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Conventions orthographiques

A. K Narain le faisait remarquer dès les premières lignes de son livre The Indo Greeks Revisited and supplemented 48 : tout semble commencer avec Theophilus Bayer, en 1738, à

II) Les sources

II.2.1 Les sources grecques

Il faudra nous résoudre à admettre leur pauvreté, de même que les sources romaines sont rares. Pourquoi les auteurs antiques se sont-ils si peu inquiétés des populations grecques d’Asie, de leur destin singulier ? De plus, nous avons abondance de témoignages écrits et épigraphiques en Asie Mineure, Syrie ou Égypte, par exemple, même des correspondances royales ; en regard de cette matière, nous ne disposons que d’un petit nombre de pages antiques consacrées à l’Asie centrale, situation qui oblige parfois à solliciter ces sources. La présentation des sources littéraires grecques et romaines sera pour nous la première occasion (car il faudra y revenir) d’émettre quelques hypothèses sur ce silence de l’Antiquité à l’égard des Grecs d’Asie centrale.

(a) Polybe est encore le contemporain des rois grecs d’Asie. Cette qualité précieuse pour nous, laisse espérer des informations récentes, voire de première main. Et pourtant, bien qu’il fût contemporain de Ménandre Ier

, de Démétrios Ier, pas une ligne sur leurs conquêtes, pas même leur nom. Polybe évoque trois fois la Bactriane : au livre X, 8, 48, au livre XI, 6, 34, et au détour d’une phrase au livre XXIX, 2, 12. Dans l’édition intégrale Hartog-Roussel, 4 pages en tout sont écrites sur la Bactriane. Au livre XXIX Polybe a répondu à de possibles reproches de cet ordre : Polybe n’agit pas comme les autres auteurs d’Histoires, « C’est pourquoi on ne doit pas me taxer de négligence s’il m’arrive de laisser de côté ou de ne mentionner que brièvement certains faits, auxquels d’autres consacrent de longs développements, avec effets de style. On doit au contraire me faire confiance pour accorder à chaque chose la place qui lui convient »181. Polybe n’écrit pas une histoire, mais l’histoire du monde sur 53 ans, une histoire universelle transversale, centrée autour d’une problématique précise, expliquer comment le monde connu est tombé dans ce laps de temps sous la coupe des Romains, et ce projet le conduit à sciemment trier les événements pour n’en retenir que ceux qu’il juge significatifs et considérables182. Ce n’est donc pas par préjugés, hostilité ou

voir RTVELADZE, 1995, p. 23-24 : l’auteur dénombre 300 monnaies, dont quatre trésors, le tout comprenant 17 imitations anciennes de monnaies gréco-bactriennes, et une monnaie d’Eucratide inconnue jusqu’alors, un bronze d’Hélioclès inconnu et un autre bronze inconnu. Enfin BRACEY, 2008, p. 2-5.

181

XXIX, 2, 12.

182 F

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aversion, comparables à ceux qu’il nourrit envers les Carthaginois183

, que Polybe consacre si peu de temps aux rois grecs de Bactriane, mais parce qu’ils lui semblent insignifiants eu égard à son projet, et si Antiochos III, personnage considérable dans le monde d’alors, n’avait pas lancé son Anabase, probablement Polybe n’aurait-il pas évoqué la Bactriane. Polybe, à son corps défendant, inaugure ce qui est une constante de l’historiographie grecque à l’égard de l’Asie sous domination grecque : l’absence d’intérêt pour ce qui est loin du cœur méditerranéen.

(b) La plupart des autres auteurs sont postérieurs aux rois gréco-bactriens et indo- grecs, et lorsque Diodore de Sicile écrit son œuvre, les royaumes indo-grecs sont près de disparaître totalement ; sans doute ne reste-t-il que quelques principautés aux marges du Pandjab actuel. Son projet n’est d’ailleurs pas de réaliser une chronique des rois hellénistiques, mais d’écrire une histoire universelle, des temps mythiques jusqu’à Jules César. Le livre XVII de sa Bibliothèque Historique est consacré à Alexandre, à l’épopée de ses exploits guerriers, en tant que ceux-ci seront comparables, dans la suite des temps, à ceux de César lui-même. Un parallélisme annonciateur de celui que développera Plutarque, mais qui fait de César à la fois un émule d’Alexandre, et l’égal d’Héraclès184

