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Conventions orthographiques

A. K Narain le faisait remarquer dès les premières lignes de son livre The Indo Greeks Revisited and supplemented 48 : tout semble commencer avec Theophilus Bayer, en 1738, à

III) Le roi-guerrier

III.1.2 Les Saces-Sakas-Scythes

Mystérieux peuple comme la plupart des peuples nomades d’Asie centrale, le peuple Saka souffre de n’avoir pas écrit son histoire lui-même. Établir la liste de tout ce que nous connaissons à son sujet serait plus rapide que d’aligner nos méconnaissances : par exemple, nous ne savons pas exactement quelle langue parlaient ces Sakas, sans doute un idiome iranophone ; nous connaissons peu leur organisation politique236, nous ne sommes même pas sûrs de leur apparence car certains d’entre eux ont pratiqué le modelage crânien237

.

Les Sakas faisaient partie de la nébuleuse des peuples scythes, « les nations scythiques » comme l’écrit Pline (VI, 19), qui aux côtés des Sacae fait figurer une vingtaine d’autres peuples. Le latin Sacae est un nom emprunté au grec Σάκαι, le vieux perse les nomme Saka, le chinois Sai. Leur religion nous est mal connue : du temps de leur nomadisation, ils auraient pratiqué un culte solaire, si l’on croit Hérodote et Strabon ; plus tard, installés en Sogdiane et en Bactriane, ils durent sans doute se rallier au mazdéisme ambiant, déjà pratiqué par tant de peuples nomades de langue iranienne.

Deux de leurs coutumes nous sont mieux connues : l’euthanasie des vieillards qu’évoquent Pline (IV, 26), Pomponius Mela (III, 5), Strabon (XI, 11, 3), qui n’étonnera pas un connaisseur des pratiques dans nos campagnes bretonnes au XIXème siècle238 ; l’endocannibalisme rituel dont se seraient rendus coupables certains peuples Sakas, toujours sur les vieillards, est plus sujet à doutes : Hérodote (I, 216) et Strabon (XI, 8,) qui le reprend semblent précis, mais ce sujet a été trop peu étudié jusqu’à maintenant239.

Enfin, l’ère géographique qu’ils parcouraient s’étendait de l’Ukraine à la Sibérie : on comprend aisément que les phénotypes n’aient pas été uniformes, et même qu’ils aient compris des éléments mongoloïdes240. L’archéologie, russe essentiellement, a permis de nous faire connaître les points communs entre toutes les tribus Sakas, lors de fouilles des

236

N’en déplaise à Puri B.N. : la description qu’il donne de l’organisation administrative des Sakas, très floue, n’est valable en effet que pour les royaumes qu’ils fondèrent et que les modernes ont nommés indo-scythes ; PURI, 1994, p. 192-195.

237

LEBEDYNSKY, 2006, p. 15.

238 Grâce au mell-benniguet, ou maillet béni, que l’on abattait sur les crânes, auquel Joseph Loth a consacré un

intéressant article en 1903, et dont l’usage est bien attesté notamment dans le Morbihan.

239

LEBEDYNSKY, 2006, p. 186-187.

240 L

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Kourganes, les monuments funéraires scythes, et d’établir ainsi des reconstitutions de leur mode de vie241. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire.

L’histoire des Saces nous est mal connue, elle aussi. Si nous respectons les données les plus souvent admises par les historiens à l’heure actuelle, on peut estimer que s’appellent Saces « ceux des Scythes d’Asie dont les clans faisaient partie des peuples soumis ou alliés aux Achéménides dans les régions nord-orientales de l’empire, dont les premiers informateurs n’ont pas transposé le nom par le terme générique de Scythes » 242

. Ces Saces firent partie à plusieurs reprises de l’armée perse, furent peut-être mercenaires de Mithridate Ier, mais peut- être aussi des rois de Bactriane243.

Au IIème siècle avant notre ère, un jeu de dominos s’opère en Asie : les Xiongnu (peuple mal documenté, lui-aussi, sans doute mongoloïde et de langue altaïque) poussent les Yuezhi du Gansu, et ceux-ci poussent les Saces vers l’Asie centrale. Les Saces-Sakas s’emparent de la Sogdiane et de la Bactriane. Nous ne savons pas s’ils viennent en une seule vague, ou en plusieurs vagues244. Enhardis, les Saces attaquent les Parthes, tuent leur roi Phraate II lors d’une bataille en 128 avant notre ère ; les Parthes ne sécurisent leurs frontières de l’Est qu’au Ier

siècle avant notre ère. À une date indéterminée, qui se situerait avant Phraate IV (roi de 38 à 2 av. J.C.), les Parthes chassent les Saces de Bactriane, ceux-ci partiraient vers l’Ouest, et certains groupes resteraient en Arachosie et en Drangiane (devenue par la suite Sakastâna, pays des saces, maintenant Seistan), dans le sud-ouest de l’Afghanistan actuel).

