• Aucun résultat trouvé

Conventions orthographiques

A. K Narain le faisait remarquer dès les premières lignes de son livre The Indo Greeks Revisited and supplemented 48 : tout semble commencer avec Theophilus Bayer, en 1738, à

II) Les sources

II.1.2 L’archéologie en Bactriane

«La storia del regno greco-battriano rappresenta uno dei punti più complessi che si presentano allo studioso dell’Ellenismo in oriente », ainsi que l’écrit O. Coloru151

. Cette déclaration liminaire pourrait tout-à-fait s’appliquer à l’histoire de l’archéologie grecque en Orient. C’est en effet un objet de surprise que de découvrir, jadis au détour d’une page, et désormais dans des chapitres entiers, les conflits, les jalousies et les rancœurs générés par la recherche archéologique dans cette région du monde152.

Aussi, avant d’en présenter rapidement une qui nous semble moins oublieuse de certaines réalités, nous commencerons par rappeler certains faits :

- La présence grecque en Asie centrale ne se limita pas à un seul pays, l’Afghanistan ; - Par conséquent les premières fouilles modernes (ou qui tentèrent de correspondre aux

critères de la modernité en la matière) eurent lieu en Inde et au Turkestan russe ; - Ce dernier point est important, car les chercheurs occidentaux, notamment les anglo-

saxons (à commencer par le plus illustre, W.W. Tarn), ont longtemps ignoré qu’il y avait eu des savants de grande valeur en Russie puis en Union soviétique. Pour en revenir au Turkestan, voici ce qu’écrit S. Gorshenina au sujet des débuts de l’archéologie russe : « La construction à travers Afrasiab de la route Samarcande- Tachkent, entraînant de nombreuses découvertes, ainsi que la situation du marché des antiquités du Turkestan, de plus en plus inondé d’objets antiques de toutes sortes, ont conduit à mettre en œuvre des fouilles officiellement sanctionnées par le gouvernement russe, qui correspondent à la première étape de l’étude d’Afrasiab. En 1873, le chef de la région (okrug) du Zerafšan, le général-major A. K. Abramov, envoya en mission à Afrasiab le chef du district (otdel) de Samarcande, le major Borzenkov pour y mener des fouilles archéologiques. En 1883, sur l’ordre du général- gouverneur, M. G. Cernjaev, des fouilles furent missions spéciales, V. V. Krestovskij

151 C

OLORU,2009, p. 20.

152

Le tout dernier livre de HOLT , 2012b est ainsi parfois très critique envers ses collègues archéologues ; rappelons également les différences d’appréciation entre les archéologues français, tenant d’une archéologie classique et d’une archéologie « moderniste » que décrit OLIVIER-UTARD, 2003, p. 277-279.

50

(connu par ailleurs comme écrivain). La troisième campagne de fouilles est liée au nom de N. I. Veselovskij, envoyé au Turkestan par la Commission archéologique de Saint-Pétersbourg en 1884 (il fit une autre campagne, moins importante, en 1895) »153. L’intérêt des Russes pour la région s’est toutefois d’abord porté sur l’Inde, et ce depuis le XVIIIème siècle154. Grâce à Mme Gorshenina les pionniers russes et français, qui ont travaillé dans cette région, commencent à sortir d’un injuste oubli, notamment, pour la France, J. Chaffanjon et J.-A. Castagné155.

- Une monnaie découverte lors d’un achat dans un bazar n’est pas assimilable à une trouvaille archéologique, c’est un document historique. Ce rappel repousse à la fin du XIXème siècle toute entreprise archéologique, les époques précédentes étant celles des « antiquaires », amateurs éclairés, collectionneurs passionnés, mais aussi bandits sans scrupule parfois. Enfin, la plupart des monnaies ont été découvertes, et le sont encore, dans des conditions frisant l’aventure, non du fait des savants qui les cherchent mais de celui des aigrefins locaux156. Ainsi, des informations essentielles échappent à notre connaissance : la localisation des trésors, les conditions de découverte, le trajet entre le lieu d’invention et le point de marchandage, la quantité même des monnaies figurant dans le trésor. Ces réalités sont d’ailleurs connues depuis longtemps, si l’on croit les Instructions de l’Académie au Général Allard qui contenaient de fort justes remarques sur la façon dont les premières monnaies antiques avaient été recueillies, après la saison des pluies, à l’occasion de glissements de terrain, à distance impossible à connaître du lieu d’enfouissement157

.

