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Une urbanisation militaire cohérente

Conventions orthographiques

A. K Narain le faisait remarquer dès les premières lignes de son livre The Indo Greeks Revisited and supplemented 48 : tout semble commencer avec Theophilus Bayer, en 1738, à

III) Le roi-guerrier

III.2.5 Une urbanisation militaire cohérente

La présence grecque en Asie centrale ne s’est pas contentée de la réutilisation des cités antérieures, elle a également développé et transformé des établissements urbains selon des conceptions grecques, et selon les besoins de l’évolution des conflits.

Cette urbanisation est toutefois inégalement répartie, à moins que nous ne soyons inégalement informés à son sujet : il ne semble pas encore que la Bactriane centrale (la région de Bactres) ait vu son urbanisation s’accroître par des implantations spectaculaires et de grande taille306, les Grecs se contentant d’occuper militairement et de changer, selon leurs

néanmoins, dans un cas comme l’autre, que les habitants n’ont sans doute fait qu’assimiler et développer une organisation déjà en place, qu’ils n’ont pas inventée. LERICHE, PIDAIEV, 2008, p.30.

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Voir la description de la maison afghane, plus proche de la ferme fortifiée que la maison d’habitation : CENTLIVRES,CENTLIVRES-DEMONT, 1988, p.187-191.

304 Dans le nord de l’Afghanistan, se rencontrent cependant plusieurs formes d’habitat villageois ; la qala,

ferme fortifiée, coexiste avec le village fortifié dont les maisons présentent un aspect différent et moins complexe que les structures décrites par les ethnologues Centlivres : « « […] le paysage campagnard prend d’aventure un aspect féminin, obscurément sensuel : doux vallonnements de plateaux, bosses alanguies des dromadaires, dômes rosés des toits surmontés d’un mamelon-cheminée. Pauvre mais poétique, ce type d’architecture à l’iranienne se distingue de la qala pashtoune par sa tranquillité nonchalante. Prédominant chez les populations de langue persane (Farsiwans), il semble avoir été inventé dans les régions où le bois est rare et où la pierre coûte cher. En employant le pisé et la brique, le paysan construit sa maison à peu de frais et très rapidement. En deux semaines ou moins, le logement est prêt. » YELEN,1977, p. 105, récit de voyage écrit peu avant le début des souffrances et des guerres ; ces lignes décrivent le nord du pays, dans les environs de Mazar-i-Sharif.

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OSBORNE,1992, p. 42-51.

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critères de modernisation et de confort, les villes existantes. Dans une brève synthèse sur l’urbanisation de l’Orient à l’ère hellénistique, P. Leriche distingue les fondations d’Alexandre le Grand, celles des Séleucides accompagnées de refondations (Merv relevée de ses ruines devient Antioche de Margiane) ou Bactres : dans ce dernier cas, une puissante muraille et une citadelle sont construites, avec souvent un fossé ou une deuxième enceinte protectrice307.

Enfin, P. Leriche observe que les Gréco-bactriens, après leur accession à l’indépendance, suivirent le même schéma organisateur : une occupation opportuniste de sites déjà urbanisés avec des aménagements importants. C’est cette démarche qu’il qualifie de refondation, comme à Bégram, Taxila et Kandahar, à laquelle il faut ajouter la mise en valeur de certaines oasis par la création de petits centres urbains militarisés 308: « Le site le plus représentatif de cette série de villes nouvelles et celui de Dil’bergine. Cette petite ville est entourée d’une enceinte carrée de 400 m de côté, renforcée par des tours quadrangulaires régulièrement disposées. Au centre, une citadelle circulaire de 150 m de diamètre est implantée sur une éminence artificielle constituée par les vestiges d’une petite agglomération fortifiée de la première moitié du Ier millénaire. A l’intérieur ont été dégagés un grand temple et quelques autres édifices. Tous sont régulièrement disposés selon deux axes N-S/E-O correspondant à la direction des remparts, ce qui suggère l’existence d’un système urbanistique nettement ordonné ».

Les dates d’occupation de la ville de Dil’bergine sont bien établies : située à 40 kilomètres de Bactres, elle disposait de remparts encore discernables, d’une citadelle, l’ensemble ayant pu couvrir 15 ha ; les habitations étaient situées en dehors du système fortifié. L’archéologie soviétique prouva que l’occupation des lieux commença au Vème

siècle av. J.C. par la citadelle. Placée sur une route reliant la Bactriane à la Sogdiane, Dil’bergine fut achéménide, Alexandre la détruisit en 329, les extensions (12 tours, murs de fortifications en pisé et briques comme souvent dans la région, fossé) datant des IIIème et IIème siècles. Mais Dil’bergine retient l’attention par la construction d’un temple décoré de peintures figuratives, les seules de style grec dans la région, représentant les Dioscures : ceux-ci étant les dieux protecteurs d’Eucratide, l’établissement d’un tel temple est donc attribué à ce roi, et l’ensemble fut un temps évoqué, hypothèse désormais abandonnée, comme la ville d’Eucratidéia qu’évoque Strabon. Doit-on en déduire que la ville comprenait un fort contingent d’habitants grecs ? Il s’agissait évidemment d’une ville de garnison, prenant part à

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LERICHE,1988, p. 113.

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l’organisation défensive du centre de la Bactriane, mais il est impossible d’affirmer qu’il y avait des Grecs en grand nombre, autres que des soldats309.

