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De la stigmatisation en milieu scolaire à l’orientation par défaut

Chapitre 3 : La scolarité des enfants confiés à une famille d’accueil : Du décrochage scolaire à

1. Une scolarité semée d’embuches

1.2. De la stigmatisation en milieu scolaire à l’orientation par défaut

Comme nous l’avons souligné précédemment, il est fréquent que les jeunes confiés aux services de protection de l’enfance, qu’ils vivent en foyer ou en famille d’accueil, soient stigmatisés dans la société au point que certains jeunes décident de cacher leur situation d’ « enfant placé ». Or, s’il est des domaines où l’enfant peut cacher sa situation, il en est d’autres comme celui de l’école où il lui est difficile de mettre à distance son stigmate et où le jeune se sent régulièrement étiqueté comme « enfant à problèmes ». Les jeunes que nous avons rencontrés en 201215 nous avaient tous confié ressentir un sentiment de stigmatisation dans le cadre scolaire. Ainsi, David, âgé de seize ans a utilisé le terme de « préjugés » pour qualifier le fait que les enseignants stigmatisaient tous les enfants vivant en foyer comme des délinquants : « Les jeunes en foyer, ils croient tous que c’est des jeunes qui ont fait des bêtises

15 Ces jeunes étaient en situation de décrochage scolaire et confiés à un établissement dans le cadre d’une prise

l’accrochage scolaire des jeunes

alors quand j’y arrivais pas, ben, ils laissaient faire, ils se disaient que ça vaut pas la peine de perdre du temps avec lui ! » (Anton, 2012, p.74). Cette stigmatisation ressentie par les jeunes est confirmée par les éducateurs qui observent des situations de marginalisation et d’étiquetage, sans fondement apparent, qui peuvent être préjudiciables à l’enfant.

« Nous, on a quand même eu ici, un gamin de sixième, au collège de A l’année dernière qui a été exclu définitivement avec la présence d’un gendarme présent pendant tout le conseil de discipline ! On a dû faire appel, pour la première fois ! On a fait appel de la décision car y a eu un conseil de discipline pour un enfant, un enfant de sixième hein, qui a été exclu en début d’année scolaire ! On a fait appel de cette décision ! Il y avait le gendarme, le major de la gendarmerie de A qui a été présent durant tout le conseil de discipline, quel est le sens ? Ben, voilà, ça c’est une réalité de ce qu’on vit là et avec, en fin de compte, des enfants qui ont dû témoigner par rapport à l’enfant, comme quoi c’est un enfant menteur habituellement, que ce qu’il disait il fallait pas en prendre cas, enfin voilà… C’est-à-dire qu’il y a un système aussi qui devient très stigmatisant. On a eu au collège de B, un gamin qui est arrivé au collège, qui a dû signer un engagement dès le premier jour, dès la première récréation ! Il devait venir signer à chaque récréation comme quoi il se comportait bien, sans avoir posé le moindre problème de comportement, tout simplement parce qu’il était en situation d’enfant placé ! Alors, ça, ces phénomènes de stigmatisation là, ils réapparaissent quoi. Moi je les ai connus il y a très longtemps, ils avaient disparu, vraiment avec des équipes enseignantes avec qui on arrivait à tricoter des projets intéressants et là on a des équipes enseignantes qui paraissent vraiment épuisées quoi ! ». (Anton, 2012, p.75).

