• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : Elaboration de la recherche

6. Le positionnement du chercheur

En tant que doctorante travaillant sur sa thèse, cette recherche m’a26 certes, demandée énormément d’implication personnelle, mais elle m’a aussi obligé à prendre du recul en cherchant constamment à rester objective dans mes propos face à un contexte de vie que je connais bien.

En effet, ayant moi-même vécue au sein d’une famille d’accueil (ma mère était assistante familiale), nous avons accueilli à notre domicile une quinzaine d’enfants âgés de deux mois à vingt ans durant près de quinze ans soit la quasi-totalité de mon enfance et adolescence. Il

26 L’emploi du « me » et du « je » dans cette partie se substitue au « nous » de modestie, car il a fallu que je me

questionne personnellement sur ma proximité avec l'objet de recherche afin d’une part, de me positionner en tant que chercheure, et d’autre part, être particulièrement attentive à la méthodologie nécessaire à ce travail et à l’éthique professionnelle du chercheur en sciences sociales.

s’agit donc d’un contexte de vie qui m’est familier et qui a suscité un vif intérêt de ma part et une motivation sans faille tout au long de ce travail. J’ai en effet pu, durant plusieurs années, vivre de l’intérieur, au contact de tous ces jeunes « placés », consciente de leurs différences et de leurs difficultés mais aussi et surtout de leur normalité et de leurs capacités. Différences, quant au fait qu’ils vivaient dans ma famille sans pour autant, faire partie de la famille, et « normalité » car pour moi, ils ont certes grandi avec des difficultés mais aussi et surtout avec des capacités qui ne les rendaient pas si différents de nous (mes sœurs et moi-même).

Mon expérience personnelle, riche de plusieurs années d’observation m’a permis de constater que les jeunes que nous accueillions rencontraient de nombreuses difficultés scolaires ce que j’ai pu vérifier au cours de périodes d’immersion en milieu professionnel en MECS et en service d’accueil familial. La problématique du décrochage scolaire m’intéressant, j’ai choisi de traiter de cette question dans mon mémoire de Master, faisant alors l’hypothèse que le contexte familial, scolaire et institutionnel dans lequel évoluent les jeunes placés, participe de manière transversale au risque de décrochage scolaire de ces jeunes. Cependant, et comme précisé précédemment dans ce travail, les rares études réalisées sur le public des jeunes confiés à la protection de l’enfance ayant tendance à mettre l’accent sur les difficultés de ces jeunes plutôt que sur leurs capacités, j’ai choisi d’inverser la focale dans ce travail de recherche.

Témoin de l’incroyable force de caractère de certains enfants mettant en avant leur volonté de s’accrocher à la vie malgré l’adversité et partant d’un principe de vie personnel tendant à penser qu’il vaut mieux toujours tenter de positiver les choses plutôt que de mettre en lumière l’aspect négatif, j’ai choisi, dans ce travail de thèse, de m’intéresser aux jeunes qui se sont accrochés à l’école malgré les multiples difficultés rencontrées et de chercher à en comprendre les raisons.

Ma connaissance personnelle et intime du sujet a certes été un avantage notamment pour comprendre rapidement le secteur de la protection de l’enfance et plus précisément celui de l’accueil familial, mais elle m’a également servi de garde-fou tout au long de ce travail craignant à chaque moment de laisser ma subjectivité l’emporter sur l’objectivité nécessaire à tout chercheur. Pour cela, j’ai appliqué plusieurs principes et en premier lieu, ceux mis en avant par les fondateurs de l’entretien appliqué à l’enquête (Roethlisberger et Dickson, 1943) qui insistent précisément sur l’attitude générale de l’enquêteur.

« Ce dernier devait être patient, bienveillant, parfois intelligemment critique, non autoritaire ; il ne devait pas conseiller, juger, ni discuter avec l’interviewé. Il devait intervenir pour aider l’interviewé à parler, soulager ses inquiétudes, encourager un compte-rendu fidèle et précis de ses pensées et sentiments, aiguiller le discours sur les points oubliés ou négligés, évoquer si cela est nécessaire l’émergence de l’implicite » (Blanchet & Gotman, 1992, p.67).

