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Conventions orthographiques

A. K Narain le faisait remarquer dès les premières lignes de son livre The Indo Greeks Revisited and supplemented 48 : tout semble commencer avec Theophilus Bayer, en 1738, à

IV) Gouverner le royaume

IV.2.2 Corégence et filiation

Évoquée pour les souverains séleucides, la co-régence a été considérée par les historiens comme un système de gouvernement parfois appliqué en milieu séleucide. Le plus illustre exemple de cette pratique est sans doute la co-régence dont Séleucos gratifia son fils Antiochos Ier, pour des raisons romanesques et amoureuses si l’on en croit Plutarque, plus probablement en raison des difficultés que rencontrait Séleucos à gérer son royaume et dominer les peuples turbulents de l’est573

.

W.W. Tarn évoqua le premier la présence d’un co-régent en Bactriane auprès d’Euthydème, et fit le rapprochement avec les Parthes qui auraient, eux-aussi, suivi cet exemple ; la co-régence représentait alors un moyen facile d’expliquer la multiplicité de rois, l’abondance du monnayage en Asie grecque : « Undoubtedly he (Antimachus) was a sub- king under his father Euthydemus. The Seleucids had never employed a system of sub-kings of their own race when the heir-apparent governed the East he was in theory joint-king with his father of the whole kingdom and Babylon dated by the two jointly. Euthydemus

573 PLUTARQUE Dem., 38, 10-12 : « Ἐκ τούτου τὸ Σέλ υκο ἐκκλ σία ἀθροίσα τα πά δ ο ἰπ ῖ , ὅτ βούλ τα καὶ δ έγ ωκ τῶ ἄ ω πά τω τόπω Ἀ τίοχο ἀποδ ῖξα βασ λέα καὶ Στρατο ίκ βασ λίδα, ἀλλήλο ς συ ο κοῦ τας· οἴ σθα δὲ τὸ ὲ υἱὸ ἰθ σ έ ο ἅπα τα π ίθ σθα καὶ κατήκοο ὄ τα θὲ ἀ τ ρ ῖ αὐτῷ πρὸς τὸ γά ο · ἰ δ' ἡ γυ ὴ τῷ ὴ ο σ έ ῳ δυσκολαί ο , παρακαλ ῖ τοὺς φίλους, ὅπως δ δάσκωσ αὐτὴ καὶ π ίθωσ καλὰ καὶ δίκα α τὰ δοκοῦ τα βασ λ ῖ τὰ τοῦ συ φέρο τος ἡγ ῖσθα . Τὸ ὲ οὖ Ἀ τ όχου καὶ Στρατο ίκ ς γά ο ἐκ το αύτ ς γ έσθα προφάσ ως λέγουσ : « Là-dessus, Séleucos, réunissant une assemblée générale, déclara son intention et sa volonté de proclamer Antiochos roi et Statonice reine de tous les hauts pays, en les mariant ensemble. « Je pense, ajouta-t-il, que mon fils, accoutumé à m’écouter et à m’obéir en tout, ne fera pas objection à ce mariage, et, si ma femme répugne à cette union contraire à l’usage, je prie ses amis de lui faire comprendre et de la persuader qu’elle doit trouver beau, juste et utile ce que le roi estime tel. » Voilà, dit-on, quel fut le motif du mariage d’Antiochos et de Stratonice. » PLUTARQUE,Vies parallèles, traduction par R. Flacelière et É. Chambry. Le texte est intéressant, car pas un

instant Antiochos n’est présenté comme autonome, bien qu’on lui conférât la puissance royale. La mesure semble même d’une grande banalité. Pour une discussion sur les causes et la portée de cette nomination, voir WILL,1966,p. 88 et p. 268-271.

Ce système put connaître aussi quelques ratés, dont l’aventure de l’enfant-roi Antiochos est sans doute une preuve : LE RIDER, 1986, p. 412 : « La tablette cunéiforme publiée par Sachs et Wiseman nous apprend qu'entre le 23 octobre et le 20 novembre 175 Antiochos IV associa au trône son fils Antiochos et qu'il fit mettre à mort ce fils co-régent cinq ans plus tard, entre le 31 juillet et le 28 août 170. S'agit-il d'un fils par le sang qu'il aurait eu à Rome ou à Athènes ? En ce cas Antiochos IV aurait fait disparaître dès son arrivée à Antioche l'enfant-roi Antiochos, le fils de Séleucos IV. Mørkholm propose une autre possibilité : Antiochos IV, au moment de sa prise de pouvoir dans la capitale séleucide, aurait adopté et associé au trône son neveu l'enfant-roi et c'est ce fils adoptif, devenu peut-être « le point de ralliement d'une faction politique », qu'il aurait fait tuer en 170, préparant ainsi la succession de son propre fils, le futur Antiochos V, né probablement en 173. » ; mais l’exemple proposé par l’auteur est plus révélateur d’une succession préparée, avec association d’un enfant-roi au trône, que d’une véritable co-régence induisant un partage du pouvoir.

