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Conventions orthographiques

A. K Narain le faisait remarquer dès les premières lignes de son livre The Indo Greeks Revisited and supplemented 48 : tout semble commencer avec Theophilus Bayer, en 1738, à

III) Le roi-guerrier

III.1.3 Les Parthes

L’histoire du peuple parthe est encore en grande partie à venir. Connus d’abord par des sources grecques et romaines, hostiles sinon parfois méprisantes, les Parthes ne sont entrés que tardivement dans l’orbite des recherches historiques modernes : passant pour des imitateurs des Grecs au XIXème siècle, les Parthes deviennent vraiment un objet d’intérêt archéologique dans les années 1920-1930, grâce aux fouilles en Mésopotamie (Doura- Europos et Séleucie). Depuis la seconde guerre mondiale, malgré de remarquables découvertes effectuées notamment en Irak (Hatra) et en Iran, beaucoup reste encore à faire pour fournir un tableau cohérent de la présence et de la civilisation parthes249.

Hérodote fut le premier à nommer les Parthes en les mentionnant comme habitant une des satrapies achéménides ; vaincus par Alexandre, dominés par les Séleucides, ils s’affranchirent de la tutelle séleucide en même temps que les Bactriens : Andragoras et Diodote se rebellèrent et acquirent leur indépendance. Arsace, d’origine obscure (était-il scythe ou bactrien ?), chef de la tribu des Darnes, se souleva à son tour mais contre Andragoras qu’il battit, vers 247 avant notre ère. Depuis la Parthie et l’Hyrcanie, Arsace Ier

agrandit son empire aux dépens des Séleucides, Arsace II résista à Antiochos III, Phriapite lui

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SCHILTZ, 2005, p. 76-80.

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VENCO RICCIARDI, 2002, p. 18-21. Voir, pour une bibliographie plus importante, BARATIN, 2009, p. 607-638. On utilisera aussi avec profit les travaux de C. Lerouge-Cohen : LEROUGE-COHEN C., « Les livres 41-42 des Histoires

Philippiques de Trogue-Pompée résumées par Justin », Iranica Antiqua 44, 2009, p. 361-392 ; « Les Parthes

sont-ils des nomades commes les autres ? », dans : Rouillard P. (dir.), Portraits de migrants, portraits de colons

II, Paris : De Boccard, 2010, p. 159-166 ; « L’image des Parthes à l’époque d’Auguste : tentative de

confrontation des sources littéraires et iconographiques », dans : Marein M. F., Voisin P., Gallego J. (dir.), Figures de l’étranger autour de la Méditerranée antique. À la rencontre de l’Autre, Paris : L’Harmattan, 2010, p. 295-303.

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succèda vers 191, puis Phraate Ier, qui transmit le trône à son frère Mithridate Ier (roi de 171 à 138 avant notre ère). Ce fut lui qui permit à l’empire parthe d’atteindre son extension la plus grande : Parthie, Hyrcanie, Médie, Babylonie, Elymaïs, Perside. Mais comme le prouvèrent les années suivantes, l’héritage était sans doute trop vaste et fragile : Phraate II dut lutter contre Antiochos VII, puis les Saces qui s’installèrent dans l’est de l’Iran à partir de 127 avant notre ère. Le bref règne d’Artaban, puis celui de Mithridate II (roi de 123 à 88) vit des combats contre les Saces, probablement soumis mais disposant d’une large autonomie dans la frontière à l’est de l’empire parthe. Les années du Ier

siècle avant notre ère furent alors occupées par la conquête de l’Arménie et la descente vers la Syrie, c’est-à-dire la mer, et donc l’aire d’influence de Rome.

La Bactriane, quand on la replace dans ce contexte historique et géopolitique, paraît n’avoir que peu d’importance pour les Parthes : les objectifs de conquête parthes étaient au sud, les dangers étaient au nord. Cependant, la Bactriane fut partiellement conquise afin de ne plus être un danger pour le nouveau royaume parthe. Arsace, aux dires de Justin XLI, 4, 3-10, craignait autant Diodote que Séleucos ; à la mort de Diodote, faisant alliance avec son fils, Arsace aurait assuré sa frontière nord, et les deux nouveaux alliés auraient affermi leur position face à l’ennemi commun séleucide. Les Parthes, de faibles qu’ils étaient alors, ce que Strabon affirme (XI, 9, 2) et qui semble logique, devinrent peu à peu suffisamment puissants pour attaquer, vaincre les Séleucides, et se retourner contre la Bactriane. Les rois de Bactriane bénéficièrent donc d’une paix relative ou totale jusqu’aux années 160-170, jusqu’à l’attaque menée par Mithridate.