Une autre hypothèse nous est présentée par I. Lebedynsky dans son ouvrage sur les Saces : elle est cependant compliquée par l’habitude qu’a cet auteur de regrouper systématiquement les peuples nomades en très grands ensembles génériques. Ainsi, pour lui, Yuezhi et Saces feraient partie d’un même ensemble ethnique ; une telle position paraît soutenable ethnologiquement, mais non historiquement car il est très probable qu’ils n’avaient pas conscience d’une origine commune, et songeaient plus à se différencier pour affirmer leur identité. Appuyant sa chronologie sur les sources chinoises, I. Lebedynsky propose la séquence suivante : poussés par les Xiongnu ou pour une autre raison, une première vague

241

BASHILOV, DAVIS-KIMBALL, YABLONSKY, 1995 ; le chapitre 13 est consacré aux sources écrites et fait un point très utile sur l’histoire de l’archéologie russe relative aux Sakas ; le chapitre 14 constitue une bonne introduction à la découverte de ce que l’on connaît du mode de vie des Sakas, avant d’en lire une plus longue description dans l’ouvrage de Iaroslav Lebedynsky. La documentation de Puri B.N. est plus ancienne, voire dépassée, et surtout principalement anglo-saxonne, c’est-à-dire privée des apports de l’archéologie russe.

242 B

ARATIN, 2009, p.99.

243

CLARISSE,THOMSON, 2007, p. 273-279. Nous aurons l’occasion de revenir sur plus loin sur ce document, qui est un des éléments attestant la présence éventuelle de mercenaires dans les armées de rois de Bactriane.

244 Pour un point sur la question et ces deux hypothèses, lire N

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d’envahisseurs s’emparent de la Sogdiane et de la Bactriane au milieu du IIème

siècle avant notre ère ; ils seraient composés de diverses tribus, parmi lesquelles des Saces, des Yuezhi. C’est à ce moment que la Drangiane, c’est-à-dire les marges de l’empire parthe, serait devenue sace. Lors d’un deuxième épisode d’invasion, aux alentours de 100 ou 90 avant notre ère, les Saces s’emparent du nord du Pakistan, installent leur capitale à Taxila, chassent ou soumettent les Indo-grecs. C’est le royaume du roi Mauès, royaume qui aurait peut-être été repris par les Grecs après la mort du souverain sace (Apollodote II), mais la dynastie des Azès rétablit la domination sace. Enfin, les Yuezhi s’emparent de la Bactriane, l’une des tribus, les Kouchans, poussent vers l’est et s’emparent du nord de l’Inde. Les royaumes indo-saces sont démantelés, ou absorbés, ou plus probablement vassalisés.

« The Sakas in India, especially the Indo-Scythians under Maues and the House of Azesin the Indus valley, progressively occupied provinces that had been ruled by the Indo- Greeks since the time of Menander. They inherited and continued to use the Greek political institutions and culture that they found »245. Sans doute, mais faut-il s’en étonner, ou plus encore, évoquer une sorte de philhellénisme des Sakas-Saces ? En deux siècles ces régions ont connu de telles successions d’invasions, qu’il n’y a rien d’étonnant à voir des nomades garder une organisation économique et administrative éprouvée, voire des formes architecturales effectivement grecques comme à Taxila. En outre, l’hellénocentrisme des archéologues et des historiens ne doit pas nous conduire à minimiser le transfert des autres cultures régionales sur la culture des nomades. Le site de Tila Tepe, constitué de sept tombes dont six ont été fouillées en 1977, est connu par l’extraordinaire trésor d’or que les archéologues y mirent à jour : 20 000 objets, au destin dramatique et heureux, puisque la plupart furent cachés dans des conditions héroïques par les Afghans, notamment pendant la période de l’obscurantisme des talibans, puis retrouvés et de nouveau exposés. V. Sarianidi, l’un des découvreurs des tombes et le responsable de l’établissement du catalogue, rattache les tombes au monde scythe, comme la plupart des auteurs246. Sarianidi relève que les parures reflètent le plus souvent l’impact de l’art grec, les bijoux et les offrandes funéraires de cette nécropole nomade prouveraient ainsi la faculté des Scythes à assimiler l’art de ceux qu’ils auraient détruits et remplacés en Bactriane247. Cependant, la présence d’autres cultures, notamment celle des Scythes, celle des peuples de Sibérie, aux côtés d’objets évoquant par exemple le culte de

245

PURI,1994, p. 195-196.

246

Par exemple CAMBON, JARRIGE, 2007, p. 165.

247S

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Dionysos248, fait plutôt songer à une collecte d’œuvres dont la principale caractéristique était sa nature aurifère.

Ces nomades, en relation avec tous les peuples d’Asie, constituèrent un trésor d’objets pour l’essentiel grecs ou gréco-bactriens, et nous pouvons leur en être reconnaissants : mais ce n’est que le résultat des destructions, des pillages et secondairement du commerce, qu’ils ont accumulé avec sans doute l’indifférence esthétique qui caractérise les nouveaux maîtres d’un territoire.