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Des parents en souffrance dans un contexte familial fragilisé par la précarité

Chapitre 1 : L’Accueil Familial Des Enfants Confies A l’Aide Sociale A L’enfance

4. Portrait actuel des enfants confiés à des familles d’accueil

4.2. Des parents en souffrance dans un contexte familial fragilisé par la précarité

Une étude réalisée par Potin en 2007 sur le parcours d’enfants confiés à l’ASE du Finistère met en avant le fait que « 13,2% de ces enfants sont orphelins soit de père (7%), soit de mère (3.6%), soit de père et de mère (2.6%) » (p.42). L’auteur souligne que ces proportions sont près de cinq fois supérieures aux taux nationaux (2.9%) puisqu’en comparaison avec la population générale, les orphelins de père représentent 2,1% des moins de vingt-et-un ans, ceux orphelins de mère représentent 0,6% et ils sont 0,2% à être orphelins de père et de mère. Ces données étaient déjà présentes dans l’étude sur le bilan socio scolaire de 407 enfants confiés à des familles d’accueil réalisée par Dumaret et Ruffin (1999) qui soulignaient que, d’après leur échantillon, 5% des enfants confiés n’ont plus leur mère suite au décès de celle-ci et que cela concerne 6% des pères. Cependant, si la surreprésentation d’enfants orphelins parmi les enfants confiés à la protection de l’enfance en France est indéniable, il ressort de la même étude que « 85% des enfants ont une mère vivante, présente ou non dans l’entourage de l’enfant, et 62% un père » (Dumaret & Ruffin, 1999, p.12). Par conséquent, il apparaît bien, contrairement à une idée longtemps répandue, que les enfants confiés à une famille d’accueil ne sont pas majoritairement orphelins et ont des parents, certes défaillants, mais vivants. C’est donc en majorité le contexte problématique vécu par l’enfant dans sa famille qui amène une séparation avec les parents et non pas, l’absence physique de ces derniers.

« Les raisons les plus fréquentes ayant nécessité une séparation de l’enfant et de sa famille sont l’existence de carences éducatives importantes, de difficultés psychiques des parents, de conflits familiaux, d’alcoolisme ou de toxicomanie chez l’un et/ou l’autre des parents, ou encore de maltraitance (abus sexuels, sévices corporels…) » (Naves & Cathala, 2000, p.27).

L’étude de Dumaret et Ruffin (1999, p.13) illustre ces propos puisque d’après leur échantillon, 24% des enfants sont concernés par des problèmes de santé physique chez leur mère et 15% chez leur père, 42% ont une mère ayant des problèmes de santé mentale d’ordre psychiatrique auxquels s’ajoutent des problèmes d’ordre psychologique (34%) et 38% des enfants sont concernés par « la pathologie sociale » (délinquance, toxicomanie, incarcération) de la mère et/ou du père (36%). Ces différentes problématiques sont largement représentées parmi les motifs ayant nécessité le placement de l’enfant. Ainsi, par ordre d’importance décroissant, nous retrouvons les troubles de la relation à l’enfant (50%), les carences éducatives graves (47%), les troubles mentaux des parents (43%).

Outre ces problématiques parentales d’ordre médical et social, il ressort des différentes recherches que la précarité financière, souvent liée à des difficultés sociales, constitue un facteur de risque important pouvant fréquemment être à l’origine des décisions de retrait de l’enfant à sa famille. En effet, d’après un rapport rédigé en 2000, par Naves et Cathala, sur les 114 situations étudiées aucune famille d’enfants confiés à l’ASE ne dispose de ressources supérieures à 1500 euros par mois ; la majorité des familles vit principalement de prestations sociales (allocations familiales, RMI). Les parents des jeunes confiés à l’ASE sont donc majoritairement issus des classes moyennes et défavorisées de la population ce qui était déjà le cas en 1990 puisque Corbillon, Assailly et Duyme (1990) concluaient que « les très légères augmentations des CSP-cadres moyens et supérieurs restent malgré tout, marginales par rapport au statut principal de la clientèle ASE qui est toujours la classe ouvrière ». En outre, ces parents ont en général un niveau scolaire relativement faible comme le souligne une enquête de 2004 sur les jeunes placés par la PJJ : « on note […] un faible niveau d’études des parents » (Choquet, Hassler, Morin, 2004, p.165) ce qui peut expliquer une insertion professionnelle moindre et donc une précarité financière et sociale. Les décennies passant, la situation ne semble guère changer puisqu’en 2010, Dominique Versini (Défenseur des enfants) précise que sur les 143 800 enfants confiés à l’ASE en 2009, une majorité l’a été en raison de difficultés sociales qui conjuguées à des difficultés économiques peuvent inciter les services sociaux à proposer une décision de placement car ils estiment que ces familles auront des difficultés à assurer l’éducation et le bien-être de leurs enfants. Cependant, si la précarité financière et sociale constitue pour Dumaret et Ruffin (1999), un facteur de risque de placement (30% des situations étudiées), elle n’est en aucun cas une raison suffisante puisque les auteurs précisent que parmi les enfants de leur échantillon, 52% sont concernés par au moins deux facteurs de risque et 20% par au moins trois facteurs de risque. Ainsi, outre les facteurs de risque précités, il ressort de leur enquête que « la maltraitance (27%), l’incapacité à assurer les soins vitaux (défauts de soins) sans mention de carences graves (24%) et le désintérêt des parents (17%) » (Dumaret & Ruffin, 1999, p.8) sont autant de motifs entraînant le placement de l’enfant. Ces données sont corroborées dans le rapport de Naves et Cathala (2000), qui précisent qu’aucune décision de placement n’a été prise du seul fait de la pauvreté des familles. Les facteurs ayant conduit à la séparation de l’enfant avec ses parents sont donc multiples et plusieurs causes sont souvent présentes sur un même placement.

