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Chapitre 1 : L’Accueil Familial Des Enfants Confies A l’Aide Sociale A L’enfance

3. L’accueil familial en France

3.1. D’un acte de charité à la naissance d’une profession

Comme nous l’avons vu précédemment, l’accueil d’enfants abandonnés par une famille autre que la leur est un acte qui remonte au début de l’ère chrétienne. D’abord organisé selon la volonté de quelques ecclésiastiques, de façon éparse et non homogène, l’accueil familial de ces enfants, en premier lieu perçu comme un acte charitable de la part de fidèles catholiques, est peu à peu devenu un moyen de rémunération intéressant venant compléter les maigres revenus procurés par le travail agricole ou ouvrier. Ainsi, l’une des premières motivations des nourrices est d’allaiter, en même temps que son propre enfant, un ou deux enfants confiés, en échange d’une petite indemnité financière. Cependant, si les motivations premières des nourrices sont restées indemnes au cours des siècles, il est peu à peu apparu la nécessité de légiférer autour de l’accueil familial pour lutter contre les abus et l’importante mortalité infantile des enfants. Ainsi, le premier texte législatif qui règlemente le « métier » de nourrice est une ordonnance du roi Jean II datant du 30 janvier 1350 (Thévenet & Désigaux, 1985). Ce texte fixe pour la première fois, le salaire des nourrices. Ces dernières, venues des campagnes, récupèrent un nourrisson au bureau des « recommanderesses6 » avant de retourner en province. Ce sont là les prémices de la pratique nourricière rémunérée telle qu’elle existe encore aujourd’hui. Le trajet de retour à la campagne se fait dans des conditions si mauvaises que la plupart des nourrissons meurent avant d’arriver à destination. A cela s’ajoutent des soins tellement mauvais, prodigués par des nourrices dépourvues de toutes connaissances en puériculture, voire même, de tous scrupules, que Vincent de Paul constate en 1638 que parmi ces enfants, il « n’en reste pas un seul en vie depuis cinquante ans » (Dupoux, 1958, p.29). Informé des constats alarmants de Vincent de Paul qui œuvre à l’amélioration des conditions

d’accueil des enfants abandonnés, Colbert rédige le 21 juillet 1670, un règlement sur les Enfants trouvés, précisant que « les Dames, qui seront choisies parmi celles de la Charité, pour avoir soin desdits enfants pendant quatre ans iront les visiter le plus souvent possible » (article 6). Il précise l’obligation que « les Sœurs de la Charité aillent visiter les enfants en nourrice, dans le temps qu'elles jugeront nécessaire et se feront rendre compte de l'état auquel elles les auront trouvés, des nécessités dont ils pourraient avoir besoin » (article 8) (Semichon, 2016, p.130). Nous voyons apparaître, dans l’intérêt des enfants, les tous premiers contrôles de nourrices vivant à la campagne, tout comme les premières obligations inhérentes au métier de nourrices puisque le législateur se préoccupe pour la première fois du métier en instaurant un code de ses droits et devoirs. Cependant, dans une France de l’Ancien Régime, où Lebrun estime que la mortalité des enfants de moins d’un an est sensiblement supérieur à 25% (Lebrun, 25 ans d’études démographiques sur la France d’Ancien Régime, 1976, p.79 ; cité dans Badinter, 1980, p.174), la mort des enfants abandonnés est une chose banale qui attire peu l’émoi des adultes.

Deux cent ans après l’instauration des premiers contrôles de nourrices par les Sœurs de la Charité, force est de constater que ces contrôles sont peu efficaces pour endiguer la mortalité et face aux décès toujours trop nombreux des enfants accueillis chez les nourrices, l’accent est de nouveau mis en 1874, sur le contrôle de ces dernières. L’article premier de la loi Roussel précise alors que « tout enfant âgé de moins de deux ans, qui est placé moyennant salaire, en sevrage ou en garde, hors du domicile de ses parents » devra faire l’objet d’« une surveillance de l’autorité publique ayant pour but de protéger sa vie et sa santé ». De même, la loi précise que :

« Tout placement en nourrice devra faire l’objet d’une déclaration, et toute personne désireuse de se placer comme nourrice sur lieu devra indiquer que son dernier enfant est vivant et faire constater qu’il est âgé de sept mois révolu et qu’il est allaité par une autre femme » (Cadoret, 1993, p.518).

