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Bactres et Termez : deux exemples d’occupation opportuniste

Conventions orthographiques

A. K Narain le faisait remarquer dès les premières lignes de son livre The Indo Greeks Revisited and supplemented 48 : tout semble commencer avec Theophilus Bayer, en 1738, à

III) Le roi-guerrier

III.2.6 Bactres et Termez : deux exemples d’occupation opportuniste

Bactres. Deux villes illustrent particulièrement bien les procédés par lesquels les Grecs assurèrent leur pouvoir militaire sur la région : Bactres, capitale déjà du temps des

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LERICHE, 1986, p. 75.

314 L

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Perses, et Termez, établissement urbain que les Grecs développèrent, ou plutôt qu’ils contribuèrent à développer, car leur présence paraît avoir été superficielle, et pour l’essentiel militaire.

Bactres est installée dans une plaine, au bord d’une rivière, à 12 km des montagnes, au carrefour de la route qui conduit de l’Iran à la Chine et de celle qui permet de gagner l’Inde par la vallée de Bamiyan puis la plaine de Kaboul. Cette oasis au centre d’un delta de rivière disposait de fortifications considérables qui ont pu atteindre, dans leur plus grande extension, 65 km (mais ces chiffres sont sans doute postérieurs à la période antique, car ils sont donnés par les conquérants musulmans). Pour un historien français, Bactres est quasi obligatoirement associée au souvenir d’A. Foucher. Par tradition et respect envers le savant de L’Art gréco- bouddhique du Gandhara, il est de bon ton de rappeler sa déception devant l’échec des fouilles qu’il mena sur place 315

: ainsi R. Besenval et P. Marquis intitulent une communication à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres Le rêve accompli d’Alfred Foucher à Bactres : Nouvelles fouilles de la DAFA. Bactres est en effet révélatrice des difficultés de l’archéologie urbaine en Afghanistan : aux problèmes de logistique (populations hostiles, ouvriers anciennement ou potentiellement pilleurs316, difficultés avec les susceptibles autorités locales, incompréhension des représentants religieux), s’ajoutent les difficultés de la fouille (climat, constructions en briques, superposition de strates historiques sur le même site, mais surtout difficultés de repérage). A. Foucher s’en explique fort bien, de même qu’il décrit, en des pages toujours utiles, combien le choix du site de Bactres était motivé par la géographie et la nature fertile des sols317.

Qualifiées de « déroutantes » par P. Leriche318, les fortifications de Bactres apparaissent composites : la citadelle ronde d’origine achéménide a été augmentée au sud de nouveaux quartiers pendant la période grecque, puis à l’est et à l’ouest sous les Kushans et au Moyen Âge. Bactres semblait en outre le cœur d’un système de fortifications, comprenant des remparts sur les hauteurs de l’Hindou Kouch : ce dernier système ne semble pas avoir été encore étudié dans son ensemble et dans sa cohérence.

315 F

OUCHER,1942, p. 73 à 83 ; ce sont les célèbres pages dans lesquelles il évoque « le mirage » bactrien.

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«Generally the old looters make the best diggers», propos attribués à Roland Besenval, dans un article d’Associated Press, repris en 2008 par NBCNews, et consacré aux fouilles de Cheshm-e-Shafa, près de Bactres : http://www.nbcnews.com/id/26095077/ns/technology_and_science-science/t/ancient-city-uncovered- afghanistan/#.UXZSdaKeMXk 317 FOUCHER,1942,p. 75 à 77. 318 L ERICHE,1999,p. 30.

