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Conventions orthographiques

A. K Narain le faisait remarquer dès les premières lignes de son livre The Indo Greeks Revisited and supplemented 48 : tout semble commencer avec Theophilus Bayer, en 1738, à

III) Le roi-guerrier

III.2.2 Un siège inaugural : Bactres

En 212 av. J.C. Antiochos III qui dirige l’empire séleucide, veut retrouver l’intégralité de ses territoires : les premières années de son règne ont été marquées par des guerres en Asie Mineure ou des soulèvements en Médie et en Perse. Arménie, Parthie et Bactriane en ont profité pour s’affranchir de son autorité depuis déjà plusieurs années. Il débute en 212 une expédition militaire de très grande envergure qui le mène en Arménie, en Médie, puis contre les Parthes, enfin en Bactriane. De 209 à 206 celle-ci subit les ravages de son armée, et cette attaque se termine sous les murs de Bactres : Antiochos IIInégocie avec Euthydème Ier, le roi de Bactriane qui a évincé, dans des conditions inconnues, le dernier représentant de la famille sécessionniste des Diodotes.

La longueur du siège de Bactres est admise par tous : deux années se seraient écoulées entre la bataille menée par Euthydème et les négociations qui auraient conclu cette guerre. Trois textes de Polybe (X, 8, 49 ; XI, 6, 34 ; XXIX, 2, 12) nous renseignent, de façon très lacunaire, sur ces événements. Or rien dans ces textes ne nous permet de déclarer que le siège proprement dit dura effectivement deux ans, ni même un an. Le premier texte est peut-être privé de sa fin et de précisions supplémentaires ; il se déroule en 208, Euthydème regagne Zariaspa en Bactriane, sans que l’on sache si Polybe considère que Zariaspa est Bactres ou un lieu-dit près de Bactres ou une ville différente. Plus loin, XI, 6, 34, Polybe relate les négociations entre Euthydème et, non pas Antiochos, mais un intermédiaire nommé Téléas ; Bactres est enfin citée nommément au livre XXIX, 2, 12, comme une ville ayant subi un siège digne de mémoire, dans une liste où figurent aussi plusieurs autres villes illustres: « …de s’étendre en outre sur la prise de Tarente, sur les sièges de Corinthe, de Sardes, de Gaza, de Bactres et, pour couronner le tout, sur celui de Carthage, et d’ajouter des détails de son cru283. » Si le siège de Carthage, auquel assista Polybe, fut long (147-146), les sièges de Corinthe, Sardes et Gaza n’ont pas cette particularité. La durée du siège de Tarente ne nous est pas connue, et l’événement doit sans doute s’être déroulé en 212 ou 209, alors que les Carthaginois cherchaient à s’emparer de la citadelle tenue par les Romains. Le célèbre siège de Corinthe en 146 dure plusieurs mois, tandis que le siège de Sardes fut long (deux ans) et se termina par une prise consécutive à une ruse (VII, 4, 15). Enfin le siège de Gaza (XVI, 3, 18 et XVI, 5, 22) que Polybe utilise pour un exposé tactique, dura un temps indéterminé et se

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conclut par un retrait d’Antiochos III, à moins que Polybe n’ait à l’esprit le siège de Gaza par Alexandre en 322, qui fut remarquable mais ne dura que huit semaines.

Trois de ces six sièges sont menés par Antiochos III (Sardes, Gaza, Bactres), deux le sont par des Romains (Carthage, Corinthe), un par les Carthaginois mais le texte de Polybe est à la gloire des Romains et de leur courage. Polybe n’explicite pas les raisons de ses choix, la longueur ne paraît cependant pas être le critère déterminant, mais plutôt la notoriété des villes (due notamment à leur ancienneté284) ou le caractère du siège ; ces sièges furent en effet tous très disputés et l’on peut déduire de ces cinq autres que celui de Bactres fut aussi disputé. Mais seule une ellipse, permet de conclure que le siège dura deux ans. Entre le retour d’Euthydème à Zariaspa et les négociations finales, combien de péripéties, de sorties, de mouvements stratégiques ? Il est abusif, en l’absence de toute information précise sur la conduite des opérations, de se servir d’un rapprochement de dates pour en conclure que les troupes bactriennes sont restées enfermées à Bactres. Que la guerre de Bactriane ait duré deux ans est une évidence, mais les commentaires sur cette campagne relèvent de l’imagination : un enchevêtrement de possibilités, à partir de quelques données numismatiques ou archéologiques difficilement datables, pour envisager une sortie des Bactriens de la Sogdiane afin de lutter contre Antiochos, avant que la Sogdiane ne prenne son indépendance à l’occasion du vide politique et militaire. Le déroulement de ces événements est logique, certes, possible également, mais impossible à prouver285.

Sans doute « Bactres » n’était-elle pas limitée à la seule ville nommée Bactres, mais constituait un ensemble militaire et fortifié qui protégeait toute la ville et la plaine alentour286. Avec la capitale, le complexe militaire fortifié de Zariaspa au sud et quelques places fortes au nord héritées des Achéménides ou peut-être construites récemment (comme Dil’bergine), le cœur utile de la Bactriane était protégé. Il est surprenant de constater, par ailleurs, que là où

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LERICHE,2011 : « The first mentions of Bactria occur in the list of Darius’s conquests and in a fragment of the work of Ctesias of Cnidos—texts written after the region’s incorporation in the Achaemenid empire. Ctesias, however, echoes earlier reports in his mention of campaigns by the Assyrian king Ninus and the latter’s wife Semiramis (late 9th and early 8th century B.C.). Thereafter, he states, Bactria was a wealthy kingdom possessing many towns and governed from Bactra, a city with lofty ramparts » ; LERICHE, 2011 fait référence à CTÉSIAS, Persica, F1b (2, 4), éd. D. Lenfant. L’édition de D. Lenfant dispose d’une longue et riche présentation

qui permet de comprendre les précautions avec lesquelles il faut tenir compte des écrits de Ctésias. S’il peut être crédible pour certains aspects de la vie et de l’histoire perses, les pages qu’il consacre à l’Inde relèvent souvent d’une haute fantaisie.

