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Chapitre 3 : La scolarité des enfants confiés à une famille d’accueil : Du décrochage scolaire à

1. Une scolarité semée d’embuches

1.1. Des difficultés et des retards scolaires importants

D’après une enquête de l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) réalisée en 2004 auprès de jeunes âgés de quatorze à vingt ans pris en charge par la PJJ, le taux de scolarisation des élèves âgées de quatorze à quinze ans est élevé (91%). Cependant, ce taux diminue rapidement avec l'avancée en âge puisque les chercheurs estiment l’âge moyen d’arrêt de la scolarité à 15,3 ans pour les garçons et 15,9 ans pour les filles portant ainsi le taux de jeunes non scolarisés à 56% de la population étudiée. Une récente étude de Daniel Rousseau (2016) menée à partir d’une cohorte de 129 enfants placés à l’ASE de Maine et Loire avant l’âge de quatre ans précise, que « 36 enfants ont été déscolarisés à un moment de leur parcours » (p.359). Ainsi, nous constatons que la majorité des jeunes pris en charge par l’ASE sont scolarisés jusqu’à la limite d’âge obligatoire soit seize ans, et que passé ce cap, ils sont nombreux à se détourner des études puisqu‘aucune obligation l’égale ne les contraint à poursuivre leur scolarité. Par ailleurs, les périodes de déscolarisation sont fréquentes chez ces enfants ce qui tend à accentuer les difficultés scolaires et le risque de décrochage.

Une étude plus récente portant sur la santé des enfants accueillis par la protection de l’enfance (ONED, 2010) s’est penchée sur la scolarité de 288 jeunes âgés de quatre à dix-huit ans. Parmi eux, 114 sont confiés à des familles d’accueils et 174 à des établissements. Les chercheurs ont mis en évidence des différences dans le profil des enfants selon le mode d’accueil. Ainsi, si aucun enfant confié à une famille d’accueil n’est déscolarisé, ils sont 14,9% à l’être en établissement. A cet égard, nous nous demandons si ce constat est dû au fait que la famille d’accueil protège davantage les enfants de la déscolarisation ou alors, si le profil des enfants confiés aux familles d’accueil est davantage en adéquation avec les attentes du système scolaire que le profil des jeunes vivant en établissement. Le peu de recherches sur le sujet ne nous permet pas pour le moment de donner un avis sur cette question. Cependant, être scolarisé n’exclut pas d’être en difficultés scolaires, dès le plus jeune âge parfois, ce qui est le cas de beaucoup d’enfants confiés à des familles d’accueil. Dans une étude réalisée en 2013 sur le risque de décrochage scolaire des enfants confiés à l’ASE en établissement, Denecheau et Blaya (2013), soulignent que les professionnels travaillant auprès de ces jeunes « évoquent des difficultés d'apprentissage, de compréhension, d'imagination, ou encore des retards en lecture, en écriture ou en mathématiques » (Denecheau & Blaya, 2013, p.57). Ces difficultés scolaires trouvent leurs racines dès le plus jeune âge et ont pour conséquences « un niveau de réussite moindre, avec un décrochage progressif, relativement modéré dans les petites classes et plus important pour les enfants fréquentant le collège » (Dumaret & Ruffin, 1999, p.19). Ainsi, Sellenet (1999), qui s’est intéressée au parcours scolaire de 504 jeunes d’un même département, confiés à des familles d’accueils a fait le constat que si aucun redoublement n’est à noter parmi les enfants scolarisés en maternelle, il ressort déjà des difficultés signalées pour certains d’entre eux. Ces difficultés sont essentiellement d’ordre comportemental, et se traduisent par de « l’instabilité en tant qu’elle invalide les apprentissages de type préscolaire [et de] l’agressivité comme obstacle à la socialisation » (Sellenet, 1999, p.31). Ainsi, d’après une étude réalisée à partir d’une cohorte de 541 jeunes placés dans le département des Yvelines (Fiacre & al., 2003), 40% des enfants de l’échantillon rencontrent des difficultés scolaires et d’après les adultes qui s’occupent de ces jeunes, parmi les adolescents âgés de quatorze à quinze ans en difficulté scolaire, il y a davantage d’enfants confiés à des établissements (39%) qu’à des familles d’accueil (18%) (CAREPS, 2003).