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Bactres est révélatrice des fortifications achéménides, souvent de forme ronde en Asie centrale319, et de la reprise qu’en firent les Grecs : ils associèrent à la ville de nouveaux quartiers dont l’architecture géométrique carrée régulière correspondait à leurs habitudes320

. Deux découvertes récentes permettent désormais d’affirmer que Bactres fut bien un centre hellénique de première importance : des fouilles illégales (plutôt que clandestines, car elles se déroulent en plein jour, au vu et au su de tous) ont mis à jour des antiquités gréco-bactriennes qu’un commandant local avait confisquées et entreposées chez lui, notamment un chapiteau de colonne corinthien, une base de colonne de type ionique asiatique, une base de pilier ou de pilastre de type attique. Par ailleurs, à la suite de ces fouilles illicites, un tambour de colonne a été identifié par R. Besenval, ainsi qu’un chapiteau ionique321. Ces découvertes, qui déclenchèrent le légitime enthousiasme des chercheurs de DAFA, permettent à R. Besenval, P. Bernard et J-F. Jarrige de contester le déménagement de l’atelier monétaire séleucide de Bactres vers Aï Khanoum, thèse naguère défendue322 par des numismates anglo-saxons au motif qu’aucun vestige grec ou gréco-bactrien n’avait été découvert à Bactres : « Il s’avère aujourd’hui que Bactres a eu sous domination grecque la même architecture monumentale à décor de pierre inspirée des modèles grecs qu’Aï Khanoum. Gageons que des fouilles futures montreront qu’elle ne perdit jamais au profit d’Aï Khanoum, tellement excentrée aux confins orientaux de la Bactriane, son rôle de centre névralgique au cœur de la plaine bactrienne » 323.

A l’est de Bactres, R. Besenval fit en 2008 une autre découverte : les remparts de Chesme Shâfa (ou Chesm-E-Shafa). Observée en 1924 sous son nom de Kâfir Qaleh « le château des païens » par A. Foucher et J. Hackin, puis oubliée, cette ville située à 900 mètres d’altitude pourrait être l’antique Zariaspa, qu’il ne faudrait donc plus identifier avec Bactres. Les fouilles sont en cours, et permettent déjà d’affirmer qu’un autel zoroastrien mis au jour est d’origine achéménide ; des tessons achéménides, kouchans et sassanides attestent de la durée de l’occupation, mais on n’imagine difficilement que les Grecs auraient négligé d’occuper un tel lieu fortifié, qui aurait complété sur le flanc sud la protection de la ville de

319

Voir le Dasht de Bargah, photographiée par la DAFA, BESENVAL,MARQUIS, 2007, p. 1869.

320 Voir les n° 28 à 31 dans le dossier iconographique ; les nouvelles fouilles ont lieu sur le Tepe Zargaran, à l’est

de la ville.

321

BERNARD,BESENVAL,JARRIGE, 2002, p. 1403-1408. Informations reprises par BESENVAL,MARQUIS, 2007, p.1850 et 1852.

322 Voir la note 38, p. 1411 de B

ERNARD,BESENVAL, JARRIGE, 2002. Dans son catalogue KRITT,1996, proposa de

retirer un certain nombre de monnaies de l’atelier de Bactres pour les transférer à Aï Khanoum (ses arguments étaient l’absence de monnaies et de monuments grecs à Bactres, la proximité des mines dans l’Est, un monogramme découvert sur une brique d’Aï Khanoum). Le débat eut lieu pour l’essentiel entre Kritt et O. Bopearachchi, BOPEARACHCHI,1999, réfutant cette hypothèse. Les récentes découvertes à Bactres permettent de réévaluer la présence grecque dans cette ville, de façon spectaculaire, et donnent raison à O. Bopearachchi.

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Bactres324. Chesme Shâfa contrôle en effet l’accès à la plaine de Bactres, qu’elle ferme aux ennemis éventuels venus du sud comme aux envahisseurs venant du nord325.

Termez. Située dans un coude de l’Amou-darya, la Termez antique s’étend sur 500 ha, au nord et à l’ouest de la ville moderne. Ses origines sont discutées : fut-elle fondée par Démétrios ou date-t-elle d’avant les Grecs326 ? La ville a été fouillée par les archéologues soviétiques avant et après la seconde guerre mondiale, puis par la MAFOuz créée en 1993. La région jouissait d’une certaine prospérité grâce à son agriculture dynamique, irriguée par un canal courant au nord et trouvant sa prise dans le Sourkhan darya, et à sa position de carrefour. L’ancienne Termez était répartie en trois ensembles de taille inégale : une ville haute constituée d’une citadelle, une ville basse, et des faubourgs, ces trois ensembles étant par ailleurs protégés par des fortifications. Les Grecs qui s’y installèrent, pour d’évidentes raisons stratégiques, n’ont fait qu’installer un poste de garde.

