétariste des droits intellectuels, le droit de marque n’échappe donc pas à la règle de la soumission au droit de gage général des créanciers. Il a du moins été avancé, en ce qui concerne le brevet d’invention, que les droits de propriété industrielle peuvent être saisis lorsque leur patrimonialisation en a été assurée 327. Or, le Code de la propriété intellectuelle est laconique au sujet de la mise en

gage de la marque. Il ne consacre qu’un article à la question, L. 714-1, lequel ne fixe pourtant pas le régime juridique applicable.

81. L’absence de régime propre.— L’article L. 714-1 du Code de la propriété intellectuelle

autorise non seulement la transmission ou la cession du droit de marque, mais également sa « mise en gage ». Au vu de la généralité de ces termes, lesquels ne font a priori aucune distinction entre gage et nantissement, l’on peut en déduire qu’une dépossession juridique du titulaire de la marque au profit du créancier est possible. Si cette généralité n’entraîne pas de jure la possibilité de constituer une fiducie-sûreté sur la marque, le législateur ne l’interdit néanmoins pas. Le titulaire-constituant pourrait transférer son droit intellectuel à son créancier, en qualité de fiduciaire, qui, afin de se garantir contre la défaillance de son débiteur, est alors désigné bénéficiaire. La dépossession n’aura alors d’utilité que si le fiduciaire-bénéficiaire, eu égard aux fonctions de la marque, recueille les prérogatives d’exploitation exclusive. Retirer au titulaire-constituant l’utilisation économique de la marque entraînerait une stérilisation économique non souhaitable pour l’entreprise et partant, un risque d’insolvabilité du débiteur. La dépossession semble alors difficilement envisageable, la valeur de la marque reposant sur son exploitation 328. Dès lors, la

dépossession, en droit des marques, se trouve remplacée par la publicité de la mise en garantie au moyen de son inscription au registre national des marques 329. Ainsi, la mise en

garantie devrait se préciser par l’appellation nantissement, lequel se définit comme

325 AUBRY et RAU, Droit civil français, t. VI, 6e éd., LGDJ, 1951, p. 229.

326 P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., nos 625 et s.— Lire également M. MIGNOT selon qui le critère du

bien tiré de sa valeur économique a pour conséquences sa cessibilité, sa saisissabilité et son utilisation possible comme objet d’une sûreté réelle, lui conférant ainsi son caractère patrimonial (« La notion de bien, contribution à l’étude du rapport entre droit et économie », RRJ 2006/4, I, p. 1805 et s.).

327 P. SALVAGE-GEREST et C. SOUWEINE, JCl. Brevet, Fasc. 4770.

328 Est-il en outre besoin de rappeler la principale sanction de l’inexploitation de la marque pendant une

période continue de cinq ans par l’action en déchéance prévue par l’article L. 714-5 ?

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« l’affectation, en garantie d’une obligation, d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs » 330. Le nantissement se distingue en effet

du gage par l’immatérialité de l’objet mis en sûreté 331, le gage admettant la dépossession du

débiteur garanti, contrairement au nantissement 332. Or, le dernier alinéa de l’article 2355 du

Code civil sur le nantissement de meubles incorporels dispose que le nantissement qui porte sur des meubles incorporels autres que les créances est soumis, à défaut de dispositions spéciales, aux règles prévues pour le gage de meubles corporels. Pourtant, d’après une étude menée par Mme le professeur Martial-Braz, le modèle de l’hypothèque mobilière, fondée sur la publicité et non sur la dépossession, serait une sûreté mieux adaptée aux droits intellectuels 333. L’auteur explique que « l’affectation de la valeur des

propriétés intellectuelles en garantie d’une créance est parfaitement concevable dans ces systèmes dès lors qu’est reconnue une mise en garantie intellectuelle fondée non plus sur la dépossession du débiteur mais sur la publicité de la sûreté. L’admission de la faculté de constituer par principe une sûreté sans dépossession conduit à lui reconnaître un régime adapté à cette dématérialisation. Dès lors, les effets de ces sûretés étant adaptés à l’absence de dépossession, la constitution d’une sûreté sur des propriétés intellectuelles peut être efficacement admise » 334. Malgré tout, le Code de la propriété intellectuelle restant muet

sur le régime applicable, l’on devrait s’en remettre au droit commun du gage 335. Selon la

définition de l’article 2333, alinéa 1er

, du Code civil, le gage est « une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs ». Cependant, les dispositions du Code civil sont muettes concernant le

330 C. civ., art. 2355, al. 1er.

331 Voir Ph. MALAURIE et L. AYNÈS qui rappellent que « selon un critère physique qui remonte au droit

romain, les richesses peuvent être classées en deux catégories. D’une part, les biens corporels, c’est-à- dire les biens tangibles, ceux qui peuvent être perçus par les sens […]. D’autre part, ceux qui ne comportent aucune matière, les biens incorporels, dont le droit reconnaît l’existence par une opération intellectuelle abstraite », pour en déduire que « les droits intellectuels sont des biens incorporels car ils ne portent pas directement sur des choses matérielles » (Les biens, op. cit., p. 61 et s., nos 200 et s.).

332 La dépossession du débiteur exerce en effet une triple fonction, protectrice des droits du créancier : elle

joue le rôle premier d’une « pré-saisie conservatoire », un second rôle publicitaire et un troisième rôle d’individualisation du bien grevé (M. CABRILLAC, Ch. MOULY, S. CABRILLAC et Ph. PÉTEL, Droit des

sûretés, 9e éd., Litec, 2010, p. 552 et s., nos 738 et s.).

333 N. MARTIAL, « La conjugaison du droit des sûretés réelles au temps des propriétés intellectuelles »,

RLDI, déc. 2005, no 11, p. 59 et s., nos 18 et s.

334 Ibidem, no 17.

335 Voir J. PASSA, Droit de la propriété industrielle, op. cit., p. 15 et s., no 11 : Les droits intellectuels sont

soumis au statut du Code civil chaque fois que celui-ci n’entre pas en contradiction avec les règles du Code de la propriété intellectuelle.

gage de droits intellectuels. Il faut alors rechercher le régime du gage sur la marque dans les dispositions du Code de commerce relatives au nantissement du fonds de commerce.

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