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L’exclusivité de la libre disposition du bien

Dans le document Le droit de marque (Page 88-91)

L A NATURE JURIDIQUE DU DROIT DE MARQUE

B. La marque comme res nullius

I. L’exclusivité de la libre disposition du bien

65. L’exclusivité d’un point de vue négatif.— L’exclusivité, sous cette orthographe,

n’apparaît qu’en 1818. Auparavant, et jusqu’au début du XIXe siècle, on employait le mot

« exclusiveté ». Cependant, l’adjectif « exclusif », usité depuis le XVe siècle, a pour origine le

latin médiéval exclusivus et le latin classique excludere qui signifie « exclure ». Un droit exclusif est donc un droit qui s’exerce à l’exclusion des tiers 278. Les droits subjectifs étant, pour la

plupart, exclusifs (droit de propriété, sûreté réelle, pour n’en citer que les principaux), les termes « droits exclusifs » sont venus qualifier les droits subjectifs. D’aucuns ont même pu faire de l’expression « droit exclusif » une « locution superflue » ou une « tautologie » au motif qu’un droit subjectif est exclusif par nature ! 279. En effet, posséder un droit n’aurait

de sens qu’au regard de l’altérité, c’est-à-dire à la condition de pouvoir imposer ce droit à

276 L’article L. 713-1 du CPI dispose bien que « l’enregistrement de la marque confère à son titulaire un

droit de propriété sur cette marque pour les produits et services qu’il a désignés ».

277 C. civ., art. 544 : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue,

pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements ».

278 P. GOURDON, L’exclusivité, thèse, LGDJ, 2006. 279 Ibidem, p. 12, n° 26.

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autrui. L’exclusivité pouvant être considérée comme une source de liberté, c’est l’exclusion d’autrui qui constitue la véritable prérogative juridique 280. L’exclusivité reflète à la fois le

pouvoir d’interdire et l’opposabilité absolue du droit. Le droit de propriété est donc avant tout un droit qui s’exerce contre les tiers, lesquels ont l’obligation passive de ne pas empiéter sur la propriété d’autrui. Il est constitué par le pouvoir d’une personne d’exclure par principe tous les tiers de l’accès à une chose, enseigne M. le professeur Revet 281. Un

bien ne peut appartenir qu’à une seule personne, physique ou morale. Le propriétaire, seul maître de son bien, peut donc s’opposer à ce que les tiers empiètent sur son droit. L’exclusivité prolonge ainsi l’absoluité du droit 282, et à ce titre, serait un des caractères

fondamentaux, sinon une caractéristique de la propriété privée 283. Ce postulat revient à

qualifier de propriété tout droit exclusif sur une chose. Ainsi en est-il des droits intellectuels qui ne peuvent être détenus que par un seul titulaire, à l’exclusion de tous les autres : le droit sur une œuvre de l’esprit naît sur la tête de son auteur, le droit de brevet sur celle de l’inventeur déposant, le droit de marque sur le déposant 284. Il y va alors de l’intérêt du

titulaire du monopole de recevoir la qualification de propriétaire, statut protégé sur le terrain des droits fondamentaux 285. C’est ainsi que, d’après la doctrine propriétariste,

« refuser la qualité de droit de propriété aux droits relatifs aux créations immatérielles, c’est suggérer qu’une réservation puisse exister sans jus excluendi, ce qui revient à admettre qu’aujourd’hui encore, certaines maîtrises privatives pourraient ne pas conférer la plena in re

postestas » 286.

66. L’exclusivité d’un point de vue positif.— Positivement, le droit de propriété réunit les

prérogatives tirées du tryptique usus — fructus — abusus. Certains nouveaux modèles propriétaires en font toutefois abstraction pour ne plus ressembler qu’à une propriété estropiée. On trouve aujourd’hui des définitions du droit de propriété reposant sur le seul lien d’exclusivité entre l’objet et le sujet du droit 287. Le droit serait donc désormais moins le

280 Ibidem, p. 19, n° 51.

281 Th. REVET, « Les droits de propriété intellectuelle sont des droits de propriété », RTD civ. 2006, p. 791. 282 F. TERRÉ et Ph. SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., p. 137, n° 143.

