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Chapitre 1 : L’Accueil Familial Des Enfants Confies A l’Aide Sociale A L’enfance

1. De l’Assistance Publique à l’Aide Sociale à l’Enfance : Les fondements d’une

1.3. De l’Assistance Publique à l’Aide Sociale à l’Enfance : Du bien-fondé du placement

1.3.1. Le placement de l’enfant à tout prix

Le XXème siècle s’ouvre sur une loi majeure (loi du 27 juin 1904) qui institue les bases de l’aide sociale départementale à l’enfance telle qu’elle existe encore aujourd’hui. En premier lieu, les enfants des quatre catégories référencées par le décret de 1811 et la loi de 1889 deviennent des « pupilles de l’Assistance » ou des « pupilles de l’Etat ». Cela signifie que l’administration devient tuteur légal de l’enfant jusqu’à sa majorité (alors fixée à vingt-et-un ans), mais aussi, que le lieu du placement doit rester secret, afin que les parents ne puissent pas retrouver leur enfant. De plus, la loi confie la tutelle des enfants assistés aux préfets. Dans chaque département, un bureau ouvert permettant le dépôt des enfants de façon anonyme, est créé. A leur admission à l’Assistance Publique, les enfants sont inscrits, immatriculés et catégorisés (A pour « enfants abandonnés », O pour « enfants orphelins », T pour « enfants trouvés ») ; l’administration ouvrant un dossier à leur nom. Ces enfants sont plus que jamais

stigmatisés pour leurs « tares » qui seraient héréditaires. Ainsi, un médecin fait du mensonge, du vol, du vagabondage et de la masturbation, les « quatre stigmates principaux des pupilles anormaux de l’Assistance Publique » (Jablonka, 2006, p.85). Dès leur admission à l’Assistance Publique, l’administration est déclarée responsable de toutes les décisions concernant l’enfant et elledoit veiller à ce que celui-ci soit bien traité, soigné et scolarisé. Les enfants en dépôt ne peuvent être envoyés à la campagne, contrairement aux pupilles « puisque leurs parents étaient susceptibles de les reprendre » (Ariès, 1973, p.214). Pour les autres, confiés aux soins des nourrices, le placement en dehors du périmètre de l’agence est interdit. Toutes les agences départementales de l’Assistance Publique sont organisées de la même façon à l’exception du département de la Seine qui, pionnier dans la prise en charge des enfants assistés, transfère les enfants parisiens qu’elle recueille vers des agences disséminées partout en France. Dans les faits, une assistance publique départementale côtoie souvent une agence de l’assistance publique de la Seine d’où une certaine confusion de ces deux institutions dans le langage courant. En pratique, l’assistance publique de la Seine est plus favorable aux enfants que l’assistance publique départementale. Cependant, malgré la volonté d’organiser les placements, « l’Assistance Publique se heurte aux mêmes obstacles que ses prédécesseurs : encombrement des services par des enfants déposés en hâte et en mauvais état, mortalité et morbidité élevées en dépit des soins donnés selon les règles de la médecine d’alors » (David, 2004, p.25). Pour lutter contre ce fléau, à partir de la première guerre mondiale et sous l’influence pasteurienne, l’Assistance Publique se dote d’infirmières et d’assistantes sociales chargées de visiter les familles. En effet, la petite enfance est menacée par un taux de mortalité important, notamment dans les milieux précaires ; chez les pupilles de l’Assistance, le taux de mortalité est très important (environ 35%). Pour combattre cette mortalité, un effort est particulièrement attendu en ce qui concerne l’hygiène et le mode d’allaitement.

En ce début de XXème siècle, le principal facteur d’abandon est toujours l’illégitimité des enfants. Cela concerne de 65 à 80% des enfants assistés notamment les enfants trouvés et abandonnés. Les enfants trouvés arrivent à l’Assistance Publique très jeunes (âgés de quelques jours ou semaines). Ils sont suivis des enfants abandonnés (âgés de moins de cinq ans), puis des enfants « moralement abandonnés » (sept ou huit ans), et enfin des enfants « mis en dépôt » ou « orphelins » (âgés d’une dizaine d’années). Les filles sont davantage rejetées que les garçons et sont également abandonnées plus jeunes que ces derniers. Le