Les traces de l’occupation grecque n’ont été relevées que dans la citadelle, et encore de façon superficielle ; il est vrai que les couches de matériaux sont importantes, que l’occupation du site fut longue, mais P. Leriche écrit « … l’établissement grec, si clairement attesté dans la citadelle, était de dimensions réduites, même si l’occupation y était dense. Il s’agissait donc là probablement d’un poste militaire (phrourion), contrôlant la traversée du fleuve, et tenu par une garnison réduite, ou, à tout le moins, d’une colonie d’importance limitée »327 . L’étude des céramiques confirme le peu de présence grecque, J.B. Houal préférant simplement évoquer une influence hellénistique sur les découvertes archéologiques328 ; récemment enfin, le même chercheur précise : « La présence incontestable de formes gréco-bactriennes nous conduit à formuler deux hypothèses. Soit il existait une occupation gréco-bactrienne dans ce secteur mais celle-ci aurait été arasée à l’époque kouchane et seuls quelques tessons auraient subsisté. Soit, plus probablement, ce secteur de la citadelle n’avait été occupé que de manière sporadique durant cette période329

. » Enfin, les secteurs où la présence grecque est attestée n’ont pas présenté de traces de destruction ni

324

Voir dossier iconographique n°9.

325 La bibliographie est encore quasi inexistante sur cette ville : Zariaspa est citée dans les textes grecs, mais les

archéologues sont prudents et n’identifient pas encore ces fortifications avec le site antique, d’autant que l’identification et la localisation de Zariaspa posaient problème aux auteurs anciens eux-mêmes : s’agissait-il de Bactres, ou d’une autre ville ? ARRIEN, Anab. 4,1,5 ; 4,7,1 ; POLYBE 10,49 ; STRABON 11.11,2 ; PLINE HN 6,48 ; ARNAUD,2010.

326

Sur ce point, voir LERICHE,2001, p. 79-80 ; LERICHE,PIDAEV,2008 insistent par ailleurs sur le peuplement néolithique de la région, et le fait qu’Alexandre n’ait sans doute installé qu’une forteresse, ou seulement une garnison, sur place.

327

LERICHE,2001,p.94-95.

328

HOUAL, 2001, p. 139.

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d’incendie : Termez a-t-elle été abandonnée par les Grecs, à l’issue d’un combat en plaine, d’un siège, ou plus simplement d’un repli tactique vers l’autre rive de l’Amou-darya ? Pourtant, la citadelle était renforcée essentiellement au nord, et c’était bien de cette direction que le danger paraissait devoir venir ; mais les Grecs étaient-ils en assez grand nombre pour résister face à un adversaire nomade trop important pour une petite garnison ?330 La tactique des nomades pourrait avoir consisté en une lente et progressive submersion, à la faveur de leur supériorité démographique.

Quoi qu’il en soit, avec ces deux villes, nous sommes donc en présence de capitales régionales que les Grecs ne transformèrent pas ni ne modifièrent, se contentant de les reprendre et de les développer partiellement, éventuellement par des quartiers d’habitation (comme à Bactres) ce qui ne posait guère de problèmes d’urbanisme. Cette attitude dénote un manque de moyens, ou un manque d’ambition, ou un réel pragmatisme : les nouveaux maîtres de la Bactriane auraient utilisé les capacités urbaines antérieures qu’offraient les « capitales » provinciales achéménides, et auraient consacré plus d’efforts au développement des cités intermédiaires. Rien de tel avec Aï Khanoum, fruit d’une vision d’ensemble volontaire et monumentale, d’une perspective globale que seul un grand empire peut générer : les ambitieux Séleucides étaient pourvus, il est vrai, de moyens financiers hors de comparaison avec ceux dont disposaient les Gréco-Bactriens.