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Chapitre 1 : L’Accueil Familial Des Enfants Confies A l’Aide Sociale A L’enfance

1. De l’Assistance Publique à l’Aide Sociale à l’Enfance : Les fondements d’une

1.3. De l’Assistance Publique à l’Aide Sociale à l’Enfance : Du bien-fondé du placement

1.3.2. Le placement : une solution parmi d’autres

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les conditions de vie des français se sont grandement dégradées et les enfants sont les premières victimes de cette situation ; la mortalité infantile augmente de nouveau de façon importante. Dans ce contexte, le placement semble toujours être la meilleure chance de survie et d’éducation des enfants. Sous le nombre grandissant de demandes (y compris des milieux plus aisés) et avec la conviction de son bien- fondé, le nombre d’établissements croit de façon considérable dans les années 1950-1960 : « De belles propriétés que les particuliers n’ont pas les moyens d’entretenir, sont achetées à bon compte et converties en maisons d’enfants par les grands organismes publics, semi- publics » (David,, 2004, p.28). Au même moment et pour les mêmes raisons, le recrutement des familles d’accueil est à son paroxysme ce qui entraîne le recrutement de familles domiciliées de plus en plus loin du lieu d’origine de l’enfant. Cet éloignement implique une séparation quasi-totale de l’enfant et de sa famille qui, du fait de la distance, des règlements (encadrement stricte des jours et heures de visites) et de l’accueil reçu de la part de la nourrice et/ou de leurs propres enfants (certains enfants refusent de voir leurs parents), décourage souvent les familles à donner suite.

Dans ce contexte de toute puissance de l’Assistance Publique, le traitement de la délinquance des mineurs est pour la première fois, clairement séparé de la justice des adultes par l’ordonnance 45-174 du 2 février 1945 qui précise dans son article 1er que « le mineur n’est pas déféré devant les juridictions de droit commun, mais devant le tribunal pour enfants en cas de délit ou devant la cour d’assises des mineurs en cas de crime ». Cette ordonnance affirme d’une part, la volonté d’éduquer plutôt que de punir, et d’autre part, pose le principe qu’un enfant ne peut être réellement coupable de ses actes mais surtout, qu’il est victime du contexte dans lequel il grandit. Cette réforme aboutit à la création dans chaque département d’un ou plusieurs tribunaux pour enfants et à l’institution d’un juge spécialisé, le juge des enfants (ordonnance du 1er septembre 1945). Parallèlement, une administration spécialisée,

indépendante de l’Administration Pénitentiaire, est créée au ministère de la Justice : la Direction de l’Education Surveillée, remplacée aujourd’hui par la Direction de la Protection Judiciaire de La Jeunesse (décret du 21 février 1990), dont l’objectif est de mettre en œuvre le droit à l’éducation pour les mineurs délinquants. Dès lors, peu de choses séparent « l’enfance en danger » de « l’enfance délinquante » mais « ce mélange des genres destiné à éviter de stigmatiser les enfants délinquants, aboutit paradoxalement à nuire aux enfants en danger, plus ou moins assimilé aux délinquants » (Dekeuwer-Defossez, 1991, p.99).

Avec l’ordonnance du 23 décembre 1958, le domaine d’intervention de la justice des mineurs s’étend à l’enfance en danger en donnant la compétence au juge des enfants, de prendre des mesures éducatives à l’égard des enfants en danger. Dès lors, l’Assistance Publique, nommée pour la première fois dans les textes, « Aide Sociale à l’Enfance », accueille aussi bien et de façon indifférenciée, des enfants abandonnés, orphelins, en dangers et/ou délinquants. En outre, le placement cesse d’être la seule solution et l’assistance éducative peut désormais s’exercer au sein de la famille ; c’est l’action éducative en milieu ouvert (AEMO). L’ordonnance de 1958 est suivie du décret du 7 janvier 1959 qui précise que l’ASE exerce désormais « une action sociale préventive auprès des familles dont les conditions d’existence risquent de mettre en danger la santé, la sécurité ou la moralité de leur enfant » (article 1er). La notion de « prévention » apparaît pour la première fois dans les textes. Par conséquent, si tous les enfants sont susceptibles d’être pris en charge de la même façon, il ressort des textes que l’ASE a un rôle plutôt « préventif » (elle intervient en amont du danger pour « prévenir » les risques) tandis que la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ) a un rôle plutôt « curatif » puisqu’elle intervient à la suite d’un danger avéré pour protéger l’enfant de ses parents (le juge impose la décision de placement aux parents).