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introduced a new state-form, in which a younger son might rule a definite part of the realm not as joint-king or as satrap but as sub-king, with the right of coining. We shall meet many sub-kings again ; they explain that standing numismatic puzzle, the large number of kings in the early period »574. Un cas au moins semble donner raison à W.W. Tarn : si l’on croit Justin, Euthydème serait mort en campagne, tué par son fils avec lequel il aurait partagé l’exercice du pouvoir : « Unde (l'Inde) cum se reciperet, a filio quem socium regni fecerat in itinere interficitur »575. Hélas, que faut-il entendre par « socium regni » ? Nous ignorons dans quelles conditions, dans quelles proportions ce fils parricide pouvait être associé au pouvoir ; il n’y a, en tout cas pour l’instant, aucune monnaie à l’effigie de deux personnages, associés au droit ou au revers. Le cas du futur Démétrios Ier n’est guère plus déterminant : cité dans la dédicace à Hestia, il est gratifié d’une épithète, ce qui lui confère une importance indiscutable et laisse supposer une position officielle, un rôle dans la hiérarchie du pouvoir. Mais quel rôle : général de son père, héritier du trône en charge d’une sorte de cogestion des affaires du royaume ? La deuxième solution paraît peu compatible avec la personnalisation du pouvoir en Bactriane, et le culte royal qui entourait probablement le roi. La première solution paraît donc plus probable. A moins que nous admettions que le pouvoir personnel de Démétrios s’accommodait d’une zone d’influence personnelle qu’il aurait conquise à la pointe du glaive en Arachosie576, augmentant les terres paternelles tout en s’assurant un pouvoir de gestion à l’image du schéma que l’on observe dans le monde séleucide.

L. Capdetrey, plutôt que d’employer les termes de « vice-royauté »577 ou de co- régence, s’interroge sur les définitions et les frontières de la souveraineté en milieu séleucide578. L’empire séleucide, vaste et constitué de multiples peuples, fut en effet tout de suite confronté à l’existence des pouvoirs locaux et du pouvoir décentralisé, ne serait-ce qu’en raison de l’héritage achéménide qui avait su gérer avec efficacité cette réalité. Toutefois, L. Capdetrey rappelle que la conquête macédonienne s’effectua en s’inscrivant dans une rupture que l’on a parfois tendance, il est vrai, à minimiser : Alexandre était plus centralisateur, plus directement et personnellement impliqué dans les prises de décisions politiques que ne le fut sans doute Darius, héritier d’une système administratif et politique bien rodé. 574 TARN,1938,p. 90. 575 J USTIN XLI, 6, 5. 576

Sur Démétrios et l’Arachosie, voir la mise au point de BERNARD, PINAULT,ROUGEMONT, 2004, p. 346-351, et COLORU,2009, p. 176-184.

577

Expression employée par exemple par BERNARD, PINAULT,ROUGEMONT,2004, p.353.

578 C

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La seconde rupture avec les pratiques achéménides fut le fait d’imposer un pouvoir d’origine étrangère, grecque ou macédonienne, différent du pouvoir local qui était jadis une émanation des ethnies régionales. En Asie centrale, nous ne savons malheureusement pas de façon sûre quelle était l’origine des souverains : furent-ils Gréco-Bactriens ? Bactriens hellénisés ? Macédoniens ? Grecs d’Asie Mineure ? Cette dernière solution fut avancée pour Eucratide Ier, quant à Ménandre Ier, A. Foucher le voulait natif d’Asie, et G. Fusmann pense le faire naître à Alexandrie d’Égypte, hypothèse envisageable si l’on songe aux flux migratoires, commerciaux ou encore professionnels dans le cas des mercenaires grecs de l’Antiquité579

. On peut penser logiquement que les souverains à partir du milieu du IIème siècle, ceux notamment qui furent coupés du monde grec occidental par l’expansion parthe et la perte de la Bactriane sous les coups des nomades, ont été des Grecs d’Asie centrale, mais Diodote, le premier de tous, aurait très bien pu être nommé par le pouvoir séleucide. Cette réalité ethnique se révéla grosse de conflits, de révoltes et de tentatives d’affranchissement politique, dans le monde séleucide ; on peut raisonnablement envisager que le statut d’étrangers à l’Asie centrale pour certains des premiers rois, puis celui de natifs d’Asie pour certains des derniers, serait une des causes de la multiplication des rois et des éventuelles querelles entre Grecs580.