. Alexandre doublement divin aux yeux de Diodore, en lui-même et par l’obligation idéologique de mettre en valeur César, ne peut qu’écraser toute l’Asie centrale de sa trop parfaite et incomparable gloire. Peut-on, dès lors, s’intéresser à tant de rois forcément petits, dont l’historiographie désormais considérera le destin avec la condescendance que l’on accorde aux épigones. Mais il est vrai que le livre XVII de Diodore nous est parvenu lacunaire, et que nous ne savons pas s’il avait atténué cette admiration pour Alexandre en accordant quelque valeur aux rois grecs qui lui ont succédé dans la région.

(c) Les Itinéraires. Au tournant de l’ère occidentale, deux récits de voyage apportent des informations sur les zones voisines des royaumes grecs asiatiques : Les Étapes Parthes d’Isidore de Charax, et Le Périple de la mer Érythrée.

Les Étapes Parthes décrivent un trajet qui part de l’Euphrate, passe par les capitales parthes au nord, puis oblique vers la Margiane et l’Arie au sud, laissant de côté les Paropamisades185. Située, par recoupements, entre 26 et 77 av. J.C., la rédaction de l’ouvrage est due à un homme dont on ne sait rien, certains historiens ayant même évoqué la possibilité

183 M OLIN, 2003, p. 279-290. 184 GOUKOWSKY, 2004, p. 608-609 et p. 613-614. 185

Voir une mise au point sur les éditions anciennes et modernes chez BARATIN,2009, p.74. L’édition de SCHOFF, W.H., ancienne (1914) est encore très sûre (rééd. Chicago 1976).

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de deux auteurs186. Les informations qui concernent la partie, à cette date, anciennement grecque sont succinctes et peu précises187, mais nous permettent au moins de penser qu’aux débuts de l’ère chrétienne l’empire parthe comprenait Margiane, Arie, Drangiane et Arachosie, sans que l’on sache quelle part les Grecs prenaient encore à leur peuplement. Il ressort de cet itinéraire que les Parthes, comme les Achéménides et les Indiens de leur côté, si l’on croit Mégasthène, avaient un grand souci de l’efficacité des moyens de communication : routes minutieusement relevées, bornes, points d’eau, gîtes.

Le Périple de la Mer Érythrée, daté généralement des années 30 à 50 de notre ère, est un récit en grec d’une navigation le long de la Mer Rouge, puis le long de la côte africaine, et jusqu’en Inde. L’auteur est sans doute d’origine égyptienne188

. Le premier manuscrit connu date du dixième siècle, il est byzantin. L’auteur du Périple, un commerçant anonyme grec ou hellénophone, décrit une route maritime et n’est en rien un explorateur ou un voyageur aventureux. Son souci est d’ordre pratique : quelle route prendre ? Combien de jours de navigation d’un point à l’autre ? Quelles marchandises échange-t-on dans ce port ? Quelles langues y parle-t-on ? Aussi l’auteur se livre-t-il rarement à une analyse, il a entrepris lui- même la route, et ne compile pas des renseignements livresques. En ce sens son témoignage nous est précieux car peu partisan, et quand il déclare que dans une ville des monnaies qui circulent sont écrites avec des lettres grecques, nous pouvons l’imaginer avoir tenu les objets en mains. Au paragraphe 47, l’anonyme cite les peuples de l’arrière-pays d’un port indien, Barygaza, et donne des précisions sur la monnaie qui y a cours. On apprend ainsi avec surprise les noms de peuples vivant au nord, parmi lesquels des Gandaraoi, Aratrioi, Arachusioi, et qu’un roi grec belliqueux, en Bactriane, y règnerait. Les commentateurs voient en ces assertions le souvenir de Ménandre et Apollodote dont l’auteur souligne que les monnaies circulent encore.

186 S

CHMIDT, Encyclopedia Iranica, S.V. Isidore de Charax, 2007.