283 En ce sens, B. MALLET-BRICOUT, « Le fiduciaire propriétaire ? », op. cit.

284 Si ces mêmes droits peuvent être reconnus à plusieurs co-indivisaires, ils n’en sont pas moins des droits

exclusifs en ce que la collectivité des titulaires représente un seul titulaire. Il en est ainsi de l’œuvre de collaboration à la création de laquelle ont participé plusieurs co-auteurs, ou encore de l’invention réalisée par plusieurs inventeurs.

285 L’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen protège quatre « droits naturels et

imprescriptibles de l’homme » parmi lesquels figure la propriété.

286 Th. REVET, « Les droits de propriété intellectuelle sont des droits de propriété », op. cit.

287 Voir notamment Ch. ATIAS, Droit civil. Les biens, 11e éd., Litec, 2011, p. 1, no 2 : « La situation juridique

droit réel le plus complet qui puisse exister sur une chose que davantage le lien exclusif unissant le propriétaire à son bien. La créance, par exemple, sur laquelle porterait un droit de propriété, tant qu’elle n’est pas payée par le débiteur, prive le créancier de son usus sur la somme d’argent objet de la créance 288. La fiducie, qualifiée législativement de propriété,

prive le fiduciaire de son abusus, prérogative exclusive du constituant. Seule demeure désormais comme invariant du droit la maîtrise juridique. L’exclusivité ne faisant pas l’unanimité chez les tenants de la propriété rénovée, les auteurs se gardent d’évoquer ce caractère pour s’en tenir à la prudente et commode maîtrise juridique. Pourtant, c’est bien l’utilisation à titre exclusif qui est devenue une nouvelle forme d’appropriation 289. Le droit

d’exploiter une marque ou un autre signe distinctif à titre exclusif deviendrait, selon un raisonnement rapide, un droit de propriété. Or, si le droit de marque est théoriquement qualifié d’exclusif, il est en pratique fortement limité dans son exclusivité.

67. Discussion sur l’exclusivité du droit de marque.— Si le droit de marque est qualifié

d’exclusif, c’est pour affirmer que le déposant est seul titulaire de sa marque, sous réserve des marques détenues en « copropriété » 290. C’est le statut de titulaire qui lui est propre. La

jouissance du droit, en revanche, n’est pas exclusive. Ainsi, lorsque le droit de marque est épuisé par la première mise sur le marché communautaire des produits désignés, par le titulaire ou avec son consentement, il perd l’exclusivité de commercialiser les mêmes produits, et ne peut plus en contrôler la distribution. Par ailleurs, plusieurs personnes peuvent exploiter la marque simultanément : le titulaire (le déposant) et tous les licenciés, notamment les franchisés. L’article L. 716-5 accorde d’ailleurs au bénéficiaire d’un droit exclusif d’exploitation la faculté d’agir en contrefaçon dans les cas où, après mise en demeure, le titulaire de la marque n’exerce pas ce droit. En comparaison, un usufruitier n’a pas la possibilité d’exercer une action en revendication ou encore de déposer une plainte pour vol en cas d’inaction du propriétaire.

L’article 544 du Code civil définissant le droit de propriété attribue à ce dernier non seulement un caracrère exclusif, mais également un caractère absolu.

288 La créance peut toutefois être mobilisée, au moyen, notamment, d’un bordereau de créances

professionnelles (bordereau Dailly), mais dans ce cas, l’usus porte sur la créance (le droit personnel contre le débiteur), et non sur la somme d’argent attendue du débiteur.

289 F. TERRÉ et Ph. SIMLER, Droit civil, Les biens, op. cit., p. 102 et s., nos 97 et s.

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