La progressive émancipation de Diodote Ier montre que les satrapes ou les dynastes régionaux disposaient d’une marge d’autonomie considérable, tout en restant, bien sûr, dans les limites d’une soumission au pouvoir supérieur. Diodote Ier

, gouverneur de Bactriane et d’une partie de la Margiane n’a en effet pas affirmé d’emblée et brutalement sa rupture avec le pouvoir séleucide ; ce processus évolutif a commencé dans les années 250 avant notre ère, et la numismatique nous en montre les étapes : le monnayage garda le type séleucide avec le portrait royal d’Antiochos II au droit et Apollon sur l’omphalos au revers ; puis le portrait d’Antiochos fut remplacé par celui de Diodote, et Zeus fut gravé au revers avec le nom d’Antiochos ; enfin, sans doute vers 238, le nom d’Antiochos disparaît des monnaies. Ce processus subtil fut délicat et lent, et à rapprocher de la façon, dont les Attalides

579 F

USSMAN,1993,p. 80-81.

580

Cependant, une question qui ne peut malheureusement être tranchée ici, mais qui mériterait une étude approfondie, doit être posée : de tous les rois dont la numismatique nous a donné les noms, quels sont ceux pour lesquels on pourrait émettre une hypothèse non belliqueuse ? En effet, influencés par la réputation violente que les rares textes de l’antiquité nous ont léguée sur les rois grecs d’Asie, les numismates me semblent réagir à une sorte d’automatisme conflictuel qui les fait systématiquement envisager l’hypothèse d’une guerre. Or, quand JUSTIN XLI, 6, par exemple, évoque les guerres incessantes des Bactriens, il évoque seulement des conflits avec les peuples voisins, notamment nomades. On peut raisonnablement penser qu’il y eut des guerres ou des faits de violence entre Grecs d’Asie, pour s’affranchir de la tutelle séleucide, pour renverser la dynastie des Diodotes, faire disparaître Eucratide, mais n’a-t-on pas tendance à généraliser et trop souvent choisir l’hypothèse de la guerre ?

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s’affranchirent, à la même époque, de la tutelle séleucide581

. Comme le fait remarquer L. Capdetrey, la coexistence, entre 250 et 238 de deux pouvoirs, d’un pouvoir séleucide et d’une légitimité bactrienne de facto qui se voudra de jure par la suite, révèle qu’il n’y eut pas de conflit ouvert entre le monde bactrien et le monde séleucide. Mais on peut ajouter à bon droit que cette constatation révèle aussi combien les autorités locales pouvaient disposer de marge d’autonomie, de liberté de manœuvre dans l’univers séleucide. En d’autres termes, il est douteux que seules les monnaies aient pu montrer que le pouvoir gréco-bactrien s’affirmait autonome : les monnaies sont un symbole révélateur d’une étape déjà franchie, sans que le pouvoir supérieur ait voulu ou pu intervenir, ou encore considérer qu’il fallait intervenir, si les tributs rentraient. Les souverains séleucides savaient se révéler souples en matière de souveraineté : Antiochos III exigera des éléphants pour solde de tout compte après sa campagne bactrienne, et une reconnaissance diplomatique de sa prééminence ; il est probable que les souverains séleucides du IIème siècle auront perçu les monnayages commémoratifs d’Antimaque Ier et Agathocle au nom d’Antiochos II comme des marques d’hommage et une

reconnaissance de l’influence séleucide sur la Bactriane.

Dans ces conditions, un partage du pouvoir est envisageable, avec un fils ou un dynaste local. Faut-il rappeler la géographie physique de l’Afghanistan582, de l’Ouzbékistan partagé entre montagnes et déserts, du nord du Pakistan relié à l’Afghanistan, hier comme aujourd’hui, par une seule passe 583

? Une répartition du pouvoir sur le territoire pouvait s’expliquer aussi par les difficultés à gérer un espace scindé ou parcellisé par des vallées que fermaient gorges et obstacles naturels584. Les numismates considèrent désormais que les noms suivants peuvent être associés, sans que nous sachions dans quelles proportions le pouvoir fut partagé entre eux : Diodote Ier et Diodote II585, Euthydème Ier et Démétrios Ier, Antimaque Theos et Antimaque Nikephoros, Eucratide et sans doute Hélioclès. Qu’en est-il des derniers souverains indo-grecs ? Ces souverains se chevauchent, sont présumés rivaux sans que nous

581 M

ARTINEZ-SEVE, 2012a, p.228.

582 Voir dossier iconographique n° 1 et 5, pour une présentation de la géographie physique de la région. 583

C’est la fameuse « Khyber pass » : la première route date de 1879, et la voie de chemin de fer construite par les Anglais au début du XXème siècle nécessita le percement de 34 tunnels et l’installation de 92 ponts.