En 1964, l’aide sociale à l’enfance est déléguée aux départements et les DDASS (Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale) sont créées. Sous la responsabilité de l’Etat, chaque département doit prendre en charge des enfants confiés ou retirés. La loi du 4 juin 1970 relative à l'autorité parentale confirme les orientations de l'ordonnance du 23 décembre 1958 en faisant du maintien de l’enfant dans sa famille une priorité. Les années 1970 voient alors se professionnaliser le secteur social avec l’apparition de travailleurs sociaux « officiels » tels les éducateurs spécialisés ou les assistants sociaux. La loi du 5 juillet 1974 ramène la majorité civile de vingt-et-un ans à dix-huit ans ce qui aurait pu avoir des conséquences désastreuses sur la prise en charge des jeunes confiés à l’Aide Sociale à

un ans. C’est donc pour éviter de les pénaliser que le décret du 18 février 1975, permettant au juge des enfants d’organiser une protection judiciaire pour les « jeunes majeurs » âgés de dix- huit à vingt-et-un ans, est institué de façon provisoire mais qui finalement, est toujours d’actualité. Ainsi, un jeune de dix-huit ans, peut demander au juge des enfants d’être protégé une année supplémentaire et ce, jusqu’à vingt-et-un ans. En revanche, si le jeune peut demander la protection jusqu’à vingt-et-un ans, nul ne peut obliger un jeune majeur à être protégé contre son gré et rien n’oblige non plus le juge à accepter la mesure.

En 1980, s’opère une véritable révolution dans la prise en charge des enfants avec le rapport Bianco-Lamy, effectué à la demande du ministère et fondé en priorité sur des considérations budgétaires. Les auteurs montrent alors comment s’exerce la « compétition des pouvoirs » (entre institutions, justice, associations et établissements), et surtout, encouragent le maintien des enfants à domicile. Les auteurs précisent en outre, qu’enfants et parents sont les grands absents de la protection de l’enfance, mettant ainsi le doigt sur un problème vieux de plusieurs siècles. Dans le même temps, la mortalité infantile diminue grandement et aux contraintes hygiénistes supplantent désormais des préoccupations psychologiques liées notamment aux conséquences néfastes de la séparation entre enfants et parents, imposée par le placement. En effet, les connaissances dans le champ de la psychologie du développement de l’enfant (Winnicot, 1969, 1970 ; Bowlby, 1969 ; Spitz, 1968) trouvent écho dans tous les pays du monde et des études approfondies, comme en France avec les travaux du Docteur Jenny Aubry (1950) ou encore ceux de Myriam David, Jeanine Noel et Michel Soulé (1973) voient le jour. Tous les auteurs posent un constat alarmant sur l’état de santé et de développement des enfants. En effet, dès les années 1950, Aubry, met en évidence l’existence d’une « valse » d’enfants, dénonçant le fait que sur quatre-vingt enfants âgés d’un an à trois ans, accueillis de façon transitoire en attendant le placement en famille d’accueil, « nombre d’entre eux ont connu de dix à quinze déplacements en moins de deux ans » (David, 2004, p.30). Myriam David écrit à ce sujet :

« Par exemple, tous les enfants sont changés de nourrice à deux ans parce que, mis à l’abri de la mortalité postnatale précoce chez des nourrices soigneusement sélectionnées et surveillés, ils sont considérés à cet âge en état de bénéficier sans dommage de nourrices moins qualifiées. La durée du séjour au Dépôt est indéterminée : certains restent quelques semaines, d’autres de nombreux mois, certains sont comme oubliés » (David, 2004, p.31).