Cette dernière nous est bien connue par un texte de Justin (XLI, 6, 1-9), fréquemment cité pour sa première ligne car il présente par recoupements un des rares indices chronologiques à peu près sûr de l’histoire bactrienne. Néanmoins, ce texte ne cesse de poser des problèmes d’interprétation ; dans les lignes qui suivent nous l’abordons dans son aspect stratégique et militaire, avant de revenir plus loin sur les choix littéraire éventuels de son auteur :

« Vers la même époque, deux grands hommes commencent à régner : Mithridate chez les Parthes, Eucratide chez les Bactriens. Mais la Fortune des Parthes, plus favorable, amena chez ceux-ci l'empire à son apogée sous le commandement de Mithridate. Quant aux Bactriens, lancés dans des guerres variées, ils ne perdirent pas seulement leur royaume mais aussi la liberté : épuisés par les guerres contre les Sogdiens, les Arachotes, les Dranges, les Aréens et les Indiens, ils furent à la fin écrasés, comme exsangues, par les Parthes, plus

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faibles qu'eux. Pourtant Eucratide fit beaucoup de guerres avec un grand courage et, alors qu'usé par celles-ci, il subissait le siège mis par Démétrios, roi des Indiens, en faisant de fréquentes sorties, il vainquit soixante mille ennemis avec trois cents soldats, et libéré ainsi au bout de quatre mois, il réduisit l'Inde en son pouvoir. Pendant qu'il en revenait, il est tué en chemin par son fils, qu'il avait associé au pouvoir, et ce dernier, sans cacher le parricide, comme s'il n'avait pas tué son père, mais un ennemi, poussa son char à travers le sang répandu par son père et ordonna d'abandonner le cadavre sans sépulture. Tandis que cela se passait chez les Bactres, la guerre éclate entre les Parthes et les Mèdes. Après des malheurs variés pour les deux peuples, à la fin la victoire fut aux mains des Parthes. Ayant ainsi augmenté ses forces, Mithridate met Bacasis à la tête de la Médie ; lui-même part pour l'Hyrcanie. A son retour il fit la guerre au roi des Élymes et l'ayant vaincu, il ajouta ce peuple aussi à son royaume, et après avoir obtenu la soumission de nombreux peuples, il étendit l'empire des Parthes depuis le mont Caucase jusqu'à l'Euphrate. Mais alors sa santé se détériora et il mourut dans une glorieuse vieillesse, non moins grand que son bisaïeul Arsace » 250.

Étrange texte : à notre connaissance, il est rarement cité en entier, et le plus souvent il apparaît par tronçons, selon les besoins de la démonstration. On dirait du Plutarque. Non par le style, mais par le parallèle constant qu’il établit entre deux rois aussi glorieux et puissants, mais que tout finit par opposer. Le destin des deux peuples était déjà lié : Arsace et Diodote avaient atteint la suprématie au même moment historique. Justin, (ou Trogue Pompée) opère un glissement abusif, pour les besoins de la démonstration : puisque Mithridate porta le pouvoir parthe à son maximum, il est logique que son contemporain ait fait le contraire. Le texte, sans être explicite, nous permet de comprendre que, pour Justin, Eucratide fut le dernier grand roi de Bactriane ; en somme Eucratide fut symboliquement aux Bactriens ce que

