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PARTIE 2 : L’ACCROCHAGE SCOLAIRE DES ENFANTS CONFIES A UNE FAMILLE

1. Une scolarité jalonnée de quelques obstacles

2.1. Le choix du baccalauréat

2.1.3. Le Baccalauréat Professionnel : le choix par défaut

En ce qui concerne le choix de s’orienter vers un Baccalauréat Professionnel, là encore, les jeunes de notre échantillon ne se distinguent pas vraiment du reste de la population générale malgré une légère représentativité supérieure de ce type de baccalauréat ; 33% pour notre échantillon soit dix jeunes sur trente contre 31% pour la population générale (Le Laidier & Thomas, 2015).

Quatre garçons et six filles se sont orientés en priorité vers ce type de baccalauréat. Notons qu’une jeune fille a obtenu un baccalauréat professionnel suite à l’obtention d’un baccalauréat scientifique dans un premier temps.

Les options du baccalauréat choisies par les jeunes rencontrés sont très variées : Maintenance des véhicules automobiles (2), Accompagnement Soins et Services à la Personne (2), Productique (1), Maintenance des Equipements Industriels (1), Relation Accueil Clients Usagers (1), Laboratoire (1), Vente Conseil Commercial (1), Secrétariat (1), non précisé (1). Le baccalauréat professionnel créé en 1985 a pour objectif l’insertion professionnelle après l’obtention du diplôme, mais il peut permettre, dans certains cas, la poursuite d'études supérieures. Si la volonté affichée par les politiques et les lycées professionnels, depuis plusieurs années, est de revaloriser cette filière, elle est encore et toujours étiquetée comme la filière de relégation (Beaud & Truong, 2015 ; Bergier & Francequin, 2005) et reste l’apanage des élèves en difficultés scolaires qui n’ont pu poursuivre leurs études vers une filière générale ou technologique.

« Dans les faits, l'orientation vers le lycée professionnel est devenue synonyme d'échec pour une partie des élèves, moins parce que cette voie préparait à un métier ou à un corps de métiers, que parce qu'elle était moins reconnue par rapport aux voies générale et technologique. La condescendance dont les élèves de lycée professionnel étaient l'objet pouvait donner lieu à l'intériorisation d'une image de soi assez dépréciée. Cela a marqué le début assez net d'un phénomène de déclassement scolaire : on allait autrefois au lycée professionnel parce qu'on était fils ou fille d'ouvrier ; on y va dorénavant parce qu'on est en échec scolaire. S'en est suivi un changement de perspective et de paradigme pédagogique : plutôt que de former professionnellement, le lycée professionnel s'est vu implicitement (et de plus en plus explicitement) confié la tâche de réparer, socialiser et réconcilier un public avec l'école et les savoirs » […] L’idée prédominait que l’orientation vers le lycée professionnel était une sorte de choix « raisonnable » d’une filière peu, voire non scolaire. Poursuivre des études en lycée professionnel, c’était ne plus être un élève comme les autres » (Taraud & al., 2015, p.4).

Parmi les jeunes que nous avons rencontrés, ayant atteint un niveau baccalauréat professionnel, tous ont redoublé au moins une classe, principalement durant le primaire et/ou le collège. C’est parmi ces jeunes-là que nous retrouvons également la plupart des multi redoublants de notre échantillon (trois jeunes sur six). Huit jeunes sur dix ont redoublé au

En ce qui concerne le choix d’orientation vers la filière professionnelle, seules deux jeunes disent avoir réellement choisi leur orientation. Pour l’une, il s’agissait de se rapprocher du métier dont elle rêve (vétérinaire) et pour l’autre, de suivre la même orientation que sa meilleure amie. Pour les huit autres jeunes de notre échantillon, ce choix a été fait par défaut. Les raisons évoquées sont un refus de passage en cursus général ou une absence d’idée quant à l’orientation scolaire et professionnelle.

