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Discussion sur la qualification « droit de clientèle »

Dans le document Le droit de marque (Page 131-134)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

A. Discussion sur la qualification « droit de clientèle »

120. Plan.— Après avoir rappelé les fondements de la théorie (1), nous en exposerons les

1. Fondements de la qualification

121. Justifications par l’utilité économique du droit.— Roubier, dans sa redéfinition des

droits intellectuels, part de leur utilité économique : ils tendent tous à la conquête de la clientèle 427. L’auteur aboutit au même constat concernant le contenu des droits : « il s’agit,

grâce à une emprise sur la clientèle, d’obtenir des bénéfices dans la concurrence économique » 428. Il explique ainsi l’apparition tardive des droits intellectuels : « ils n’ont pu

trouver leur reconnaissance qu’avec l’apparition d’une forme de société comme la nôtre, à base d’économie commerciale et industrielle » 429. Les droits intellectuels sont donc des

droits qui tendent avant tout à assurer une exploitation exclusive vis-à-vis de la clientèle. Il s’agit de réserver en propre à une personne le droit exclusif de reproduire, soit telle ou telle création nouvelle, qu’aucun concurrent ne pourra fournir, soit tel ou tel signe distinctif, qui servira à rallier la clientèle. Dans la thèse de Roubier, la clientèle est donc l’objet du droit : ce n’est pas un droit exercé vis-à-vis du public, c’est un droit de conquête sur une partie du public.

La théorie est cependant insuffisante au regard du choix de la clientèle comme critère.

2. Critique de la qualification

122. Le fondement de la nature juridique du droit dans les fonctions de la marque.— La

théorie de Roubier a le mérite de prendre en considération les fonctions essentielles de la marque 430. L’auteur tire en effet de la distinctivité du signe une fonction consistant à

« garantir au public la provenance des produits » 431. Partant, dit-il, le droit des marques

« tend à faire contrepoids à un régime de concurrence illimitée, en donnant une position solide vis-à-vis de la clientèle à celui qui aura su faire apprécier sa marque par le public » 432.

L’identification de la « position vis-à-vis de la clientèle » est très proche de la notion de position sur le marché, c’est-à-dire de la « place sur le marché » que nous défendons dans la présente thèse. Cependant, Roubier ne fait pas la distinction que nous faisons entre l’objet du droit des marques et l’objet du droit de marque. Pour lui, l’objet du droit des marques rejoint celui du droit exclusif d’exploitation puisque le droit subjectif qui naît au profit du

427 ROUBIER, « Droits intellectuels ou droits de clientèle », op. cit., p. 291. 428 Ibidem

429 Ibidem.

430 Les fonctions essentielles sont ici entendues dans leur sens donné par la CJCE : selon cette juridiction,

la fonction essentielle de la marque est « notamment » de garantir que les produits ou services marqués ont la même provenance.

431 ROUBIER, Le droit de la propriété industrielle, t. II, Sirey, 1954, p. 483, n° 244. 432 Ibidem.

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titulaire a « pour objet de donner une certaine position vis-à-vis de la clientèle, de l’assurer et de la fixer, autant que cela peut être concevable dans un régime de concurrence et de liberté économique » 433. Or, selon nous, le droit des marques a pour objet de réguler le jeu

naturel de la libre concurrence — ce qui peut se concevoir comme une limite artificielle à la liberté de la concurrence —, tandis que le droit de marque a pour objet de réserver à son titulaire l’exclusivité d’exploitation de sa position sur le marché par rapport à ses concurrents et par rapport au public. Mais ce qui suscite notre réserve, c’est la considération faite par Roubier de la clientèle.

123. Le rejet de la clientèle comme objet de droit.— Ce qui ne satisfait pas dans la thèse des

« droits de clientèle », c’est la considération de la clientèle : étant un ensemble de consommateurs, donc de personnes physiques, elle ne saurait faire l’objet d’un droit, économique soit-il. Si Roubier insiste sur le fait qu’ « il n’existe jamais de droit à un certain quantum de clientèle », et que le droit de marque « ne tend pas à réserver à son titulaire l’exclusivité de la clientèle, mais seulement l’emploi exclusif de signes qui servent de ralliement à la clientèle » 434, il convient par conséquent de rectifier la terminologie

employée. En ce sens, « droit à une clientèle » aurait été plus juste, d’autant que le public conquis ou à conquérir par la marque n’est pas acquis : restant maître de ses choix économiques, il conserve une liberté de manœuvre indépendante des actes des concurrents du titulaire de la marque. Le droit de marque n’est donc pas un droit sur une clientèle. En tout état de cause, le droit de marque ne se rapporte pas uniquement à la clientèle, il s’exerce surtout sur un marché ou sur un ou des parts de marché, conquis ou à conquérir.

124. L’insuffisance de la clientèle comme critère du droit.— Le droit de marque ne se

limite pas à la conquête de la clientèle. L’important est moins dans la conquête de la clientèle que dans celle du marché. L’enregistrement et l’exploitation de la marque s’expliquent avant tout par l’existence d’un marché. Sans ce dernier, la clientèle n’existerait pas. Il y a un marché parce qu’il y a précisément une demande de la part d’une clientèle potentielle. Aucun entrepreneur ne prendrait la décision d’exploiter une marque pour commercialiser un produit ou un service qui ne répond à aucun besoin exprimé par le public.

433 ROUBIER, « Droits intellectuels ou droits de clientèle », op. cit., p. 292. 434 Ibidem.

C’est alors la thèse de la « propriété de marché » proposée par Mme Abello 435 qui est

aujourd’hui celle qui qualifie le mieux le droit de marque. Néanmoins, elle rejoint la catégorie des modèles propriétaires.

Dans le document Le droit de marque (Page 131-134)