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L’ethnologue P. Centlivres, par exemple, décrit ainsi la vallée de Bamiyan : « Il est vrai que les routes et les cols qui mènent à cette haute vallée de l’Hindou-Kouch sise au cœur de l’Afghanistan, à 2500 mètres d’altitude environ, sont redoutables, et par leur tracé parfois étroit et sinueux, et par les conditions climatiques qui règnent à 3000 mètres. Les villages Hazaras, dont Bâmiyân est le marché, sont souvent bloqués par la neige six mois par an. Les espaces irrigables sont rares et le blé ne peut être semé qu’au printemps, avec une récolte en arrière-automne avant les premières neiges. » CENTLIVRES,2001, p. 88.

585 Rappelons toutefois que les monnaies ne présentent bien sûr aucune indication d’ordre, ni même

d’indication dynastique comparable à celle que les Romains utilisèrent : les ordres sont le fruit des travaux et des comparaisons numismatiques, qui donnent souvent matière à controverses, voir par exemple HOLT,2000, p. 81-91.

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ayons de certitude à ce sujet. Nous n’avons que des hypothèses numismatiques, en l’absence de découvertes archéologiques ou épigraphiques qui viendraient les conforter.

Ce n’est donc pas grâce à ces tout derniers souverains que nous pouvons envisager la naissance et la persistance d’une idée dynastique en Bactriane et en Inde. Celle-ci fut cependant manifeste comme le prouvent la diffusion des portraits royaux, l’élaboration d’un culte royal, l’affirmation de certaines filiations (comme sur les monnaies d’Agathocléia, veuve de Ménandre Ier et probable régente de Straton Ier), le rappel idéologique du lien avec Alexandre.

L’idée dynastique de ces rois est à concevoir d’abord comme une conséquence assumée de la conquête d’Alexandre. A l’instar des autres dynasties hellénistiques, les Gréco- Bactriens et Indo-Grecs appartenaient à la sphère des épigones du Macédonien, comme ils revendiquaient une identité de civilisation avec ceux qui, comme eux, vivaient dans la langue et la culture grecque. N’y voyons pas que de la nostalgie, ils pensaient retirer, avec ce rappel de l’Histoire et de la civilisation, prestige et légitimité.

Une légitimité idéologique, qui dans leur esprit pouvait suppléer à leur absence de légitimité familiale. Cette dernière leur manqua en effet cruellement, ou se révéla illusoire. Seuls quatre souverains ébauchèrent un début de dynastie familiale : Diodote, Euthydème, Eucratide et Ménandre. Le nombre lui-même est une indication de l’échec de ces rois : leur filiation s’interrompit très vite, à la troisième génération probablement, car chacun trouva sur son chemin au moins un rival qui s’installa sur le trône ou dans une partie d’un territoire trop vaste pour être partout efficacement contrôlé.

Il est tentant cependant de voir dans les émissions monétaires commémoratives les preuves d’une filiation dynastique plus longue. Mais ces frappes furent surtout une habile manœuvre politique visant à s’inventer a posteriori une ascendance illustre. Le plus sincère fut sans doute Eucratide Ier, qui honora ses parents par des frappes commémoratives. Cet exemple relève de la piété filiale autant que de la manœuvre politique ; mais qui fut dupe, puisque ses parents n’étaient pas rois ni même représentés avec les attributs des rois ? En 174/175, des deux côtés de l’Hindou Kouch, Antimaque Ier

et Agathocle entrèrent dans une concurrence qui transparaît dans les frappes monétaires. On ne sait pas précisément comment ces deux rois accédèrent au pouvoir, alors qu’ils n’étaient pas apparentés à Euthydème. C. Rapin analyse avec pertinence les prétentions politiques correspondant à la frappe des monnayages commémoratifs voulus par les deux souverains : « En adoptant le titre de Théos à l'exemple d'Antiochos IV, Antimaque se rattache d'une certaine manière aux Séleucides. Mais

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en commémorant Diodote Ier et Euthydème Ier par le monnayage, il invoque surtout les héros des révoltes bactriennes, créateurs des ères antérieures et donc fondateurs directs du royaume gréco-bactrien. De son côté, Agathocle réplique par une surenchère d'émissions dédiées à Alexandre le Grand, Antiochos II, Diodote Ier, Diodote II, Euthydème Ier, Démétrios Ier et Pantaléon. Il s'attribue ainsi une généalogie regroupant presque tous les souverains impliqués dans le passé de l'Extrême-Orient grec, revendiquant même sa place dans l'histoire de la conquête de l'Inde (Alexandre, Démétrios I et Pantaléon). »586

Si les tentatives familiales furent vaines, ruinées par les appétits de rivaux ambitieux, il n’en reste pas moins que dans cette volonté dynastique les rois Grecs d’Asie se montrèrent, une fois encore, similaires aux autres souverains hellénistiques.