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La recherche de la nature juridique du droit de marque.— L’article L 713-1 du Code

Dans le document Le droit de marque (Page 44-47)

§ 5 Problématique et méthode

23. La recherche de la nature juridique du droit de marque.— L’article L 713-1 du Code

de la propriété intellectuelle affirme que « l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu’il a désignés ». La Directive Marques est, quant à elle, plus laconique : « La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif » 103. De telles dispositions éclairent peu la nature

juridique du droit de marque. C’est ainsi qu’il faut la rechercher à partir du contenu du droit de marque, c’est-à-dire l’ensemble des prérogatives accordées par l’enregistrement de la marque. Selon l’article L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle, constitue une atteinte au droit de marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2 104, L. 713-

3 105 et L. 713-4 106. Par ailleurs, la production, la vente, l’offre à la vente, la location, la

détention sans motif légitime, l’importation et l’exportation de marchandises présentées

103 Directive Marques, art. 5. 1.

104 L’article L. 713-2 interdit, d’une part, la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec

l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode », ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques, et d’autre part, la suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée.

105 L’article L. 713-3 interdit, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public, d’une part,

la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires, et d’autre part, l’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires.

106 L’article L. 713-4, alinéa 2, permet au titulaire de la marque de s’opposer à tout acte de

commercialisation s’il justifie de motifs légitimes tenant notamment à la modification ou à l’altération, ultérieurement intervenue, de l’état des produits.

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sous une marque contrefaisante sont punies pénalement 107. Les interdictions prévues par le

législateur français se retrouvent plus ou moins en substance dans la Directive Marques, avec toutefois la précision que les actes interdits se cantonnent à « la vie des affaires » 108.

La jurisprudence n’a eu, dès lors, de cesse d’affiner le contenu du droit de marque. Les juges du fond ont ainsi longtemps tergiversé sur le point de savoir si la parodie de marque constitue ou non une atteinte au droit de marque, jusqu’à ce que la Cour de cassation tranche la question. La CJUE, quant à elle, se réfère systématiquement aux « fonctions essentielles » de la marque : il n’y a d’atteinte au droit de marque qu’autant qu’il y a atteinte à l’une des « fonctions essentielles » de la marque. Dès lors, quand la marque n’est plus à même de remplir une de ses « fonctions essentielles » — laquelle consiste notamment à garantir l’identité d’origine des produits ou services désignés —, la CJUE constate qu’il y a atteinte au droit de marque. L’étude de la casuistique permet ainsi de délimiter le périmètre du droit de marque.

La marque doit correspondre à une identification du produit ou du service commercialisé. La marge de liberté accordée est suffisamment large pour conquérir des parts de marché qui sont intrinsèquement liées aux produits ou services visés. Ainsi, la règle de la spécialité commande qu’une marque désignant une catégorie précise de produits ou de services ne soit protégée que contre les usages de marques contrefaisantes relatifs à des produits ou services identiques ou similaires. L’exclusivité de commercialisation est également limitée par l’impératif communautaire de libre circulation des marchandises. Ce principe interdit au titulaire d’une marque de s’opposer à la commercialisation par un tiers des produits ou services mis en circulation sur le territoire de l’Espace économique européen, soit par lui, soit avec son consentement. Une première mise sur le marché épuise ainsi le droit exclusif de marque. Le monopole comprend également la prérogative d’octroyer des licences d’exploitation. Ce privilège lui permet de sélectionner objectivement les distributeurs autorisés à revendre ses produits ou services en les intégrant dans un réseau. Le contenu du droit exclusif comprend des monopoles et leurs corollaires, des actes interdits aux tiers.

Le rappel des prérogatives du titulaire de la marque conduit à l’observation d’une nature juridique particulière du droit de marque. Le régime juridique du droit de marque apparaît ainsi clairement différent de celui régissant les autres signes distinctifs. Il se distingue également de celui offert par le droit des biens, généralement présenté comme étant le

107 CPI, articles L. 716-9 et L. 716-10. 108 Directive Marques, article 5, § 1, 2 et 3.

fondement des droits intellectuels. La doctrine majoritaire s’accorde en effet sur la nature propriétaire du droit de marque. Elle s’appuie en cela tant sur les attributs du droit de propriété — usus, fructus, abusus — lorsqu’il s’agit d’assimiler le droit de marque à la propriété traditionnelle de l’article 544 du Code civil, que sur les prérogatives exclusives portant sur le bien marque lorsqu’il s’agit d’assimiler la marque à la conception rénovée et élargie de la notion de bien. Un tel rapprochement révèle pourtant des imperfections au regard tant des particularités du droit de propriété que de la théorie juridique pure.

Une imperfection peut être observée au regard de la théorie juridique pure. En effet, à une nature juridique précise correspond un régime juridique précis. Par exemple, le régime juridique d’un droit relatif à une créance de somme d’argent n’est pas le même suivant que l’on considère qu’il s’agit d’un droit réel sur le montant de la créance ou d’un droit personnel contre le débiteur : dans le premier cas, la nature propriétaire engendre le régime juridique du droit des biens, dans le second, la nature personnaliste appelle le régime du droit des obligations. Ainsi, lorsque la doctrine majoritaire consacre la qualification propriétaire, l’on s’attend légitimement à voir appliquer le régime juridique du droit des biens. Or, ce régime considère la marque uniquement en tant que bien incorporel inscrit à l’actif du patrimoine d’une entreprise. Le droit des biens ne fournit en aucun cas l’arsenal de protection contre la reprise frauduleuse d’une marque dans le but de produire ou de commercialiser des produits ou services identiques ou similaires. Un tel agissement est sanctionné sur un tout autre terrain : celui de la contrefaçon. C’est bien la preuve que le droit de marque relève d’une nature juridique différente de la propriété. Le droit pénal, lui, a parfaitement compris la différence de nature entre le droit de propriété et le droit de marque. C’est ainsi qu’il incrimine la soustraction frauduleuse d’un bien comme vol et qu’il condamne l’usurpation d’une marque comme constitutif du délit de contrefaçon.

En réalité, le droit de marque est un droit utilitaire, contrairement au droit de propriété qui est un droit individualiste : ce dernier est un droit qui naît hors de toute intervention étatique tandis que le droit de marque naît à la suite de la procédure d’enregistrement. Par ailleurs, son usage et sa jouissance sont entièrement libres, en vertu de son absoluité 109. Le

propriétaire est libre d’user ou non de son bien, sans que cela entraîne la perte de son droit. La propriété dure tant que dure son objet. Il en va différemment du droit de marque : étant un droit fonction, il perd sa raison d’être lorsque le signe enregistré n’est pas exploité

109 Il nous paraît plus exact de parler de l’absoluité d’un droit plutôt que de son absolutisme, ce dernier

vocable désignant « un système politique dans lequel un même individu (monarque, dictateur) ou un seul corps exerce tous les pouvoirs sans aucune limitation » (CORNU, Vocabulaire juridique, Puf, 2011, V° Absolutisme).

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comme marque pendant une période continue de cinq ans. C’est ainsi que le titulaire de la marque encourt alors la déchéance de son droit. Le droit n’existe donc, et n’est protégé que si la marque remplit ses fonctions essentielles, à savoir la distinction des produits ou services, et la garantie de l’identité de l’origine de ces produits ou services. Hors de ce cadre, point de droit de marque. Le droit consacre ici une qualité « performative », c’est-à- dire une qualité n’existant que dans et par la performance.

La qualification du droit de marque commande donc de lui assigner son périmètre.

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