- La rivalité sur le terrain des deux écoles d’archéologie, la française et l’anglaise, conduit parfois certains chercheurs à de curieuses contorsions effectuées dans le but de contrebalancer la prééminence française. Citer Ch. Masson et A. Burnes pour commencer l’histoire des recherches en Asie centrale relève de l’abus158, même s’il

est possible de faire croire ainsi à une antériorité, voire une légitimité historique anglo- saxonne. CH. Masson (de son vrai nom James Lewis) était un déserteur de l’armée britannique, un aventurier peu scrupuleux, correspondant des services secrets pour s’assurer une couverture, tel un second couteau dans un roman de Graham Greene ; sa

153 G ORSHENINA,1999, p. 366. 154 COLLECTIF, 1989, p.1 et 117. 155

J. Chaffanjon, 1854-1913 et J.A. Castagné, 1875-1958 : le premier fut toutefois plus un explorateur qu’un archéologue.

156

BOPEARACHCHI,FLANDRIN, 2005, passim et notamment le chapitre 4.

157

LAFONT, 1994, p. 59

158 C

51

principale activité fut de piller les sites historiques, d’éventrer les stupas et d’escroquer les populations locales quand il se procurait des monnaies. Cependant, il faut reconnaître à son mémoire publié dans Ariana Antiqua 159 une réelle utilité. A. Burnes, autre espion, plus sympathique car loyal et brillant, ne fit que passer dans ces régions, et c’est par hasard qu’il en laissa un témoignage160

.

- Le travail de la DAFA (Délégation Archéologique Française en Afghanistan, de 1922 à 1982) est désormais fréquemment critiqué161. Que reproche-t-on à la DAFA ? Implicitement d’être française, bien sûr ; plus ouvertement le monopole dont elle disposa pendant trente années, comme si les Anglais n’avaient pas agi souvent de même en Inde. Les archéologues français n’auraient pas fouillé certains sites, en auraient trop valorisé d’autres, notamment Bactres ; comme s’il ne fallait pas effectuer des choix, dans un pays en proie aux difficultés intérieures (révolutions de 1929, de 1973, de 1978), alors que les guerres frappaient aussi la France162. Les Français se seraient peu occupés du peuple afghan, vivant à côté mais pas au milieu, n’ayant que peu d’empathie pour des populations dont ils n’avaient en charge, faut-il le rappeler, ni la santé, ni l’éducation, ni même toute la culture. Enfin, les Français n’ont vu dans l’Afghanistan qu’un pays grec, cherchant depuis A. Foucher le lien entre l’Inde et la Grèce, en bons hellénistes classiques qu’ils étaient163

. Cette dernière remarque est de toutes la plus intéressante, mais elle relève aussi de la mauvaise foi, car les archéologues de cette génération étaient tous formés, partout, à l’école du monde antique. Les archéologues de la DAFA ont travaillé, trouvé, beaucoup ; ils furent des savants brillants, appartenant à une école d’orientalistes maintenant passablement oubliée ou en passe de l’être (Renou, Demiéville, Barreau, Jouveau-Dubreuil,

159

MASSON, WILSON,1841. Le mémoire de Masson représente 50 pages sur les 452 du livre, il est donc abusif, comme on le fait souvent, de lui attribuer tout l’ouvrage.

160 Voici un exemple de la façon dont procédait Burnes. Passant à Shorkote, il disserte avec érudition et talent,

il est vrai, sur le passé de la ville, dans laquelle il ne passe que quelques heures, puis il termine « At Sorkote I have the good fortune to procure a variety of coins, which I long believe Hindoo ; but my surmise regarding the antiquity of the spot received a strong and satisfactory confirmation through the intelligence of the able secretary of The Asiatic Society of Bengal, - Mr. James Prinsep. That gentleman discovered it to be a Bactrian coin, resembling that of an Appolodotus, and shaped like a Menander (…) The Greek word Basileos may be read ; and I had, therefore, to congratulate myself on having, in my journey to the Hydaspes, found the first Grecian relic in the Punjab.» BURNES, 1834, t.III, p.131-132 ; pour une analyse détaillée et critique de sa

collection de monnaies, voir PRINSEP, 1833, p. 310–8.