L’auteure explique que la durée du retour au Dépôt dépend surtout de la possibilité d’organiser un convoi pour telle ou telle agence et utilise même le mot de « déportation » d’enfants. Elle ajoute donc que : « Quel que soit leur âge, les enfants partent par convois de huit à dix, avec des convoyeuses qui ne les connaissent pas et vers une destination inconnue d’eux » (David, 2004, p.31). Ainsi, les enfants sont bien souvent d’abord accueillis en établissement avant d’être placés dans une famille d’accueil repérée par l’ASE pour ces qualités. Ils sont ensuite retirés de cette famille à deux ans pour être confié à une famille moins qualifiée, ou alors car cette dernière non formée n’arrive pas à faire face à l’accueil de cet « étranger » perturbé et perturbant. Les enfants sont alors replacés en urgence dans un établissement ou/puis dans une nouvelle famille d’accueil qui habite loin de la famille d’origine de l’enfant ce qui entraîne des séparations durables. Dans son ouvrage sur le placement familial, Myriam David, alerte sur « l’état déplorable des enfants » confiés à l’ASE : « retards de développement, états psychotique et déficitaire, manifestations d’inadaptation au milieu d’accueil, troubles du comportement, échecs scolaires » (David, 2004, p.32). Elle parle alors d’« enfants semi-abandonnés et multiplacés ». Ruhaud (1997, p.53) reprend les conclusions de ses prédécesseurs en précisant que si le bilan des établissements est désastreux (« les enfants sont isolés, mènent une vie monotone, sans ouverture sur l’extérieur. […] Dans les pouponnières, l’enfant est maintenu au lit. Les soins dispensés par une multitude d’adultes sont impersonnels »), le placement familial est loin d’être une solution idéale due en priorité au fait que les accueillants ne sont pas formés à l’accueil d’enfants ayant vécus des situations difficiles. Il ajoute enfin que les perturbations dont souffrent les enfants sont imputées aux facteurs congénitaux ou héréditaires. Or, selon les psychologues et les psychiatres, les réactions des enfants sont bien, en partie, dues aux conséquences néfastes des séparations multiples traumatisantes (Fourès, 2009) liées aux placements et insistent sur la nécessité d’impliquer les parents dans l’éducation de leurs enfants ou, à minima, de les prendre en compte dans la prise en charge des troubles pouvant résulter de perturbations familiales.

Suite au rapport Bianco-Lamy et à l’émergence de la prise en compte des conclusions des cliniciens, la loi du 6 juin 1984, avance pour la première fois, l’idée d’une collaboration entre les parents et le service de prise en charge des enfants. L’accord des parents est désormais obligatoire pour une prise en charge socio-éducative et le placement hors du domicile n’est envisagé que si la situation de danger pour l’enfant, est avérée. En cas de retrait de l’enfant,

se retrouve sous la direction du Conseil Départemental (anciennement Général) et non plus de l’Etat.

La loi du 6 janvier 1986 renforce davantage encore les droits des familles en obligeant le juge des enfants à convoquer ces derniers et à réviser les situations au moins tous les deux ans. La durée des mesures d’assistance éducative est donc désormais limitée à deux ans pour lutter contre le fait que de nombreux parents ne se manifestaient plus ou n’avaient aucun contact avec les services de placements pendant plusieurs années. Ainsi cette obligation légale tente de faire évoluer la relation des familles avec les intervenants mais paradoxalement, créé un sentiment d’insécurité chez l’enfant qui ne peut se projeter dans une relation stable et durable chez la famille d’accueil puisqu’il est susceptible de la quitter chaque année.