187 S

CHMIDT, 2007 : « The description of the eastern part of the route is much more succinct and actually is no

more than a brief account, which does not give the individual stations, but only the separate provinces, the overall distance of the route within the individual provinces, and summary information on the number of towns, villages, and stations. Therefore, strictly speaking, the route itself, with the exception of only a few stations, is not given at all; and its course, though in part going back to the Assyrians and used also in Achaemenid times, for several sections cannot be reconstructed exactly and is at issue. To make matters worse, several of the provinces mentioned by Isidorus are not attested elsewhere (e.g., Kambadēnḗ and Apauarktikēnḗ, but also the subdivision of Upper and Lower Media). From § 13 on, only provinces (those east of Parthyēnḗ) and cities or villages are listed; there are no more stations and no distances between the inhabited places. This may be explained by assuming that for those last parts of the text the excerpt either is based on a different source or was made by a different person, for whom those matters were of minor interest. »

188 B

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(d) Strabon est l’auteur d’une Géographie de dix-sept livres, écrits entre 10/15 et 24. Soucieux de critiquer ses sources, il reconnaît en XV, 2, dans le livre consacré à l’Inde, combien les informations dont il dispose sur cette contrée sont peu fiables : « Au préalable, nous réclamerons l'indulgence du lecteur pour ce que nous avons à dire de l'Inde. L'Inde est un pays si reculé ! Il y a si peu de Grecs jusqu'ici qui aient pu l'explorer ! Ajoutons que ceux- là mêmes qui l'ont vue n'en ont vu que des parties et ont parlé de tout le reste sur de simples ouïe-dire ; que le peu qu'ils ont vu, ils l'ont mal vu, en courant, à la façon de soldats qui traversent un pays sans s'arrêter ; qu'on s'explique par là comment les mêmes choses ne sont pas dépeintes de même dans des Histoires écrites toutes soi-disant avec la plus scrupuleuse exactitude par des frères d'armes, par des compagnons de voyage (ce qui est le cas de tous ceux qui suivirent Alexandre à la conquête de l'Inde) ; comment il arrive même que le plus souvent ces auteurs disent tout le contraire les uns des autres. Or, si leurs récits diffèrent à ce point sur les choses qu'ils ont vues, que penser de celles qu'ils nous transmettent sur de simples informations ? » 189. Ces sources, pour l’Inde, ainsi qu’il l’affirme, sont les œuvres de

Mégasthène, Apollodore d’Artémita, Erathostène, Onésicrite, et des comptes-rendus d’exploration ou de voyages, ou encore des souvenirs militaires dont on ne connaît pas les noms des auteurs, données dont il ne nous dit pas comment il les hiérarchise ou les additionne. Pour la Bactriane, Apollodore d’Artémita est cité, et Onésicrite mais il s’agit d’évoquer les mœurs barbares des anciens Bactriens. L’ombre du roi macédonien pèse de façon constante sur les livres XV et XVI, et de nouveau sert d’étalon à toute vraisemblance historique : dans le livre XV Strabon juge totalement contraire à toute logique que les Grecs de Bactriane aient pu conquérir plus de terres à l’Inde qu’Alexandre ne le fit, et n’accorde aucun crédit à la célèbre formule de « la Bactriane aux mille villes » : « Prenons pour exemple Apollodore, qui, dans ses Parthiques, parle naturellement du démembrement du royaume de Syrie et de l'insurrection de la Bactriane enlevée par des chefs grecs aux descendants de Séleucos Nicator : il raconte bien comment ces mêmes chefs en vinrent par l'accroissement de leur puissance à attaquer l'Inde elle-même ; mais, pour ce qui est des notions précédemment acquises sur ce pays, nul éclaircissement à attendre de lui ; loin de là,

il n'en tient nul compte et affirmera, par exemple, en contradiction formelle avec ce qu'on sait, que ces rois grecs de la Bactriane conquirent une plus grande étendue du territoire indien que n'avait fait l'armée macédonienne et qu'Eucratidas notamment y possédait jusqu'à mille villes. Il oublie qu'au rapport des anciens historiens il existait, rien

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que dans l'espace compris entre l'Hydaspe et l'Hypanis, jusqu'à neuf nations distinctes, lesquelles possédaient cinq mille villes toutes plus grandes que Cos Meropis, et que cette immense contrée fut conquise par Alexandre et cédée par lui à Poros » 190.