Ces mesures ont pour but d’essayer de lutter contre les abus liés à l’accueil des enfants abandonnés qui sont davantage perçus comme une source de revenus que comme un acte d’amour envers des enfants qui n’ont pour seul tort que de n’être nés au mauvais endroit, au mauvais moment.

Or, si l’opinion publique s’intéresse donc peu à peu au sort réservé aux enfants dont les parents ne peuvent assumer l’éducation, il demeure sur ces enfants un fort préjugé de décadence, voire de délinquance, lié à leur situation d’enfants abandonnés, la plupart du temps, issus d’un milieu urbain précaire. Pour lutter contre cette décadence supposée, la loi du 27 Juin 1904 préconise le placement familial rural dans un objectif d’intégration des pupilles : « les pupilles âgés de moins de treize ans sont, sauf exception, confiés à des familles habitant la campagne » (article 21). Soulignons que cette obligation naît de l’idée que la vie à la campagne est plus saine et dépourvue des vices de la vie citadine dont les enfants auraient hérité de leurs parents. Comme nous l’avons vu précédemment, la première moitié du XXème siècle fera la part belle à l’Assistance Publique et consacrera le placement familial rural pour le bien supposé des enfants qui sont retirés à leurs parents pour diverses raisons. C’est l’âge d’or du placement familial et le plein recrutement des nourrices en milieu rural.

L’accueil des enfants va se poursuivre de cette façon jusqu’au retentissement des travaux en psychologie de l’enfant et la reconnaissance de ses besoins spécifiques à partir des années 1970. Dans le même temps, les métiers du travail social émergent et la nécessité d’encadrer le statut de nourrice commence à germer. Les années 1970 officialisent le métier d’assistante maternelle avec la loi du 17 Mai 1977 qui enterre le statut de « nourrice-gardienne » au profit du métier d’« assistante maternelle ». L’agrément est désormais obligatoire pour accueillir un enfant à son domicile à titre permanent ou non permanent et la loi fixe une base de rémunération et une égalité de droits avec l'ensemble des salariés en termes de congés payés et de sécurité sociale. La formation professionnelle est proposée mais non imposée. La même loi impose la signature d’un contrat de placement entre l’assistante maternelle et son employeur, pour chaque enfant accueilli. Celui-ci doit préciser le rôle de la famille d’accueil et celui du service de placement familial à l’égard de l’enfant placé et de sa famille. La professionnalisation de la famille d’accueil est lancée.

La loi n° 92-642 du 12 juillet 1992 marque l’obligation pour les assistantes maternelles de suivre une formation : « Dans le délai de trois ans suivant son premier contrat de travail consécutif à son agrément pour l'accueil de mineurs à titre permanent, toute assistante maternelle relevant de la présente section doit suivre une formation d'une durée minimale de cent vingt heures » (art. L 773-17). Si cette loi a le mérite de faire émerger l’idée que l’accueil et l’éducation d’un enfant n’est pas chose innée, nous ne pouvons que constater que cent vingt heures de formation paraissent bien insuffisantes au regard des problématiques que soulèvent l’accueil familial d’un enfant confié par la protection de l’enfance.

Près de trente ans après la première loi de 1977 reconnaissant le métier, l’assistante maternelle, devient assistante familiale par la loi n°2005-706 du 27 Juin 2005 et entre ainsi dans la sphère professionnelle des travailleurs sociaux, au moins du point de vue des textes législatifs. Cette loi sépare pour la première fois le statut d’assistante maternelle agréée qui accueille de façon non permanente à son domicile des enfants durant la journée et celui d’assistant familial qui accueille de façon permanente des enfants qui lui sont confiés par l’ASE. En différenciant pour la première fois les deux métiers sous deux appellations différentes, le législateur a souhaité mettre en avant le fait que l’assistant familial n’est plus seulement chargé d’accueillir un enfant en l’absence de ses parents mais bel et bien, de s’inscrire dans l’idéologie de la loi du 2 Janvier 2002 qui vise à placer l’enfant au cœur d’un système dont sa famille est partie prenante à part entière et dont l’assistant familial est un professionnel dont « l’activité s’insère dans un dispositif de protection de l’enfance » (art.7 de la loi du 27 Juin 2005).