En 1992, sous l’impulsion de nombreux spécialistes dont Myriam David qui combattent le mot « placement », le « placement familial » est remplacé par « l’accueil familial ». En effet, les multiples placements dont les enfants sont victimes sont décriés par les spécialistes qui utilisent le terme d’enfants « déplacés ». Le choix du mot « accueil » signifie la volonté d’intégrer l’enfant au sein d’une famille et non pas de le « placer » dans cette même famille comme un objet ce qui prouve l’évolution concernant l’intérêt, au moins théorique, qui commence à être porté sur l’aspect psychologique de la prise en charge des enfants.

Les différentes mesures législatives votées depuis 1945 ont abouti à une première baisse significative d’enfants confiés à l’ASE. De 800 000 en 1960, ils sont moins de 120 000 à la fin des années 1990 (Ruhaud, 1991, p.54). Myriam David constate en 1993, que la « clientèle » de l’ASE a changé : « A l’heure actuelle, [les placements] concernent à peu près exclusivement la catégorie des « cas lourds » d’enfants de familles à problèmes multiples, qui n’abandonnent pas leur enfant, qui même ne veulent pas s’en dessaisir mais qui ne lui apportent pas les soins adéquats et le mettent en danger » (David, 1993, p.18). Ces placements devenus plus rares entraînent cependant aussi leurs lots de difficultés puisque comme le souligne Berger (2016), plus un enfant est placé tardivement, plus les séquelles en termes de développement physique, psycho-affectif et comportemental peuvent être importantes.

Comme si le baromètre s’était inversé, nous observons actuellement un désaccord qui oppose les partisans du maintien dans la famille aux spécialistes de plus en plus nombreux qui prônent un placement précoce afin d’éviter les multiples séquelles ultérieures dans la vie de l’enfant. Ainsi, de plus en plus de professionnels de la question dénoncent les temps trop longs entre le premier signalement, dans des familles souvent connues défavorablement par

les services sociaux, et l’âge du premier placement. Daniel Rousseau (2016) a étudié le devenir d’une cohorte de 129 enfants placés à l’ASE de Maine et Loire avant l’âge de quatre ans et constate que « si 25 enfants, soit 20 % de la cohorte (28 % dans notre précédente enquête 2002-2004), ont été placés dans le premier mois suivant l’alerte – dont 21 dans les suites immédiates de la naissance – le dernier quart a été placé entre 19 mois et 46 mois après la première alerte sociale. Ce délai paraît très long au regard du jeune âge des enfants et de la gravité des tableaux cliniques observés à l’admission. De tels délais sont loin d’être rares dans les placements de jeunes enfants » (p.354). D’autres chercheurs avant Rousseau ont déjà souligné le délai trop long en France entre le moment du signalement et le placement (Séverac, 2006). Or, des chercheurs ont montré qu’un enfant exposé trop longtemps aux défaillances parentales développent de graves difficultés physiques et comportementales (Rousseau, 2016 ; Ward, 2010 ; Davies, 2012).

Conclusion :

Au regard du récit historique que nous venons de faire, nous pouvons voir que l’attention portée sur l’enfance en danger est relativement récente puisque cette notion n’apparaît réellement qu’au XIXème siècle et qu’elle évolue au gré des priorités et des connaissances du moment.

A la suite de nombreux rapports et circulaires (Bianco Lamy, 1980 ; Dupont Fauville, 1973 ; Questiaux, 1982) il a semblé important pour le législateur de redéfinir les missions du service de l’Aide Sociale à l’Enfance au moment où cette compétence de protection de l’enfance était transférée aux Départements. La protection sociale en faveur de l’enfance en danger se trouve contrainte d’évoluer selon les nouveaux publics accueillis ce qui aboutit à une nouvelle succession de lois tout au long du XXIème siècle.

2.

Le fonctionnement du dispositif de protection de l’enfance de nos

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