Autrement dit, j’ai dû en permanence tenter de garder une posture de neutralité et d’objectivité face à un sujet pour lequel j’avais d’ores et déjà des préjugés. Préjugés qui pour certains, se sont effondrés au fur et à mesure de mon enquête, tandis que d’autres ont été confirmés, mais qui m’ont tous conforté dans l’idée qu’il était essentiel de poser un regard nouveau sur ce sujet. Cependant, la crainte du manque d’objectivité que je pouvais avoir au début de cette recherche quant à la connaissance personnelle que je pouvais avoir de ce sujet, s’est effacée au fur et à mesure de mon cheminement se transformant au contraire en force rejoignant ainsi le point de vue de Blumer (1969) qui critique les chercheurs en sciences sociales qui ne connaissent leur sujet d’étude et les personnes qui s’y raccrochent, que par la théorie et les réponses fournies à des questionnaires. Je pense alors que dans la présente recherche, ma « sensibilité expérientielle » (Macé, 2014) résultant de mon vécu personnel complémente mes connaissances théoriques ce qui, selon moi, enrichit le présent travail. Par ailleurs, en tant que chercheuse qui s’intéresse à l’histoire de vie des personnes et sollicitant directement leur participation, j’ai dû être vigilante à des règles précises d’éthique et de déontologie que je m’étais fixées préalablement à ce travail de recherche. En effet, il a en premier lieu été évident pour moi d’appliquer et de respecter les règles de confidentialité et d’anonymat de toutes les informations recueillies au cours de cette recherche, qu’elles aient été entendues, comprises, lues ou vues par moi-même, et ce, au-delà du moment stricto sensu de l’entretien. Ainsi, les prénoms et noms ont été modifiés, tout comme les lieux. J’ai également été vigilante à ce que personne ne puisse être identifié de façon indirecte en regroupant des informations (âge, sexe, situations).

Dans le même esprit, j’ai été vigilante à la façon dont j’ai pris contact avec les personnes que je souhaitais rencontrer en m’assurant de ne m’adresser qu’à elle et non pas à un membre de leur famille par exemple afin de respecter le droit à l’oubli de certaines personnes qui pourraient ne pas avoir communiqué d’informations sur leur passé à leurs proches. Dans la même idée, lorsque les entretiens ont eu lieu dans un lieu différent du domicile des personnes ou de leur famille d’accueil, je n’ai, à aucun moment précisé le sujet de ma recherche et je me

suis contentée d’expliquer, quand cela était nécessaire comme au moment de réserver une salle dans une bibliothèque, que j’avais besoin d’un endroit calme afin de m’entretenir avec une personne dans le cadre d’une thèse de doctorat.

Au moment des entretiens, avant de lancer l’enregistrement et après la fin de de l’entretien, j’ai informé les personnes de la protection et de l’anonymat de leurs données et de leur droit de rétractation, avec effacement des fichiers enregistrés, à tout moment de la recherche.

Conclusion du chapitre 5 :

La recherche en sciences sociales a pour finalité l’explication de phénomènes sociaux de façon objective ce qui impose une démarche méthodologique rigoureuse du chercheur que nous avons tenté d’adopter dans ce travail de recherche. Ainsi, nous nous sommes efforcée de résister aux obstacles qui se dressent devant tout chercheur en sciences sociales et en premier lieu celui d’expliciter un phénomène social à partir d’un sentiment subjectif résultant d’expériences quotidiennes qui nourrissent des intuitions personnelles. Ce risque est alors d’autant plus prégnant de par la connaissance personnelle que nous avons du présent sujet de recherche même si cette connaissance fine, comme nous l’avons déjà souligné, est aussi un atout important. Si la démarche méthodologique est donc nécessaire pour permettre de confirmer, infirmer et/ou compléter certaines intuitions ou explications qui semblent résulter du sens commun et de l’évidence, nous avons gardé à l’esprit que la démarche méthodologique si complète et objective soit-elle, permet de comprendre un phénomène social dans un cadre particulier et non généralisable. Ainsi, le sujet de recherche abordé dans le présent travail n’aboutira peut-être pas exactement aux mêmes conclusions s’il est traité sous un angle différent mais viendra dans ce cas-là, compléter nos propres résultats et enrichir le phénomène social de l’accrochage scolaire des jeunes confiés à l’ASE.