De telles affirmations lui semblent aussi peu fiables que les fables dont il agrémente parfois ses pages, guère plus crédibles que les histoires de Dionysos et Héraklès dont il réfute

la possibilité dans les chapitres immédiatement après (XV, 6-9). Qu’on en juge encore à l’aide

du résumé sommaire du livre XVII, consacré à la Bactriane et à la Sogdiane, beaucoup plus court que le XV consacré à l’Inde, sans doute par absence d’informations : 1) les frontières de la Bactriane et trois de ses rois ; 2) les Grecs conquérants en Bactriane ; 3) les mœurs sauvages des Bactriens antérieurement aux Grecs ; 4) Alexandre en Sogdiane et en Bactriane ; 5) les fleuves de Bactriane ; 6) les peuples voisins, Perses et Scythes ; encore Alexandre ; 7) géographie de la région rapportée aux fleuves et aux montagnes ; 8) quelques légendes du Caucase.

Ces deux livres XV et XVI sont construits suivant une structure double où, comme à son habitude, Strabon oppose les mœurs barbares et les témoignages de la civilisation : ailleurs le Gaulois au Romain191, le sud civilisé de la Péninsule Ibérique contre le nord sauvage192, ici des Bactriens jugés plus civilisés que les nomades (XVI, 3) mais pratiquant l’euthanasie des vieillards ; enfin, au début du livre XV il évoque des rois grecs, puis, à la fin, il semble se délecter de l’étrangeté des mœurs du Caucase (XV, 8). Cette organisation thématique est renforcée par une organisation séquentielle particulière entre les deux livres, puisqu’il décrit d’abord l’Inde (XV), puis la Bactriane et la Sogdiane (XVI), avant d’entreprendre le long livre XVII sur l’Égypte ; comme l’écrit P. Thollard, à propos des livres III et IV : « Apparaît donc à côté de l’ordre géographique un autre établi en fonction du degré de civilisation. La description va du plus civilisé au plus barbare » 193.

190 S

TRABON, XV, 3.

191

CLAVEL-LEVEQUE, 1974, p. 90 : « La charge symbolique du discours strabonien est donc liée à un certain type d'énoncé qui parait établi à partir de l'observation, directe ou non, des hommes, mais qui est, en fait, élaboré à partir d'un système de caractérisants fonctionnalisés, devenu des indices, où s'associent les notations physiques, les connotations psycho-sociologiques, les actes. L'ensemble constituant un système cohérent et construit de représentations, fonctionnant comme une sorte de code (le nombre, la taille, la simplicité, l'amour de la guerre. . .) qui renvoie à une anthropologie qui crée un type d'homme, le Barbare, qui s'oppose au Romain en une opposition symbolique et mythique en même temps que concrète et réelle, dualité qui la rend éminemment opératoire. »

192

CASTRO PAEZ, 2004, p. 173.

193 T

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C’est bien une histoire politique qu’écrit Strabon, dont le but premier est de mettre la géographie au service du pouvoir politique194, dont l’action civilisatrice est incarnée à Rome par Auguste, et avant lui par Alexandre. Nos roitelets grecs, aux prétentions territoriales selon lui excessives et prétentieuses, pèsent peu en regard de la Pax Romana protégeant la Méditerranée. Nous relèverons cependant que faire fi, dans le livre XV, des allégations sur les conquêtes des Bactriens en Inde est une façon d’avouer qu’elles étaient prises en considération en son temps.

(e) Nous disposons de si peu de textes que l’envie est grande de mentionner aussi Arrien, qui écrivit un peu sur la Bactriane et la Sogdiane. Arrien, est un grand dignitaire de l’Empire, un homme de bureau aussi, dont la vie nous est mal connue195. A l’école de

Xénophon, cet homme vivant au temps de la paix romaine rêve de grands espaces et de fureurs guerrières plus prestigieuses que les guerres auxquelles il participa contre les Alains et les Sarmates ; Alexandre est son sujet, mais comme le montre P. Vidal-Naquet, le rapport des Romains à Alexandre fut complexe puisque les vicissitudes de la politique romaine firent de lui un repoussoir, sous la République, ou un modèle dépassé par la réussite de l’Empire romain. Mais pas de roi grec d’Asie chez Arrien, seulement Alexandre, et le livre IV de L’Anabase d’Alexandre qui nous présente un arrière-plan géographique, des arrière-pays traversés par les troupes d’Alexandre, des villes de Bactriane et du sud de la Sogdiane aux remparts de terre, aux populations massacrées, aux fleuves franchis en tous sens par « le massacreur des populations asiatiques » comme l’écrivit Lucain dans la Pharsale.

