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L’Asie centrale grecque, une zone instable

Conventions orthographiques

A. K Narain le faisait remarquer dès les premières lignes de son livre The Indo Greeks Revisited and supplemented 48 : tout semble commencer avec Theophilus Bayer, en 1738, à

III) Le roi-guerrier

III.2.1 L’Asie centrale grecque, une zone instable

Entourés de toutes parts par des peuples en mouvements, tels les nomades du Nord, ou en expansion politique et territoriale, comme les Parthes, les Grecs de Bactriane nouvellement indépendants avaient aussi à se défendre à l’ouest des souverains séleucides et à l’est des Indiens, c’est-à-dire de puissances désireuses de récupérer l’intégralité de leur possessions territoriales. Ces mêmes Grecs qui sont toujours en guerre selon Justin (XLI, 6), et conquérants selon Strabon (XV, 1, 3) et qui poussent leurs troupes jusqu’en Inde.

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APERGHIS, 2001, p. 76. G. Aperghis reprend ici les chiffres qu’il fournissait dans sa thèse de 1998, estimant par ailleurs que l’empire d’Alexandre aurait comptabilisé entre 30 et 35 millions d’habitants, et l’empire séleucide autour de 20 millions, dans sa plus grande extension : APERGHIS G., 2004, chap. IV, p. 35-58. Son travail fut

critiqué, en raison des projections et évaluations auxquels l’auteur s’est livré ; quelques numismates ont également critiqué certaines de ses hypothèses relatives aux frappes «d’entretien » ou de « remplacement » ainsi qu’au calcul des taxes sous les Séleucides (LE RIDER,CALLATAŸ, 2006, p. 217-221 et 263-264 ; cependant le

même numismate F. de Callataÿ réutilisait les données démographiques d’Aperghis, faisant reposer sur elles une partie de ses analyses, dans CALLATAŸ F.de, 2004, p. 30-34 notamment.

278 Voir, par exemple, D

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L’historiographie contemporaine envisage que les rois durent mener des guerres offensives ou défensives, mais affrontèrent également des guerres intestines. Voici donc nos rois combattant sur deux fronts : le front intérieur des luttes pour le pouvoir, le front extérieur de la conquête ou de la défense face aux menées des peuples voisins. Depuis Diodote qui s’affranchit de la domination d’Antiochos II, profitant de la distance qui le sépare de la puissance séleucide tutélaire et peut-être en usant de la force sur quelques garnisons, jusqu’aux derniers souverains grecs de l’Inde, Zoïlos II et Straton II, les historiens ont déduit l’existence de nombreux conflits internes aux Grecs. Ainsi Eucratide Ier

supplanta les descendants des Diodotes, Ménandre Ier combattit peut-être Eucratide, Hélioclès assassina peut-être son père Eucratide, sans compter tous ces souverains (ou aspirants à l’être) du sud de l’Hindou Kouch qui laissèrent un nom sur des monnaies en même temps que la Bactriane était indéniablement aux mains de vrais rois : Apollodote Ier, Antimaque Ier, Pantaléon, dont la possible concurrence laisse à penser qu’ils en vinrent à régler par les armes leur prétention au pouvoir. Faut-il déduire du probable spectacle de ces dissensions et de la réelle réputation de discorde une des causes du peu d’intérêt que les Grecs de Méditerranée portèrent aux Grecs d’Asie ? Trop de staseis, de cette face noire et terrifiante de la politique279

. Loin des centres de la culture et de la civilisation, comment ne pas oublier ce qui fait la mesure, la civilité, et ne pas se laisser aller aux violences ? Ces Grecs d’Asie centrale, livrés à eux-mêmes et aux passions sans frein des hommes, n’auraient pas su se tenir.

La guerre (polémos) noble et héroïque n’est cependant pas absente d’Asie centrale : Euthydème Ier repousse Antiochos III et affermit le pouvoir indépendant des Grecs de Bactriane, certes discrètement et avec diplomatie puisqu’il commence par prêter allégeance au souverain séleucide ; les troupes grecques ou du moins commandées par un Grec, Démétrios ou Ménandre, ont peut-être pénétré en Inde, et la guerre sur les frontières bien peu délimitées de l’Ouest, du Nord et de l’Est mit les Grecs aux prises avec les troupes indiennes, parthes, scythes et kouchanes : si l’on croit Plutarque, c’est en menant ses troupes au combat que mourut Ménandre.