161

Par exemple, CENTLIVRES, 2001, p. 69 ; ou encore HOLT, 2012b, chapitre V, « Wanted – One Greek City » ; pour un bilan nuancé, OLIVIER-UTARD, 2003, le chapitre de conclusion p. 311-317.

162

OLIVIER-UTARD,2003, p. 244-255.

163

Ce que souligne avec insistance HOLT, 2012b, p. 99, au sujet de P. Bernard, comme s’il s’agissait d’un défaut, et comme s’il n’en était pas de même pour une grande partie des archéologues du XXème siècle.

52

Groslier…)164

qui comptaient parmi les plus grands savants du monde entier. Nul n’a jamais remis en cause leur honnêteté, et s’ils s’attachèrent obstinément à la période hellénique plutôt qu’à la préhistoire ou à la période islamique (demande tardive des Afghans) 165.

Les quelques lignes qui suivent n’ont pas pour objectif de présenter une histoire exhaustive de la recherche archéologique en Asie centrale grecque, mais de souligner des étapes et des lignes de force.

Si l’on retrace l’histoire de l’archéologie en Asie centrale, il faut tout d’abord remarquer un paradoxe : les conquêtes grecques furent connues par les monnaies des souverains, sans que l’on sache où ils avaient régné. L’Asie centrale grecque avait des noms, des visages, mais pas d’aire géographique, ni de monuments. Par ailleurs, la curiosité pour la présence grecque dans la région était le seul fait des Occidentaux : Mîrzâ Sirâdj ad-Dîn Hakîm traversa l’Afghanistan plusieurs fois à la fin du XIXème

siècle et au début du XXème, notamment l’oasis de Bâmiyân, et jamais, bien que marchand de Boukhara, il ne songea à se préoccuper, et encore moins à se procurer des monnaies166. Le XIXème siècle fut donc le siècle des aventuriers chercheurs de pièces, Français dans le Sind au début du siècle, Anglais espionnant en Afghanistan dans les années 1830-1840167. Il fallut attendre l’emprise russe sur ce qui deviendrait le Turkestan pour que des fouilles commencent, avec quelques Français bénéficiant de l’aimable autorisation des autorités, heureuses de contrer l’influence britannique dans la région ; c’est ainsi que des découvertes furent effectuées dans la région

164

A. Barreau 1921-1993, orientaliste spécialiste du bouddhisme ; P. Demiéville, 1894-1979, sinologue ; G. Groslier, 1887-1945, spécialiste de l’art Khmer ; G. Jouveau-Dubreuil, 1885-1945, indianiste L. Renou, 1896- 1966, indianiste.

165

« L’archéologie de l’Asie centrale est, par rapport à d’autres, très jeune. Si l’on met à part les grandes explorations du Turkestan chinois qui, à l’exception des travaux de Mark Aurel Stein, étaient surtout des collectes conduites sans méthode de fouille digne de ce nom, elle remonte principalement à deux écoles qui se sont formées dans l’avant-guerre, ne se sont pleinement rencontrées que dans les années 1980, et ont maintenant dans une large mesure fusionné sur le terrain. Ces écoles sont d’un côté l’école française d’archéologie afghane, de l’autre l’école soviétique des républiques d’Asie centrale. » : GRENET, 2014, p. 18. On ne peut s’empêcher de penser que cette proximité des deux écoles d’archéologie et leur empreinte scientifique respectivement décisive dans la connaissance de la région irritent au plus haut point les archéologues américains. Il se passe ainsi peu d’années sans qu’un article reprenne les travaux menés par la DAFA, notamment, ou les numismates français, et veuille en infléchir, voire en changer les conclusions.

166

MIRZA SIRADJ AD-DIN HAKIM, 1999, p. 294 pour Bâmyân.