J12 : « Je savais pas quoi faire, et sur place, ils présentaient les différents BEP et BAC Pro et euh…, je savais toujours pas quoi faire et je suis parti dans le … où c’était de la maintenance, où on touchait à l’électronique, la pneumatique, l’électricité, enfin voilà, c’était assez divers quoi ! Donc, j’ai fait ça ! BEP/BAC Pro donc deux ans BEP, deux ans BAC Pro ». (Nicolas, vingt-sept ans, confié depuis l’âge de six jours à la même famille). J17 : « A la base, je voulais vraiment faire un Bac L ! […]. Et en fait, ma première seconde, j’y arrivais pas trop et la deuxième, ma prof principal, ma prof de français justement, elle m’a dit, même si t’aimes le français, la littérature et tout, tu y arriveras pas quoi ! Donc elle m’a dit, soit pars en techno ou en pro ». (Cynthia, dix-huit ans, confiée de treize à dix-sept ans à la même famille d’accueil).

Ces orientations par défaut dans des filières perçues comme moins prestigieuses entraînent chez certains jeunes, un sentiment de dévalorisation vis-à-vis de leur entourage et vis-à-vis d’eux-mêmes qui peut s’apparenter à ce que de nombreux chercheurs (Blaya, 2010 ; Bourdieu & Passeron, 1970 ; Carra & Faggianelli, 2003) dénoncent comme une violence symbolique en milieu scolaire. Bourdieu définit la violence symbolique comme « cette violence qui extorque des soumissions qui ne sont même pas perçues comme telles en s'appuyant sur des "attentes collectives", des croyances socialement inculquées […] » (Bourdieu, 1994, p.188). Ainsi, l’orientation vers la filière professionnelle par défaut et non par réel choix renvoie, à plusieurs jeunes rencontrés dans le cadre de cette recherche, un sentiment d’infériorité que seul l’objectif d’atteindre un niveau baccalauréat peut compenser.

J23 : « Au début, quand je suis sorti de 3ème, je suis parti en 2nde générale, et puis en fait, j’ai rien fait pendant l’année où j’étais là-bas donc du coup je me suis réorienté et je suis parti en Bac pro mécanique auto et du coup voilà ! Comme ça me plaisait, enfin c’est quelque chose, ça m’a toujours plu, je me suis dit, autant y aller ! Parce qu’au début je voulais pas trop ! Un bac Pro, je trouvais que ça faisait, je trouvais que c’était un petit peu déshonorant par rapport à ce qu’on pouvait faire, enfin à ce que je pouvais faire et bon après finalement, ça va ! ». (Thomas, dix-neuf ans, confié de seize à dix-neuf ans à la même famille d’accueil).

Pour ces jeunes, la finalité du diplôme semble alors compter davantage que son contenu puisque le baccalauréat est non seulement considéré comme le sésame permettant d’envisager la poursuite vers des études supérieures mais aussi et surtout, comme une reconnaissance sociale.

J28 : « J’ai arrêté la seconde ! Je disais à [Prénom de l’éducateur] mon éducateur que je voulais un Bac, un Bac, un Bac ! Je venais juste de me faire virer mais madame elle voulait le Bac ! ». (Clara, vingt ans, confiée à quatre familles d’accueil et deux foyers en cinq ans).

J30 : « J’ai arrêté ma scolarité pendant deux ans ! J’ai arrêté pendant deux ans et après, j’ai repris parce que je me suis rendue compte que sans bac, on n’allait pas trop loin donc… J’ai fait un Bac Pro secrétariat juste pour m’ouvrir des portes après. […]. Donc j’ai pris un Bac pro secrétariat comme j’aurais pu prendre un Bac pro vente, enfin, voilà, le secrétariat ça me plaisait bien, j’avais déjà fait des stages en troisième dans le secrétariat donc voilà, j’ai fait la facilité ! ». (Lucie, vingt-deux ans, confiée de six mois à treize ans à la même famille d’accueil).

A la lumière des témoignages recueillis, nous constatons que les jeunes qui se sont orientés vers un baccalauréat professionnel sont des jeunes qui ont, pour la plupart, vécu un parcours scolaire parsemé de difficultés et de désillusions. Les difficultés scolaires, les redoublements, voire les interruptions de scolarité ont amené ces jeunes à s’orienter vers une filière qu’ils jugent moins prestigieuse mais qu’ils considèrent comme une chance d’accéder au niveau baccalauréat dont ils rêvent pour poursuivre leur scolarité, atteindre leur objectif professionnel, voire simplement, être dans la norme au regard de la plupart des jeunes de leur âge.

Cependant, malgré les différentes passerelles permettant désormais d’accéder au niveau baccalauréat dans un parcours scolaire initial, nous avons rencontré seulement deux personnes qui ont atteint ce niveau par le biais des équivalences.

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