Nos sources sont peu sûres ; on en revient toujours aux mêmes textes, aux monnaies dont il faut extrapoler les informations : quand le visage de Diodote vient à effacer celui d’Antiochos Ier

sur les monnaies vers 250 av. notre ère, le changement politique paraît évident, mais quand un visage de souverain inconnu apparaît soudainement sur une nouvelle monnaie, que penser ? L’archéologie est elle-même peu définitive : nous le verrons plus loin,

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Aï Khanoum fut attaquée, plusieurs fois, les indices sont probants. Mais par qui ? Termez, que l’on croirait volontiers livrée à des hordes de nomades farouches venus du nord, n’a pas été détruite, et la Sogdiane connut même une transition aisée sinon paisible entre le pouvoir grec, un possible pouvoir local transitoire et la domination kouchane. Peu d’armes dans les ruines d’Afghanistan ; rapportées à l’ensemble des découvertes, vases, bijoux, verres, les traces d’une civilisation guerrière sont même insignifiantes. Si l’on s’en tenait au décompte des artéfacts guerriers, on serait tenté de croire que la paix régna en ces territoires du nord et du sud de l’Hindou Kouch, que la concorde même présida aux efforts architecturaux d’Aï Khanoum, au point que le temple principal présente une esquisse de syncrétisme architectural280 ; et le dieu Oxus local est vénéré dans la ville.

La conception antique de la guerre comme un moyen légitime d’accroître les richesses de l’État ou du roi, la présence de peuples hostiles, l’exaltation de l’épopée macédonienne, référentielle et fondatrice identitaire, le fait que le peu de sources écrites dont nous disposons mettent toujours ces Grecs en situation de conflit, concourent donc à faire penser la guerre comme une donnée constante sinon permanente de la vie de ces Grecs pendant 300 ans. Les épithètes monétaires dont usèrent les rois sont significatives : le fréquent emploi de nikator et aniketos est une innovation des Grecs d’Asie281 et le choix de ces épithètes en milieu asiatique est caractérisé par sa pauvreté et sa quasi constante inflexion guerrière282. Comment, dès lors, ces rois dont l’iconographie monétaire est une constante référence à leur statut guerrier, surent-ils conquérir et préserver leurs territoires, et peut-on cerner avec précision l’étendue de leurs conquêtes ?

280 M

ARTINEZ-SEVE, 2010, p. 205-206 : « Au moment des fouilles, l’hypothèse d’une assimilation entre Zeus et

Ahura Mazda fut retenue sans qu’elle emporte totalement la conviction compte tenu de la nature d’un des rites qui se déroulait dans le sanctuaire et qui consistait en l’enfouissement de vases à l’arrière du temple, dans des cavités creusées depuis le sol, l’ouverture généralement tournée vers le bas. Les récipients contenaient un épais liquide[…] Un soixantaine de récipients furent découverts, le rite s’étant poursuivi durant toute la durée d’existence de l’édifice. Sa nature chthonienne ne fait guère de doute, et suggère de reconnaître une sorte de Zeus Chthonios dans le Zeus du sanctuaire. Mais elle s’accorde mal avec la personnalité d’Ahura Mazda. F. Grenet a montré par la suite qu’une assimilation avec Mithra était plus satisfaisante [ …]. Mais elle n’est pas la seule possible […] Une assimilation avec un dieu plus spécifiquement local n’est donc pas à exclure. »

281 Voir C

ALLATAŸ, LORBER,2011, p. 423.

282

Voir CALLATAŸ, LORBER 2011, p. 428 : «… the Graeco-Baktrian and Indo-Greek Kings look rather repetitive in their way of qualifying themselves and, indeed, no less than 18 of them choose to call themselves soter and 9 dikaios. Interestingly too, the epithet aniketos was used only by these kings…. However, the catalogue leads us in a more political and military direction since the same kings also made an extensive use of the epithets

nikator and nikephoros (especially in the years 100-80, with three occurrences for aniketos, two for nikephoros

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