Dans cet esprit, le législateur créé pour la première fois, par un décret du 30 Décembre 2005, un Diplôme reconnaissant le métier d’assistant familial. Ce décret prévoit une obligation de formation (300 heures contre 120 heures auparavant) dont une partie doit être suivie avant l’accueil du premier enfant. La formation est composée d’un stage de 60 heures préparatoire à l’accueil de l’enfant, puis d’une formation de 240 heures à effectuer dans les trois ans qui suivent le premier contrat de travail. La formation vise la professionnalisation des assistants familiaux qui peut déboucher sur le Diplôme d’Etat d’Assistant Familial (DEAF) qui est reconnu comme le premier niveau d’un diplôme du travail social (niveau V). Notons cependant que l’obtention du DEAF n’est pas un prérequis à l’obtention de l’agrément par le Conseil Départemental et donc, au droit d’exercer le métier d’assistant familial.

Selon l’arrêté du 14 Mars 2006, le rôle de l’assistant familial se décline en quatre axes qui consistent à :

 assurer [la] permanence relationnelle, [l’] attention, [les] soins et [la] responsabilité éducative au quotidien de l’enfant, de l’adolescent ou du jeune majeur selon ses besoins ;

 favoriser l’intégration de l’enfant, de l’adolescent ou du jeune majeur dans la famille d’accueil en fonction de son âge et de ses besoins, de veiller à ce qu’il y trouve sa place ;

 aider l’enfant, l’adolescent ou le jeune majeur à grandir, à trouver ou retrouver un équilibre et à aller vers l’autonomie ;

 accompagner l’enfant, l’adolescent ou le jeune majeur dans ses relations avec sa propre famille.

Il est précisé dans l’arrêté que les deux derniers axes sont à assurer en collaboration « avec les autres membres de l’équipe technique pluridisciplinaire du service d’accueil familial permanent (travailleur social référent, psychologue, psychiatre, chef de service...) et les autres membres de la famille d’accueil ».

Ainsi, de nos jours, selon l’article L 421-2 du Code d’Action Sociale et des Familles, « l’assistant familial est la personne qui, moyennant rémunération, accueille habituellement et de façon permanente des mineurs et des jeunes majeurs de moins de vingt et un ans à son domicile ». Il ou elle « constitue, avec l’ensemble des personnes résidant à son domicile, une famille d’accueil ». Le nombre d’agrément maximum autorisé par famille est de trois sauf dérogation particulière accordée par le président du Conseil Départemental.

D’un point de vue économique, l’accueil familial est un mode de placement intéressant car il a un coût moins élevé que l’hébergement collectif. Ainsi, en 2013 (DREESb, 2015), les dépenses brutes de l’accueil familial s’élèvent à 1,9 milliard d’euros ce qui représentent 34 % des dépenses brutes de placement et 26 % des dépenses brutes dédiées à l’Aide Sociale à l’Enfance. Nous constatons donc que l’accueil familial, bien que majoritairement utilisé comme mesure de placement, représente un coût inférieur à celui de l’établissement ce qui en fait un mode de placement privilégié par les départements qui affichent une volonté de maintenir et de développer davantage encore ce mode d’accueil.

Aujourd’hui, légalement, « l’assistant familial est un travailleur social qui exerce une profession définie et réglementée d’accueil permanent à son domicile et dans sa famille de mineurs ou de jeunes majeurs de dix-huit à vingt et un ans » (décret du 14 mars 2006). Cependant, derrière cette définition du métier, se cache autant de profils différents d’assistants familiaux et de familles d’accueil qui trouvent naissance dans la personnalité de chaque professionnel et dans l’intimité de chaque famille.

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