Conclusion de la Partie 1 :

Le dispositif d’accueil familial tel qu’il existe aujourd’hui en France est le résultat de plusieurs siècles d’histoire relatifs à la prise en charge des enfants en danger par la société. En pleine expansion à la suite de la Seconde Guerre Mondiale, le placement familial s’est grandement développé au sein de la société française mais sous l’influence des progrès de la psychologie de l’enfant notamment, il a rapidement marqué ses limites soulignant, au début des années 1980, combien les enfants confiés et leurs parents étaient les grands absents du dispositif de protection de l’enfance. Dès lors, plusieurs mesures législatives rappellent régulièrement que l’enfant et sa famille doivent être au cœur du dispositif d’accueil familial. Dans le même temps, le métier de « nourrices » qui existe depuis de nombreux siècles est en train de devenir une réelle profession du travail social. L’accueil familial, en constante évolution, est encore de nos jours dans une phase de transition entre une pratique familiale héritée d’une tradition chrétienne en milieu rural essentiellement, pour devenir un accueil professionnel qui tente de séparer le plus possible la sphère privée et la sphère professionnelle.

Pourtant, malgré une réelle volonté de professionnaliser le métier d’assistante familiale, la réalité de l’accueil d’un enfant, parfois très jeune et durant de nombreuses années, à son domicile, au sein de sa propre famille, rend difficilement conciliable les exigences de détachement professionnel demandé aux familles d’accueil, vis-à-vis d’un enfant qui n’est pas le sien et qui, sauf exception, n’a pas vocation à le devenir. Cela est d’autant plus vrai du point de vue de l’enfant confié qui ne peut freiner les sentiments qu’il éprouve envers des personnes qui ne sont ni ses parents, ni ses frères et sœurs, mais qui sont pourtant parfois les seules personnes qui s’occupent de lui quotidiennement. L’enfant confié à une famille d’accueil peut dès lors ressentir au fond de lui-même un conflit de loyauté en éprouvant des sentiments affectifs forts envers des étrangers qu’il n’est pas censé considérer et aimer comme sa propre famille le plongeant alors dans une fragilité affective qui complique davantage encore la situation dans laquelle l’enfant se trouve.

Or, comment un enfant qui a vécu des traumatismes aussi importants ayant mené à une séparation avec ses parents, peut-il se concentrer à l’école et mener une scolarité « normale » comme n’importe quel autre enfant ? L’accrochage scolaire de ces enfants, malgré les conditions de vie difficiles qu’ils affrontent au quotidien, ne peut être possible que si des facteurs de protection suffisamment importants viennent compenser les effets des facteurs de

risques présents dans le parcours de vie des jeunes confiés à une famille d’accueil. En effet, la littérature scientifique, bien que rare sur ce sujet, montre que la scolarité de ces enfants est parsemée d’embûches et de difficultés tant personnelles et familiales, que scolaires ou liées au contexte du placement lui-même ce qui rend les enfants confiés à une famille d’accueil particulièrement vulnérables et à risque de décrochage scolaire.

Après avoir présenté la problématique de l’accrochage scolaire des enfants confiés à une famille d’accueil en soulignant combien ce sujet de recherche, bien qu’atypique, est nécessaire, nous avons longuement expliqué la démarche méthodologique choisie et menée dans ce travail qui vise la compréhension du phénomène d'accrochage scolaire chez les enfants confiés à une famille d’accueil.

Dans les parties qui suivent, nous nous intéresserons, dans un premier chapitre, au parcours scolaire des trente personnes composant notre échantillon afin de repérer en quoi leur scolarité est atypique au regard des résultats recueillis sur la population générale des enfants pris en charge par l’ASE.

Dans un deuxième chapitre, nous présenterons les résultats de notre recherche concernant l’identification des facteurs de protection en jeu dans l’accueil familial qui sont déterminants pour l’apparition d’un processus de résilience.

Le troisième et dernier chapitre de ce travail de recherche sera alors consacré à la compréhension du lien entre la capacité de résilience mise en évidence chez les personnes confiées à une famille d’accueil et le phénomène d’accrochage scolaire.

PARTIE 2 : L’ACCROCHAGE SCOLAIRE DES ENFANTS

Outline

Documents relatifs