l’accrochage scolaire des jeunes

Cependant, les enfants confiés à des familles d’accueils sont plus souvent « en retard » scolaire en comparaison avec leur classe d’âge. Ainsi, Dumaret et Ruffin (1999), s’appuyant sur leur échantillon d’enfants confiés à des familles d’accueil précisent qu’environ 40% des enfants scolarisés à l’admission à l’ASE sont en retard. Parmi eux, un tiers ont redoublé ce qui signifie que le retard scolaire n’est pas nécessairement dû à un redoublement mais peut s’expliquer par une entrée tardive à l’école maternelle. Rappelons que l’école en France n’est pas obligatoire avant l’âge de six ans mais que plus de 98% des enfants de trois ans sont scolarisés en 2012 (OCDE, 2014). Par conséquent, les enfants non scolarisés avant l’âge de six ans sont rares et peuvent débuter leur scolarité en enregistrant un retard d’apprentissage avec leur groupe de pairs ce qui peut nécessiter une scolarisation au niveau inférieur par rapport à leur classe d’âge ou un maintien en maternelle qui ne s’apparente pas stricto sensu à un redoublement. Une étude réalisée pour l’INSERM par Choquet, Hassler et Morin en 2004 constate également que comparés à une population générale scolarisée, les jeunes présents dans la population enquêtée et qui sont scolarisés, se caractérisent par un fort retard scolaire et une mauvaise intégration scolaire (absences non justifiées, rejet de l’école). Un rapport de Corbillon et ses collaborateurs (1997) sur le devenir de jeunes placés dans une maison d’enfants avait déjà pointé le nombre de retards scolaires fréquents chez ces enfants. Ainsi, sur l’échantillon étudié en 1997, un jeune sur quatre était scolarisé dans une classe correspondant à l'âge "normal", 19% avait une année de retard, 42% avaient deux années et 14% au moins trois années. Ce constat est toujours d’actualité en 2010 puisque d’après l’enquête réalisée par l’ONED, 29,8% des enfants confiés à une famille d’accueil et 59,7% de ceux confiés à un établissement ont redoublé au moins une classe. L’étude précise alors qu’en comparaison, 38% des jeunes âgés de quinze ans ont un an de retard. Par conséquent, il semble que les jeunes confiés à une famille d’accueil soient davantage protégés des redoublements en comparaison avec les autres jeunes du même âge et surtout avec ceux qui sont confiés à un établissement où le taux de redoublement est presque le double.

Or, à niveau de compétence égal, les élèves en retard dans leur cursus scolaire, seraient « triplement pénalisés » car ils sont sous-notés par leurs professeurs, moins ambitieux et moins souvent orientés en filière générale (Cosnefroy & Rocher T., 2005). Par ailleurs, nombreux sont les chercheurs (Grisay, 1983 ; Seibel et Levasseur, 1983) qui ont montré l’inefficacité du redoublement notamment quand celui-ci est pratiqué précocement (Caille, 2004) ce qui est souvent le cas pour les enfants confiés à l’ASE comme le signale Sellenet

« Plus des deux tiers des redoublements des enfants placés ont pour cadre la scolarité primaire » et que « le cours préparatoire provoque à lui seul une véritable hécatombe chez les enfants placés, un tiers des redoublements [31,5%] lui est imputable, ce qui est beaucoup plus que la moyenne nationale (8%) » (Sellenet, 1999, p.33).

Or, le cours préparatoire est un véritable pallier qui sépare l’école maternelle, sorte de monde protégé, non dépourvu d’apprentissages précoces, mais néanmoins informels et celui de l’élémentaire avec son cadre d’apprentissage plus stricte et les premières évaluations obligatoires notamment en termes de lecture, écriture et mathématiques. La relation avec l’enseignant évolue et d’une pédagogie davantage centrée sur le rythme des enfants, l’élève doit s’adapter à une pédagogie de groupe. Or, Sellenet (1999) précise que la plupart des enfants placés sont extrêmement vulnérables et sensibles au contexte scolaire, voyant leurs performances fluctuer au gré de la relation qu’ils entretiennent avec l’enseignant d’où la difficulté à s’adapter au cours préparatoire qui nécessiterait une pédagogie plus individualisée.

Pourtant, s’il est certain que les jeunes confiés à l’ASE sont plus enclin à rencontrer des difficultés et des retards scolaires par leur parcours de vie chaotique, il se peut que ces difficultés soient aussi accentuées par leur étiquette d’« enfant placé ».

1.2. De la stigmatisation en milieu scolaire à l’orientation par

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