celles qui ont le plus recours à l’Assistance Publique exercent pour 90% d’entre elles, des emplois précaires : domestiques, ouvrières, couturières. La pauvreté et l’illégitimité sont donc encore et toujours, les principales causes d’abandons des enfants (Sandrin, 1982). Les services de Protection Maternelle et Infantile voient le jour à cette époque dans le but de prévenir certaines maladies comme la tuberculose ou le rachitisme notamment auprès des populations en situation de précarité. Le placement familial sanitaire fait son apparition avec par exemple, la création de l’œuvre Grancher, destinée aux enfants dont les parents sont atteints de tuberculose. Dès lors, le placement est vivement conseillé lorsque des situations, considérées néfastes pour l’enfant (tuberculose, alcoolisme), sont constatées. Le placement, est en revanche, imposé, lorsque la santé, la sécurité ou la moralité de l’enfant sont jugées en danger ; les assistantes sociales sont alors autorisées à intervenir sans l’accord des parents, et par la force si nécessaire. Or, l’incapacité parentale définie par l’Assistance Publique intègre des normes de pédagogie et d’hygiène propres à l’administration et très éloignées des milieux sociaux défavorisés. Le non-respect de ces normes peut entraîner un retrait de l’enfant ou son maintien en Agence. La loi de 1904 précise que « l’enfant réclamé par ses parents peut leur être remis à condition que leur situation morale et financière satisfasse aux critères de l’Assistance Publique » (article 17). En 1902, sur 2088 enfants réclamés par leurs parents, seuls 621 ont été rendus, soit 30% (Jablonka, 2006). 56% des enfants rendus à leurs parents sont issus de familles légitimes alors qu’ils ne représentent que 35% des effectifs. De même, les artisans aisés et les gros commerçants arrivent plus facilement à retrouver leur enfant. La rigueur de l’Assistance publique est donc fonction du milieu social et les premières visées sont les filles-mères ou les parents ouvriers. Dès lors, seuls les enfants placés pour cause d’internement, mobilisation ou hospitalisation des parents, ont droits aux visites sans limites de ces derniers chez la nourrice. Pour les autres enfants, l’Assistance Publique fait tout pour briser les liens du sang (visites et correspondances limitées, voire interdites). Or, d’après certaines statistiques, dans la « catégorie » des enfants abandonnés, 40% l’ont été après l’âge de cinq ans et 1/3 après sept ans. Chez les enfants en dépôt et ceux recueillis temporairement, plus de 80% ont été confiés à l’Assistance Publique après sept ans. Par conséquent, ces enfants ont eu le temps de nouer des liens avec leurs parents et sont susceptibles d’avoir mémorisés leur identité et leur adresse. L’Assistance Publique s’attache donc à essayer d’effacer les souvenirs des premières années et avec elles, le vice supposé de la première éducation. En effet, nombreux sont les préjugés selon lesquels les enfants auraient hérité des vices de leurs parents (Sandrin, 1982). Le sous-développement physique et psychologique essentiellement dus aux carences affectives et éducatives dont nous parlerons plus loin dans

ce travail, sont à cette époque, attribués aux pathologies familiales comme la tuberculose, la syphilis, l’alcoolisme. Ainsi, témoigne un médecin de l’Assistance Publique de l’époque :

« recrutés dans un milieu presque toujours physiquement et moralement taré, nos pupilles

représentent vraiment un déchet social » (Dr Caillard, 1908, cité par Jablonka, 2006).

Dès lors, le lien entre « enfants de l’Assistance » et « enfants délinquants » est quasiment établi. Dans ce contexte, la loi du 21 juillet 1912 marque alors une étape importante dans l'évolution du droit pénal des mineurs puisqu’elle prévoit la création à Paris du premier tribunal spécifique pour juger les adolescents de treize à dix-huit ans, appelé « Tribunal pour Mineurs ». Elle pose en outre, le principe absolu d'irresponsabilité au-dessous de treize ans. En effet, elle substitue aux habituelles mesures pénales, des mesures éducatives et incite les juridictions à se pencher sur la question du discernement. Cependant, dans les faits, cette mesure n’a pas vraiment d’impact et une part très importante de mineurs étiquetés "délinquants" sont en réalité de jeunes vagabonds : « l'inculpation qui amène le plus d'enfants à la barre des tribunaux correctionnels est celle de vagabondage : sur 2102 mineurs de seize ans arrêtés à Paris au cours de l'année 1890, 855 étaient des vagabonds » (Rollet, 1892 cité par Allaix, 1998). Quelques années plus tard, un décret-loi du 30 octobre 1935 modifie l’article 2 de la loi de juillet 1889 en instaurant des « mesures de surveillance ou d’assistance éducative à l’égard des enfants dont la santé, la sécurité, la moralité sont insuffisamment sauvegardées par les parents ». Pour la première fois dans l’histoire, il est fait mention d’« assistance éducative » et non de « placement » ce qui donne le ton des réformes qui suivront quelques années plus tard. Un autre décret datant du même jour dépénalise le vagabondage des mineurs et prévoie l’accueil de ces derniers par des établissements spécialement habilités, au même titre que l’Assistance publique. Pour la première fois, les enfants vagabonds sont assimilés aux orphelins et aux enfants moralement abandonnés. Dans les faits, dix ans plus tard, ces établissements n’existent toujours pas et l’Assistance publique refuse d’accueillir ces jeunes, considérés comme délinquants et vicieux. Il faudra attendre la Deuxième Guerre Mondiale et la loi du 27 juillet 1942 pour que soit créées des Associations Régionales de Sauvegarde de l’Enfance et de l’Adolescence (ARSEA), à l’origine des premières écoles d’éducateurs, dont le but est de créer des centres d’accueil, des centres d’observation et de triage des mineurs délinquants.

Par conséquent, au début du XXème siècle, s’ajoutent aux enfants orphelins et abandonnés, une catégorie d’enfants secourus qui sont temporairement confiés par leurs parents et les enfants

de plus de douze ans, considérés comme vagabonds et délinquants, commencent à intéresser l’opinion publique mais leur prise en charge est loin d’être effective. Par ailleurs, bien qu’une majorité d’enfants soient désormais secourus physiquement par l’Assistance Publique, ces jeunes portent le poids d’une défaillance familiale, que l’on essaie d’une part de gommer en les séparant de leurs parents mais que l’on ramène systématiquement à leur condition d’« enfants de l’Assistance » ; dès lors, ils sont affublés d’un stigmate qui ne les quittera jamais et qui aura des conséquences néfastes sur leur développement psychologique et social.

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