Si la précarité économique seule n’est pas à l’origine des mesures de placement, elle est un facteur de risque aggravant qui va souvent de pair avec une précarité sociale et une fragilité du tissu relationnel (ruptures affectives avec la famille, les amis, les voisins). Selon Giraud (2008), parmi les causes ayant nécessité le placement, « la pauvreté matérielle combinée avec l’absence ou l’incapacité de soutien de la parentèle constitue un critère essentiel : les sujets qui évoquent la misère familiale représentent respectivement 60% de l’échantillon » (p.3). L’isolement social et relationnel dus à un éloignement géographique et/ou à des ruptures de vie ayant entraîné le morcellement des liens familiaux touche de façon encore plus importante les familles monoparentales et recomposées pouvant alors accentuer les difficultés qu’elles rencontrent au point qu’elles se retrouvent dans l’incapacité d’assumer de façon autonome les fonctions inhérentes à la parentalité. Selon une étude sur le parcours d’enfants placés dans le Finistère (2007), huit familles d’enfants confiés à la protection de l’enfance sur dix sont des familles monoparentales ou recomposées alors qu’elles ne sont que trois sur dix dans la population générale. De même, plus de 80% des enfants placés sont issus de familles séparées. L’auteur ajoute que « la forme traditionnelle de la famille, c’est-à-dire couple parental et enfant(s), existe quasiment peu chez les parents ayant au moins un enfant placé ». Ces constats rejoignent les résultats du rapport de Naves et Cathala (2000) qui soulignent qu’au moment du placement, la majorité des enfants habite avec leur mère dont 45% vivent seule sans conjoint au domicile, 23% vivent avec le père de l’enfant et 14% vivent avec quelqu’un d’autre que le père de l’enfant. De même, il semble que le nombre d’enfants par famille soit plus élevé que dans le reste de la population puisque près de 38% des enfants appartiennent à des familles de trois enfants ou plus. Potin a fait le même constat en 2007 en soulignant que 34,9% des enfants de l’échantillon ont trois frères et sœurs ou plus ce qui corrobore également les données d’un rapport réalisé par Frechon (2009), qui affirme que les jeunes placés sont majoritairement « issus de familles nombreuses, séparées et recomposées. 43% ont au moins un demi-frère ou sœur, 5 % seulement sont des enfants uniques ».

Par conséquent, si nous pouvons dire que les jeunes pris en charge par la protection de l’enfance sont majoritairement issus de familles monoparentales, recomposées et/ou de familles nombreuses, il apparait dans le rapport de Naves et Cathala (2000), un manque de soutien affectif au sein de la famille. En effet, les carences éducatives et les conflits familiaux arrivent respectivement au premier et au troisième rang des causes de placement. Frechon (2009), ajoute que 13 % des jeunes pris en charge par la protection de l’enfance ont un père ou une mère qui a lui-même vécu des situations difficiles dans son enfance (maltraitance ou

placement). Le fait d’avoir été placé durant son enfance semble alors représenter un facteur de risque puisque Dumaret et Ruffin (1999) soulignent également que sur les 407 enfants confiés à des familles d’accueils, « un peu plus d’un tiers des enfants (36%) ont une mère qui elle- même a été placée dans l’enfance. Un enfant sur cinq a son père qui a été placé » (p.13) ce qui peut amener à s’interroger sur les facteurs de risque de reproduction sociale dans le placement.

Par conséquent, les enfants confiés à l’ASE sont majoritairement issus de familles en précarité financière et sociale où l’instabilité relationnelle et affective est fréquente ce qui peut générer chez l’enfant d’importants troubles du comportement et de la personnalité « qui sont la conséquence de troubles du développement de leur pensée, eux-mêmes conséquence de mauvaises conditions de vie et d’interactions durant leur prime enfance ou plus tard » (Gibello, 2007, p.18). Les troubles de la personnalité trouvent leur origine dans les carences affectives et éducatives de la petite enfance. En effet, comme nous le verrons plus loin dans ce travail9, les « nourritures affectives » (Cyrulnik, 1993) qui ont été apportées ou non au jeune enfant ont d’importantes conséquences sur le développement mental futur de l’enfant, de l’adolescent, puis de l’adulte.

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