Au nord de l’Amou-darya, marge des satrapies anciennes, le pouvoir grec paraît avoir pour l’essentiel assuré sa présence pérenne à l’aide de garnisons ou de fortifications 310

. Également en Ouzbékistan, le site de la forteresse de Kurgansol est fouillé depuis quelques années, et a connu une certaine gloire médiatique dans les pays d’Europe du Nord : les archéologues y ont découvert une baignoire, aussitôt baptisée « Baignoire de Roxane » par les journalistes. De fait, l’occupation date du IVème

siècle, les céramiques découvertes sont toutes grecques, et la fondation du lieu semble attribuable à Alexandre. Bien étudiée, la forteresse qui surplombe une gorge abrupte est de forme circulaire, et donne une idée précise de la manière dont l’Oxus, conçu comme axe de communication dans la région, devait être surveillé et protégé311. Au sud-est de l’Amou-darya, les Grecs construisirent Aï Khanoum sur un site anciennement achéménide, mais l’ampleur de la cité permet de la qualifier de ville nouvelle, car la présence achéménide avait seulement été militaire et cantonnée dans deux sites (la citadelle et « la ville ronde »). Enfin, nous n’avons que peu d’informations sur l’urbanisation grecque en Inde du nord : les plus fiables proviennent de Taxila et Kandahar312

et révèlent qu’une fois encore les Grecs eurent à cœur d’imprimer leur marque sur l’architecture locale d’une ville déjà importante, sans que l’on soit toujours capable d’affirmer dans quelles proportions exactes.

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LERICHE,PIDAEV,1999, p. 53-54.

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Pierre Leriche minimise l’action urbanistique des Grecs dans cette région, soulignant combien le développement des villes ou des villages sous la domination kouchane est plus important : LERICHE, PIDAEV, 2008, p. 30. Mais comme le précise PIDAEV S.R., « De nos jours on dénombre plus de vingt agglomérations, qui

existaient déjà à l’époque qui précède la conquête d’Alexandre et qui pour certaines présentaient une structure urbaine nettement définie. Les recherches archéo-topographiques permettent de supposer que la capitale de ce pays était le grand site de Kizil-tepe , situé dans l’oasis de Khalkadzhar et qui couvrait plus de 20 ha. Kizil-tepe possédait un système de fortification très développé ainsi qu’une citadelle. Il existait également des villes plus petites, telles que Dzhandavljat-tepe et Khaitabat-tepe. Au cours des raids punitifs menés par Alexandre, les villes et villages de la Parétacène furent brûlés. Des traces d’incendie ont été relevées à Kizil- tepe, Dzhandavljat-tepe, Khaitabat-tepe, Talshkan-tepe et Bandykhan-tepe. Certains de ces centres de peuplement, et particulièrement la capitale, Kizil-tepe, ont cessé d’exister après l’invasion du pays par les armées d’Alexandre. Les périodes séleucide et gréco-bactrienne (IIIème –IIème s. av.J.C.) marquent une nouvelle phase d’activité dans la région. On dénombre alors dans l’oasis du Surkhan-darya plus de dix centres de peuplement, dont certains à caractère urbain. »PIDAEV, 2010, p. 40-41.

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SVERCHKOV, 2008, p. 123-191 ; LINDSTRÖM, 2009, p. 241-266 (ce dernier livre donne sous forme synthétique nombre des informations fournies par les fouilles archéologiques).

312

À Kandahar il est ainsi difficile de dessiner les contours précis des anciens remparts : FUSSMAN, 1966, p. 35- 36. Même si G. Fussman revient après les fouilles britanniques des années 1970, dans l’article Kandahar de l’Encyclopaedia Iranica, sur les hypothèses de peuplement pré-islamiques qu’il développait en 1966, l’édit en grec d’Aśoka, quelques monnaies, quelques témoignages épigraphiques, et le plan à damier donnent à croire que Kandahar fut peuplée par les Grecs (les restes de cette occupation seraient ensevelis dans des couches non encore explorées par les archéologues).

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Des caractéristiques communes sont décelables dans cette urbanisation systématique de l’ère gréco-bactrienne :

- Sa modestie tout d’abord, en comparaison des travaux effectués en peu de temps par le pouvoir séleucide : celui-ci releva des villes, en transforma d’autres, et non des moindres (Merv, Bactres, Samarcande), et surtout il fonda Aï Khanoum ;

- On objectera pour la défense des Gréco-Bactriens qu’ils récupérèrent les implantations séleucides, ou en héritèrent, et qu’ils firent preuve aussi d’ambition quand leurs moyens le permirent, tel Eucratide Ier ; enfin, ils n’abandonnèrent pas les défenses d’Aï Khanoum, qu’ils réparèrent ou consolidèrent à l’occasion313

;

- Ces rois gréco-bactriens entamèrent aussi la conquête de l’intérieur selon un schéma logique : les Séleucides créèrent les capitales régionales, à eux désormais d’assurer le pouvoir sur le territoire, de finir l’implantation par des villes de garnison au nord de l’Amou-darya comme dans la plaine de Bactres même ;

- Enfin, il est utile de rappeler que dans le monde grec, une cité ne se conçoit pas sans défenses, que l’Asie centrale fut donc maillée d’ouvrages militaires, suivant un plan qui correspond à une hiérarchisation et une rationalisation, la capitale provinciale trônant au sommet de la pyramide des cités fortifiées intermédiaires qui chapeautaient elles-mêmes les petits centres urbains puis les villages fortifiés.

Il est ainsi aisé de déceler une réelle cohérence et une rationalisation dans cette urbanisation militaire : les Grecs eurent à cœur de respecter les conceptions qui avaient cours au IIème siècle avant notre ère dans le pourtour méditerranéen, et privilégièrent pendant toute la période bactrienne (la mieux documentée) la construction de fortifications passives ; mais ils conçurent aussi des transformations destinées à faire des cités achéménides ou même plus anciennes des cités typiquement grecques , en les adaptant à leurs besoins314. Nous sommes moins bien renseignés sur les fortifications indo-grecques, mais l’exemple de Taxila donne à penser qu’elles furent plus légères et moins massives.