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PARTIE 2 : L’ACCROCHAGE SCOLAIRE DES ENFANTS CONFIES A UNE FAMILLE

1. Une scolarité jalonnée de quelques obstacles

1.2. Une scolarisation en classe spéciale limitée

Parmi les trente personnes rencontrées au cours de notre travail de recherche, cinq ont été scolarisées en classe spécialisée ce qui est relativement peu au regard du nombre d’enfants placés qui fréquentent habituellement ces dispositifs (Corbillon et al., 1997 ; Dumaret & Ruffin, 1999 ; Sellenet, 1999 ; Verdier., 2004). Parmi ces jeunes, nous comptons quatre filles et un garçon. Les classes fréquentées sont une classe SEGPA pour une personne, une classe de quatrième à effectif réduit pour une personne et une classe de troisième Découverte Professionnelle 6 heures (DP6) pour trois personnes.

Ces classes, aux noms différents selon les années, ont été expérimentées dès 1984 et ont été généralisées à la rentrée 1987. Si au départ, elles n’étaient pas nécessairement conçues pour l’accueil d’élèves en difficultés, elles ont rapidement endossé ce rôle au point d’avoir comme objectif principal, l’intégration d’élèves considérés comme étant en difficultés scolaires suffisamment importantes pour ne pas pouvoir suivre un cursus scolaire dans une classe classique. Outre, l’effectif réduit de ces classes, un enseignement adapté et une orientation professionnelle vont de pairs. Pourtant, si dans l’esprit, ces classes affichent la volonté d’accompagner les enfants vers une meilleure réussite scolaire, dans les faits, le constat n’est pas aussi évident et depuis leur origine, elles sont déclassées sur l'échelle de la hiérarchie scolaire (Taraud & al., 2015). La disqualification et la stigmatisation des élèves qui y sont

scolarisés, qu’elle soit de la part des enseignants ou des pairs, entraîne souvent une souffrance et une baisse d’estime de soi chez l’enfant, voire une situation de décrochage scolaire chez l’élève (Blaya, 2010).

J3 : « Côté mauvais souvenirs je me souviens qu’au collège, j’étais dans une classe on va dire, à effectif réduit, qui, qui avait pour ambition de regrouper les élèves qui étaient en difficultés…

Chercheur : Oui… C’était ton cas ?

J3 : C’était mon cas ! Enfin, je suis tombé dans cette école oui, je pense parce que j’avais des difficultés…

Chercheur : Dans cette classe tu veux dire ?

J3 : Oui pardon, dans cette classe ! Euh, parce que bon, à ce moment-là je préférais plus le sport que l’école et euh…, et donc ça c’était fait en cinquième il me semble, cinquième, quatrième et à ce moment-là, certains profs m’ont rabâché et ont cessé de nous rabâcher que pour nous le mieux, c’était de passer par une filière, pas généraliste, donc soit faire une quatrième PVP ou je sais plus comment ça s’appelle exactement, ou passer par un BEP, ce genre de choses, et euh…, et moi j’ai décidé de continuer, donc j’étais le…, j’étais pas un mauvais…, un mauvais élève hein ! C’était,… Je fournissais le minimum et j’étais, pas un des meilleurs de la classe mais j’étais pas loin ! Deuxième ou troisième mais bon c’était aux alentours de douze de moyenne ; c’était pas…, c’était pas super mais bon, j’ai souhaité continuer et pour mémoire on était, on devait être une vingtaine d’élèves dans la classe et je crois qu’on était peut-être trois ou quatre à partir en troisième. (Abdel, confié à la même famille d’accueil de six à vingt et un ans).

Nous constatons que quatre des cinq enfants ayant fréquenté une classe adaptée ont vécu plusieurs lieux de placements et ont notamment été confiés en foyer durant quelques mois à quelques années ce qui pourrait laisser entendre que l’instabilité du lieu de vie des enfants placés est un facteur de risque quant à la fréquentation de classes spécialisées. Cependant, notre échantillon est trop peu important pour pouvoir confirmer ce postulat que nous laisserons donc au stade d’hypothèse. Or, si les lieux de placement des enfants sont multiples, nous constatons par ailleurs que ces élèves n’avaient redoublé qu’une seule classe et n’avaient par conséquent qu’une année de retard au moment de l’orientation en classe adaptée. Les classes redoublées ont été pour deux personnes une classe de primaire, pour deux personnes la classe de sixième et pour une personne la classe de quatrième. Le redoublement d’au moins une classe au primaire ou au collège semble être un facteur de risque d’orientation des enfants confiés vers une classe spéciale dans la mesure où des chercheurs démontrent depuis les années 1990 (Jackson, 1994 ; Potin, 2007 ; Sellenet, 1999) que les enseignants ont des attentes scolaires moins élevées envers les enfants placés qu’envers les autres enfants. Ainsi, en comparaison aux autres jeunes scolarisés et avec le même retard scolaire, les enseignants orienteraient davantage les enfants confiés vers les classes de relégation car moins confiants et

Conscientes de la signification qu’une orientation en classe spéciale entraîne chez le jeune confié, en termes de stigmate d’une part, mais aussi de faibles débouchés scolaires d’autre part, les assistantes familiales, sont quant à elles, souvent réticentes à l’orientation vers ces classes spécialisées qu’elles essaient de freiner. Une assistante familiale nous a raconté comment s’est passée la décision d’orienter, vers une classe adaptée, une jeune fille qu’elle accueille au moment de notre entretien.