Selon Denecheau (2013), « l'étiquette qui peut être associée à un enfant placé peut être celle d'un jeune difficile, qui « pose des problèmes comportementaux » (p.192) et dont « les difficultés scolaires sont considérées comme normales et attendues » (Denecheau & Blaya, 2013). Ce constat n’est pas nouveau puisque Jackson (1994) avait déjà souligné que les enfants confiés à l’ASE peuvent être victimes de stigmatisations et d’humiliations de la part de certains enseignants. Or, de nombreux chercheurs ont relevé que les « effets d’attente » sont décisifs pour la réussite ou l’échec scolaire des élèves. Ainsi, les enseignants sont plus efficaces s’ils sont convaincus que leurs élèves peuvent progresser. C’est ce que Rosenthal et Jacobson ont nommé l’« effet Pygmalion », c’est-à-dire qu’exposés à des interactions pédagogiques stimulantes, les élèves s’efforceraient de répondre aux attentes des maîtres. Ainsi, un élève dont le professeur est persuadé de ses compétences, serait en capacité de mieux réussir qu’un élève à qui l’enseignant renverrait une image négative de ses capacités ; cela se traduirait pour ce dernier par des résultats inférieurs à ses capacités réelles. Or, plusieurs chercheurs (Duru-Bellat, 1995 ; Esterle-Hedibel, 2006 ; Pourtois, 1977 ; Ritts, Patterson & Tubbs, 1992 ; Rubie-Davis, Hattie et Hamilton, 2006) ont montré que les enseignants peuvent être influencés par leurs préjugés et ancrer leurs attentes sur des critères

la façon de s’habiller ou de s’exprimer des élèves, et ce dès l’école maternelle. Ils s’attendent ainsi à plus d’échecs de la part des jeunes de milieux populaires et les expliquent par des causes relevant du contexte social et culturel. Dès lors, il se peut que les attentes des enseignants soient inférieures quand il s’agit d’enfants confiés à la protection de l’enfance ce qui pourrait influencer leurs résultats scolaires. La directrice-adjointe d’une MECS, rencontrée en 2012 pour notre mémoire de Master témoignait du fait que : « Les profs, certains profs, ils se disent : « Bon il vient d’un foyer, c’est l’échec quoi ! ». » (Anton, 2012, p.75). Sellenet (1999) avaient déjà posé cette question en se demandant « dans quelle mesure [les] observations [des enseignants] ne se trouvent pas modulées par la connaissance de l’histoire singulière de ces enfants » (Sellenet, 1999, p.31). Cette stigmatisation souvent inconsciente du corps enseignant peut pourtant être grandement préjudiciable à la scolarité des jeunes confiés aux services de protection de l’enfance et pourrait expliquer, selon certains professionnels et chercheurs, une partie des orientations vers des classes spécialisées ou médicalisées. Ainsi, Sellenet (1999) s’interroge sur l’orientation d’une jeune fille confiée à une famille d’accueil vers une « 4è CPPN sans autre redoublement que la sixième ou l’orientation en 6è SES-SEGPA après un unique redoublement en cours préparatoire » (Sellenet, 1999, p.32). Dans une étude réalisée en 2003 (CAREPS, 2003) sur les enfants confiés au service de l’ASE de Paris, les adultes interrogés (travailleurs sociaux et assistantes familiales) considèrent que la filière scolaire suivie par le jeune est tout à fait adaptée à ses capacités dans seulement 58% des cas tandis que pour 10% des jeunes, elle n'est a priori pas adaptée notamment en ce qui concerne les garçons (16% contre 5% pour les filles). Les témoignages de certains professionnels rencontrés en 2012 pour notre mémoire d’initiation à la recherche illustrent ces faits :

« On va avoir un gamin pour qui le cadre scolaire classique va poser des problèmes car il y a un tel décalage de niveau, il va être orienté vers le médico-social alors qu’il était pas forcément déficient, voilà ! Ça c’est un peu le problème qu’on rencontre » (Anton, 2012, p.59).

Nombreux sont les chercheurs (Duru-Bellat, 1988 ; Terrail, 2002) qui ont montré qu’à résultats scolaires comparables, d’autres facteurs tels le nombre d’années de retard, l’origine sociale des parents et la capacité de ces derniers à soutenir leur enfant durant l’année scolaire sont des critères qui influencent l’avis des enseignants quant à la décision d’orientation de l’élève. Il est fort probable que dans ce contexte, un enfant confié à une famille d’accueil qui rencontre des difficultés scolaires, se trouve plus facilement orienté vers une classe spécialisée qu’un jeune rencontrant les mêmes difficultés mais qui vit dans un contexte familial classique.

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