(f) On pourrait croire que le seul texte de Plutarque relatif à un roi gréco-bactrien, Ménandre Ier, dans sa brièveté, serait le plus aisé à évoquer196 : « Au contraire, lorsqu’un certain Ménandros, qui avait régné avec douceur sur la Bactriane, mourut en campagne, les cités, après lui avoir rendu les honneurs funèbres en commun, se disputèrent ses restes et ne se mirent d’accord qu’avec peine pour se séparer en partageant ses cendres également et lui élever chacune un tombeau ». Que n’a-t-on pas écrit sur Ménandre, en citant ces lignes, écrites au détour d’une page ? Car Milindapañha aidant197, puisqu’il figure dans ce texte pali

un Ménandre-Milinda qui se convertit au bouddhisme198, Ménandre le Grec devint un dévôt

194 S

TRABON, I, 1, 16.

195

P. Vidal-Naquet réunit le peu que nous en connaissons dans son essai Flavius Arrien entre deux mondes, 1984, p. 311-318.

196 P

LUTARQUE, Préceptes Politiques, 28, p.136.

197

Voir infra : Les sources indiennes.

198

BANERJEE, 1920, rééd. 2007, p. 21 ; le mot grec α est ainsi traduit dans une parenthèse : (=stupas). Encore récemment Raphaël Liogier s’appuya sur ce texte pour affirmer que Ménandre était bouddhiste et

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du bouddhisme enterré sous un stupa. Et voici comment un texte pali écrit entre le premier et le Vème siècle de l’ère chrétienne, qui cite un roi Ménandre sans qu’il soit possible de l’identifier autrement que par ce nom, vient enrichir d’illusions l’historiographie d’un roi grec vivant au IIème siècle avant notre ère. Nous reviendrons plus loin sur cette fable du bouddhisme de Ménandre Ier, probable général rebelle, probable pilleur de l’Inde, vraisemblablement mort en campagne, et que certains voudraient faire mourir en odeur de sainteté, honoré comme un Bouddha.

Sans aborder une critique interne, sans remettre en cause les éventuelles informations que contiennent ces brèves lignes, relevons qu’elles procèdent d’un abus : celui qui consiste à retirer un extrait de son contexte, rompant l’équilibre du projet littéraire pour le contraindre à devenir ce qu’il n’était pas au début : un document historique. Jadis P. Goukowski écrivait, sans doute trop sévèrement : « Plutarque n’est pas un écrivain, mais un magicien qui, à force d’art, crée de pièces et de morceaux une architecture enchantée » 199

. De nos jours P. Schmitt Pantel analyse Plutarque en termes plus nuancés, et nous invite à lire en lui un auteur également tout de nuances ; « il considère plus », pour reprendre Corneille dans Polyeucte, en ce qu’il choisit ses anecdotes non tant pour leur véracité factuelle, avérée et documentée, mais pour ce qu’elle nous révèle de l’homme illustre. Plutarque, dans Les vies Parallèles écrit un bios, genre littéraire à portée historique, qui doit à la littérature une part de construction, de rejet et d’adjonction, mais avec une dimension historique : « L’unité du récit de Plutarque n’est en effet pas construite uniquement dans un but éthique ou dans un but littéraire ou même éthico-littéraire, mais elle peut aussi être lue comme une forme particulière d’écriture de l’histoire des siècles passés à propos des hommes illustres, histoire qui est en dehors des clivages que font les historiens modernes entre histoire politique et histoire des comportements ou des mœurs, mais qui s’inscrit bien, je pense, dans la manière d’écrire l’histoire des historiens de l’Antiquité depuis l’époque classique »200

.

Plutarque, dans Les Préceptes politiques, fait de même, bâtissant une démonstration ouvertement morale et politique, mais à coup d’anecdotes qui illustrent son propos en l’ancrant dans une réalité historique que peu de ses contemporains avaient le sens critique ou