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La marque comme res

Dans le document Le droit de marque (Page 82-85)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

A. La marque comme res

58. La qualification de propriété à partir de son objet, la res.— Le rattachement du droit

de propriété à la catégorie des droits réels constitue le premier dogme de la théorie

249 CARBONNIER, Droit civil, Les biens, Monnaie, immeubles, meubles, 19e éd., Puf, 2000, n° 50.

250 B. HÉRY et M. WAHLEN, De la marque au branding, Dunod, 2012, p. 124. 251 F. ZÉNATI-CASTAING et Th. REVET, Les biens, op. cit., p. 19, n° 2. 252 Ibidem, p. 21, no 3.

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classique de la propriété. Le droit réel étant le « pouvoir exercé directement sur une chose et permettant d’en retirer tout ou partie de ses utilités économiques » 253, la propriété, droit

sur un bien qui est par définition une chose, une res, appropriée ou appropriable, est le droit réel par excellence. Cette qualification s’est imposée chez la plupart des exégètes 254.

L’objectif ici n’étant pas de déterminer la nature juridique de la propriété, nous ne prendrons pas parti dans le débat sur la distinction entre la propriété, d’une part, et les droits réels sur la chose d’autrui, d’autre part 255. Pour les mêmes raisons, nous ne

reviendrons ni sur la théorie personnaliste qui voit dans les droits réels des obligations passives universelles 256, cette théorie étant par ailleurs aujourd’hui abandonnée, ni sur la

théorie objective de Saleilles qui affirmait que tous les droits sont des droits réels que l’on va considérer tantôt comme des droits sur la valeur de la chose (droit réel classique), tantôt comme des droits sur la valeur de la prestation due par une personne à une autre (droit personnel) 257. Il convient de recentrer l’étude de la marque à partir de la notion de chose.

59. La notion de chose.— La chose est la notion première qui préexiste au droit, qui peut

exister avant le droit et même sans le droit. La chose se comprend de tout ce qui est susceptible d’un rapport à la personne, de tout ce qui peut être objectivé 258. Au sens étroit,

Heidegger définit la chose comme étant « ce qui est saisissable, ce qui est visible, etc., ce qui est donné à portée de main » 259. Si la chose est saisissable, en revanche, seuls les biens

peuvent être objets de propriété. La définition du bien s’opère de façon négative, puisqu’elle résulte d’une distinction entre les choses communes (res commune) telles que l’air, les cours d’eau, etc., les choses sans maître (res nullius), et les choses abandonnées (res

derelictae). Seules les choses sans maître et les choses abandonnées peuvent être appropriés

privativement. Cette appropriabilité, faculté de faire l’objet d’une occupation juridique faisant naître un droit de propriété, transforme la chose sans maître en bien. C’est ainsi que MM. les professeurs Terré et Simler définissent, dans son premier sens, le bien comme une

253 CARBONNIER, Droit civil, vol. II, Les biens, Les obligations, op. cit., n° 164.

254 DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, t. IX, 4e éd., 1870, n° 471 ; DURANTON, Cours de droit civil français,

t. IV, 4e éd., 1844, n° 232.

255 Pour un bref résumé sur la question, voir S. RAVENNE, Les propriétés imparfaites, contribution à l’étude de la

structure du droit de propriété, thèse Paris-Dauphine, 2007, p. 240 et s., n° 309 et s.

256 PLANIOL, Traité élémentaire de droit civil, 1re éd., 1897, t. I, n° 2158 et s. ; MICHAS, Le droit réel considéré comme

une obligation passive universelle, thèse, Paris, 1900.

257 SALEILLES, L’obligation d’après le premier projet du Code civil allemand, 1889.

258 P. CATALA, « Ebauche d’une théorie juridique de l’information », DS 1984, chron. p. 97 et s.

259 HEIDEGGER, Qu’est-ce qu’une chose ?, éd. Fribourg-en-Brisgau, 1962, trad. fr. éd. Tel., 1998, p. 17, cité par

chose qui sert à l’usage de l’homme et qui permet à celui-ci de satisfaire ses besoins en l’utilisant ou en l’échangeant 260.

60. De la chose au bien.— La propriété, ou d’une manière générale, tout droit réel, porte

donc sur un bien, qui est à l’origine une chose. Pour MM. Malaurie et Aynès, le triptyque

usus, fructus, abusus ne peut pleinement être mis en œuvre qu’à l’égard des choses 261.

MM. Terré et Simler enchérissent en affirmant que « le droit réel est celui qui donne à la personne un pouvoir direct et immédiat sur une chose, pouvoir qui s’exerce sans l’entremise d’un autre individu […], sans avoir à s’adresser à une personne quelconque. Le droit réel comporte seulement deux éléments : la personne, sujet actif du droit, et la chose, objet du droit ; c’est un droit direct sur la chose (jus in re) » 262. Le droit de propriété est

donc « le droit par lequel une chose m’est propre et m’appartient privativement à tous autres […], le droit de disposer à son gré d’une chose, sans donner néanmoins atteinte au droit d’autrui, ni aux Loix (sic) […] » 263. La propriété est un droit réel portant sur une

chose. C’est même « le plus important et le plus complet [des droits réels principaux]. Il permet d’avoir sur une chose tous les avantages possibles » 264. La notion s’ordonne donc,

dans la pensée juridique française, à partir de celle des choses du monde physique : choses corporelles, droit de propriété portant sur elles, démembrements de ce droit, dématérialisation, autres droits incorporels, de créances 265. Pour qu’il y ait droit réel, et

donc propriété, il faut un bien, c’est-à-dire une chose appropriable 266.

Le caractère réel du droit de marque se justifierait dès lors par la nature de son objet : le droit porte sur une chose, le signe approprié, et l’appropriabilité privative par l’enregistrement transformerait cette chose en bien, par son aspect patrimonial, et enfin par la possibilité d’une action en revendication. Mais pour que s’exerce l’appropriation sur une chose, encore faut-il qu’aucun droit de propriété ne préexiste sur cette chose. Dès lors, seules les res nullius et les res derelictae peuvent être appropriées privativement. Les choses abandonnées devenant des choses sans maître, le régime d’appropriation de ces choses est identique. C’est pourquoi l’examen de la marque comme res nullius seul peut suffire.

260 F. TERRÉ et SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., p. 32, n° 27. 261 P. MALAURIE et L. AYNÈS, Les biens, op. cit., p. 124 et s., n° 432 et s. 262 F. TERRÉ et Ph. SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., p. 54, n° 47. 263 POTHIER, Traité du droit de domaine de propriété, op. cit., p. 6. 264 P. MALAURIE et L. AYNÈS, Les biens, op. cit., p. 92 et s., n° 352.

265 S. PAVAGEAU, Le droit de propriété dans les jurisprudences suprêmes françaises, européennes et internationales, thèse,

LGDJ, 2006.

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