167

Nous ne partageons définitivement pas l’enthousiasme généreux de Coloru O. qui gratifie parfois les livres de Charles Masson d’une véritable louange « contenente una vera e propria miniera di notizie sulle monete greco-battriane, indo-greche, indo-scite, kushana ecc., sul luogo del loro rinvenimento e sui siti archeologici che egli stesso aveva individuato ed esplorato. » (COLORU, 2009, p. 7). Charles Masson effectuait son travail d’espion et de pourvoyeur de monnaies, de pillard en somme, il eut rarement d’autres buts ; cependant, ses récits sont précis, ses aventures parfois haletantes, et il consacre effectivement certaines pages à des indications géographiques ou historiques qui purent se révéler utiles aux archéologues postérieurs (notamment dans le tome 4 de BENTLEY, 1844, et dans MASSON, WILSON,1841,passim).

53

d’Afrasiab-Samarkande. Pendant ce temps les Britanniques, empêtrés dans les guerres afghanes, commençaient à développer l’archéologie, mais en Inde : à partir de 1862 un bureau archéologique fut créé, placé sous la direction d’A. Cunningham, puis de J. Burgess avant l’arrivée à ce poste de J. Marshall (de 1902 à 1931) dont la grande œuvre en Inde du Nord-ouest fut la fouille de Taxila. Toutefois, de remarquables relevés topographiques étaient effectués au Pakistan et en Afghanistan, en particulier par l’infatigable et « ubiquitous » Cunningham. A. Foucher vint aux Indes, et publia en 1905 le premier volume de L’Art Gréco- bouddhique du Gandhâra.

De fait, pendant 50 ans, A. Foucher domina la recherche dans la région : son travail sur l’art du Gandhâra associa durablement l’influence esthétique de la Grèce à l’Asie centrale et légitima fouilles et recherches, mais surtout, à la création de la DAFA, c’est lui qui donna les grandes lignes directrices des recherches à venir. La France, vengeance explicable sinon compréhensible de l’Afghanistan, eut le monopole des fouilles archéologiques dans ce pays pendant trente ans, et put donc évincer les Britanniques, ce que A. Foucher n’hésita pas à faire plusieurs fois. L’aventure de la DAFA est bien connue désormais grâce à F. Olivier-Utard : parmi les moments les plus importants citons les fouilles et la découverte du trésor de Begram par J. Hackin (1937), les fouilles d’Aï Khanoum (1964-1978) par D. Schlumberger et surtout P. Bernard. A partir de 1952 d’autres pays participèrent aux fouilles en Afghanistan, la France n’ayant plus le monopole ; au Pakistan les Italiens, sous la conduite du professeur Domenico Facenna, réalisèrent de 1956 à 1962 des fouilles dans le Swat, à la recherche des origines de l’Art du Gandhârâ ; enfin, dans les années 1920, 1930 et après 1946 les Soviétiques menèrent de remarquables fouilles au Tadjikistan, puis en Ouzbékistan, recherches auxquelles les Français s’associent encore dans ce pays (anciennement Sogdiane) par la création de la MAFouZ (Mission Archéologique Française en Ouzbékistan) à partir de 1989.

En un siècle beaucoup a été fait, mais dans une concurrence entre les États préjudiciables à la cohérence et aux échanges entre les savants. Les querelles nationalistes européennes ont conduit les États à tenter de se partager des ères d’influence, selon des problématiques différentes, les travaux effectués furent publiés en différentes langues, de façon dispersée, et même en français l’absence de cohérence éditoriale fut souvent remarquée. Si l’accent fut essentiellement mis sur l’apport grec dans l’histoire régionale, notamment par la France, les recherches furent cependant l’occasion d’approfondir la connaissance de toute l’histoire de la région : ainsi, par exemple, les fouilles de Termez, auxquelles participe P. Leriche, montrent les traces d’un peuplement commençant au néolithique. L’histoire de la

54

Bactriane toute entière, bien antérieurement à l’époque macédonienne, nous est mieux connue, comme l’ont prouvé les colloques de Dushanbe en 1982 et de Termez en 1997 ; et les nomades Parthes, Scythes et Kouchans sont eux aussi, rentrés dans l’histoire de l’archéologie. En somme, on cherchait des monnaies et des rois, puis on découvrit des peuples, des arts, des civilisations.