Mme E : « On a réfléchit à un moment [avec l’éducatrice], quand ils lui ont parlé à l’école de sortir de la troisième normale, et de partir sur une prépa pro, sur une troisième prépa pro avec… Moi j’ai dit : « Non ! Non ! Elle a peut-être quelque chose encore à tirer encore ! ». Et on s’est rangées, et l’éducatrice était d’accord avec moi ! Elle disait : « Oui, c’est vrai, après tout, pourquoi déjà la réorienter, c’est dommage ! », enfin, pas la réorienter mais partir sur quelque chose qui va à un moment, lui fermer des portes ! Obligatoirement ! Donc on se disait : « Elle est tellement volontaire, elle est… ». Et puis après, on a réfléchi et ça lui a été expliqué comme ça à [Prénom de l’éducatrice] donc qui était son éducatrice à ce moment-là et elle me l’a expliqué ! Elle m’a dit : « Vous savez Mme E, je pense qu’effectivement on devrait se ranger à cet avis-là, parce que autrement, on va la confronter peut-être à un échec ! Et que peut-être ça sera pas bon pour elle, et que peut-être, ça va lui demander tellement d’efforts, et tellement de trucs qui pfft, ne seront pas payés en retour, que peut-être c’est pas utile ! ». (Famille d’accueil n°5, a accueilli Laetitia durant six ans et Maxime durant deux ans).

A travers ce témoignage, nous voyons que certaines assistantes familiales sont conscientes des conséquences scolaires négatives que l’intégration dans une classe adaptée peut avoir pour l’enfant confié. Elles essaient donc d’empêcher et/ou de retarder cette orientation même si en définitive, elles ne sont pas maîtresses de la décision finale. Sur l’hypothèse selon laquelle « peut-être » ces enfants auraient moins de chances de réussir à l’école que les autres, ils se retrouvent donc davantage orientés vers des filières à faibles débouchés qu’ils n’ont pour la majorité pas souhaitées.

Nous constatons ainsi que le chemin vers l’obtention du baccalauréat n’a pas été un long fleuve tranquille pour tous les jeunes de notre échantillon et que la plupart d’entre eux ont connu des périodes de difficultés scolaires qui ont entraîné un ou plusieurs redoublements, voire pour certains, une orientation en classe spécialisée.

Conclusion :

Malgré quelques caractéristiques communes repérées dans le parcours scolaire des enfants confiés à l’ASE, il semble que les jeunes de notre échantillon aient vécu une scolarité assez proche de celles des élèves de la population générale. Le nombre de redoublements, certes plus important que celui des autres élèves de la population générale s’explique par la présence de multiples facteurs de risque dans leur parcours de vie. Or, à résultats scolaires

comparables, les décisions de redoublements prises par les enseignants sont influencées selon les caractéristiques socio-économiques des familles et leur capacité supposée à soutenir l’élève dans son travail scolaire l’année suivante (Duru-Bellat, 1988 ; Terrail, 2002). Cependant, concernant les enfants placés, les enseignants ne seraient pas les seuls à blâmer puisque selon Berger (2003), de nombreux intervenants considèrent les redoublements répétés et l’orientation vers une éducation spécialisée comme une « fatalité » (p.166).

Ainsi aux difficultés personnelles et familiales présentes en amont du placement, des difficultés directement liées à la prise en charge par l’ASE, comme notamment la multiplicité des placements, viennent augmenter les risques de difficultés et de retards scolaires mais aussi, par ricochet, d’orientations subies vers des classes dites de relégation. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, nombreux sont les enfants confiés aux services de l’ASE à être orientés vers des classes spéciales. Or, concernant les jeunes rencontrés dans le cadre de notre recherche, il semble en revanche que la scolarité en classe spéciale de type SEGPA ou DP6 ne soit pas plus marquée pour ces jeunes que pour le reste de la population ce qui laisse envisager une adaptation relativement bonne au placement. En effet, malgré des retards scolaires plus importants que dans la moyenne générale, ces jeunes n’ont pas massivement été orientés vers des classes de relégation et sont semble-t-il parvenus à « rattraper » leur retard et à poursuivre une scolarité en cursus normal.

2. Un niveau Bac et même plus…

Pour la première fois en 2012, l’objectif affiché par Jean-Pierre Chevènement près de trente ans plus tôt, de mener 80% d’une génération au niveau du Baccalauréat, devenait réalité (Le Monde, 13/07/2012). Le poids de cette annonce faîte en 1985 par l’ancien ministre a participé au fait de rendre ce diplôme comme un repère prédominant en matière d’éducation (Hanchane et Verdier E., 2003). Selon Boudesseul et Grelet, « les diplômes sont des titres qui enregistrent la conformité à un ensemble de normes scolaires, […] ils sont investis de jugements de valeurs, d’aspirations sociales et de considérations symboliques ayant trait à la position à laquelle chacun estime juste de pouvoir accéder » (Boudesseul & Grelet, 2010, p.76). Considéré à la fois comme un sésame mais aussi et surtout comme un pallier indispensable à la poursuite d’études supérieures, les jeunes confiés aux services de l’ASE espèrent comme beaucoup de jeunes scolarisés, obtenir ce diplôme.

Toutes les personnes rencontrées dans le cadre de ce travail de recherche ont atteint, a

minima, un niveau baccalauréat. Pourtant si le niveau d’études minimum atteint par ces jeunes

est commun, le type de baccalauréat et parfois, le chemin parcouru pour y accéder s’avère différent selon les personnes. Ainsi, parmi les trente personnes que nous avons rencontrées, quatorze ont un niveau Baccalauréat Général, dix ont un niveau Baccalauréat Professionnel, quatre ont un niveau Baccalauréat Technologique et deux ont obtenu une équivalence au Baccalauréat Général option Littéraire grâce au Diplôme d’Accès aux Etudes Universitaires (DAEU).

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