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Voir à ce sujet les pages que F. Widemann, consacre à cet épisode, en usant d’une prudence de bon aloi qui est plus rare dans le reste de son livre : WIDEMANN, 2009, p. 58-59,

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Alexandre réussit aisément287, Antiochos aurait piétiné. L’armée d’Antiochos était-elle faible en effectifs ? Il est difficile d’estimer précisément ces troupes : la cavalerie du roi séleucide, lors de la bataille de l’Arios, est d’environ 2000 hommes d’après Polybe, et ne protège que l’avant-garde ; ramenée aux proportions habituelles des armées macédoniennes (environ 1 cavalier pour 6 fantassins)288, l’avant-garde aurait comporté au moins 12 000 hommes en plus des cavaliers. Une rapide projection permet d’envisager une armée de 50 000 combattants, auxquels il convient d’ajouter l’intendance, les esclaves de toutes sortes. Cette armée comportait évidemment des ingénieurs en poliorcétique, qui ne sont toutefois pas intervenus (à moins que le rempart incendié d’Aï Khanoum ne soit à rapprocher de l’attaque séleucide dans ces années-là) 289. Le siège de Bactres aurait donc été de type péloponnésien, c’est-à-dire un siège à l’ancienne, consistant à affamer le territoire, couper les lignes de ravitaillement en attendant que la ville se rende à résipiscence, ou que les combattants affaiblis ne commettent une erreur.

Les sièges évoqués par Polybe illustrent, à des degrés différents, les préoccupations stratégiques de l’historien. Auteur d’un Traité de Tactique qui ne nous est pas parvenu mais qu’il évoque en IX, 20, 4 290

, Polybe est particulièrement attentif au déroulement des sièges ; au IIème siècle, quatre façons de s’emparer d’une ville peuvent être envisagées : la trahison, la ruse, l’assaut, le siège statique291. Bactres serait la seule ville des six de la liste qui n’aurait

pas été vaincue, ce que l’on peut déduire du traitement clément réservé par Antiochos. Les historiens, et notamment E. Will, concluent de cette campagne qu’Antiochos et Euthydème traitèrent d’égal à égal, au terme d’une sorte de match nul difficile à admettre : comment la Bactriane occupée, isolée, pouvait-elle tenir face à un empire dont l’arrière-pays et les ressources financières comme humaines n’avaient pas de comparaison avec celles de la Bactriane ? Polybe traite d’ailleurs Euthydème et Antiochos différemment : c’est Euthydème qui demande les négociations, qui plaide sa cause, et la dramatisation de la plaidoirie ne doit pas nous induire en erreur : le roi séleucide n’avait qu’à attendre, Bactres serait tombée. Il

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ARRIEN, III, 29, 1 règle la question de prise de la ville en une phrase, comme si Alexandre l’avait conquise en un seul assaut.

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ILNS,1975, p. 87-129. Ces proportions varièrent selon les époques et les armées puisqu’Hannibal aligne

40 000 fantassins à Cannes pour 10 000 cavaliers, POLYBE III, 113, 7.

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LERICHE, P., 1986, p. 80, ne croit pas à cette hypothèse : comment Antiochos, qui ne parvenait pas à s’emparer de Bactres aurait-il voulu attaquer Aï Khanoum ? Mais l’argument pourrait aussi se retourner : puisqu’il ne parvenait pas à s’emparer de Bactres, il pouvait vouloir prendre Aï Khanoum.

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Voir à ce sujet les travaux de Poznanski, L., notamment POZNANSKI, 1994, p. 19-74.

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entend les arguments du Bactrien292, et sans doute fatigué d’une occupation militaire qui le retarde, encalminé dans une région certes importante mais qui n’est qu’une étape (la campagne de Parthyane, juste avant, se déroula plus facilement et rapidement), il traite. Un mariage fut projeté entre le fils d’Euthydème, un nommé Démétrios293

, mariage qui ne fut peut-être pas concrétisé car Polybe semble considérer qu’Antiochos se ravisa et changea d’avis. Euthydème se vit accorder le titre de roi, menant nos historiens modernes de nouveau dans des interprétations abusives : Euthydème est traité comme Poros le fut par Alexandre, en vassal qui conserve un titre auquel ses populations sont habituées, conforté dans son pouvoir du moment qu’il se soumet à plus puissant que lui, selon une gestion des pouvoirs locaux fréquente en milieu achéménide et séleucide. Antiochos est victorieux, ne rase pas Bactres ni les autres villes du complexe militaire de la plaine de Bactres (si Bactres et Zariaspa sont bien différentes). Euthydème scelle cet accord en versant un tribut à Antiochos : de la nourriture pour que l’armée continue sa route vers l’Indus294

, et peut-être, car là encore le texte de Polybe n’est pas aussi explicite qu’on le voudrait, des éléphants.