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Édition de PIERROT J.et BOITARD E., Paris, 1869 ; la traduction est une révision personnelle. « Eodem ferme tempore, sicut in Parthis Mithridates, ita in Bactris Eucratides, magni uterque uiri regna ineunt. Sed Parthorum fortuna felicior ad summum hoc duce imperii fastigium eos perduxit. Bactriani autem per uaria bella iactati non regnum tantum, uerum etiam libertatem amiserunt, siquidem Sogdianorum et Arachotorum et Drangarum et Areorum Indorumque bellis fatigati ad postremum ab inualidioribus Parthis uelut exsangues oppressi sunt. Multa tamen Eucratides bella magna uirtute gessit, quibus adtritus cum obsidionem Demetrii, regis Indorum, pateretur, cum CCC militibus LX milia hostium adsiduis eruptionibus uicit. Quinto itaque mense liberatus Indiam in potestatem redegit. Vnde cum se reciperet, a filio, quem socium regni fecerat, in itinere interficitur, qui non dissimulato parricidio, uelut hostem, non patrem interfecisset, et per sanguinem eius currum egit et corpus abici insepultum iussit. Dum haec apud Bactros geruntur, interim inter Parthos et Medos bellum oritur. Cum uarius utriusque populi casus fuisset, ad postremum uictoria penes Parthos fuit. His uiribus auctus Mithridates Mediae Bacasin praeponit, ipse in Hyrcaniam proficiscitur. Vnde reuersus bellum cum Elymaeorum rege gessit, quo uicto hanc quoque gentem regno adiecit imperiumque Parthorum a monte Caucaso multis populis in dicionem redactis usque flumen Euphraten protulit. Atque ita aduersa ualetudine adreptus, non minor Arsace proauo, gloriosa senectute decedit. »

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Mithridate fut aux Parthes. Et cela ne manque pas de faire problème, car jusqu’où la démonstration génère-t-elle les preuves dont elle a besoin ? Autrement dit, le trajet de la Fortuna, implacable pour les uns et favorable pour les autres, nous semble un peu trop rectiligne. La Fortuna s’est acharnée, comme dans une tragédie, alors qu’Eucratide a tout tenté pour résister, mais ce fut en pure perte car, comme nul ne l’ignorait dans l’Antiquité, le destin tragique ne peut se renverser.

Le chiffre de 300 soldats sous les ordres d’Eucratide surprend par sa modestie et laisserait entendre que 300 Bactriens, comprenons Grecs, seraient plus valeureux que 60 000 Indiens, même commandés par Démétrios. Mais alors combien seraient les Parthes, dont on nous précise au début qu’ils étaient moins puissants que les Bactriens ? Ce chiffre de 300 n’est pas sans réveiller des souvenirs littéraires chez un lecteur grec : aux 300 Spartiates de Thermopyles, qui viennent spontanément à l’esprit, s’ajoutent les 300 Lacédémoniens dont parle Hérodote (I, 82) « Les Argiens étant venus au secours du territoire qu'on leur avait enlevé, des pourparlers eurent lieu, et l’on convint que : on ferait combattre trois cents hommes de chaque côté ; le territoire reviendrait au vainqueur ; les deux armées n’assisteraient pas au combat, mais chacune se retirerait dans son pays, de peur que le parti en danger d’être battu ne fût secouru par les siens » 251

, et les 300 cavaliers du rois Agis qui sauvent les Mille Argiens de la bataille de Mantinée (Thucydide, V, 72, 3). C’est une troupe d’élite que commande Eucratide, et une épopée qu’il entreprend, car après un exploit dont il faut souligner l’invraisemblance, à 1 contre 200, une ellipse hardie le montre, on croirait dans la foulée, conquérir l’Inde.

A rebours d’un tel destin, la courbe ascendante de Mithridate est d’une désolante banalité : a-t-il eu du mérite, en fin de compte, ce roi à qui tout réussit, qui engrangea victoires et naturellement puissance, et finit non par mourir mais par s’éteindre, banalement ? Reste que Mithridate fut, réellement un conquérant, aux dépens des Bactriens qu’il coupa de l’accès à l’ouest par la terre, et sépara des Grecs de Syrie ; il fut aussi un roi qui établit son empire sur des bases solides. Le texte de Justin, hormis quelques références chronologiques, est fragile d’une faiblesse qui tient aux choix idéologiques : privilégier le destin du roi grec, minimiser le nombre et la valeur des adversaires d’Eucratide pour le valoriser. Il n’y guère que l’irrésistible et progressive ascension du peuple parthe qui paraît crédible.

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