• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 : L’Accueil Familial Des Enfants Confies A l’Aide Sociale A L’enfance

3. L’accueil familial en France

3.2. Les familles d’accueil de l’an 2000

3.2.1. Caractéristiques des familles d’accueil

Faute de données claires et précises sur la typologie des assistants familiaux au niveau national, il apparait difficile de dresser un « portrait-type » de ces professionnels si tant est que cela soit possible, tant l’hétérogénéité semble être la règle en fonction notamment de l’âge et du lieu de vie de l’assistant familial. Pourtant, au moins une caractéristique semble dominer le métier d’assistant familial depuis la nuit des temps : il s’agit d’un métier quasi exclusivement exercé par des femmes. Cela s’explique par le fait que jusqu’à récemment, l’éducation des enfants relevait traditionnellement et quasi exclusivement du domaine féminin. Pour autant, il semble que l’évolution des mentalités sur ce sujet et la volonté de professionnaliser le métier commence à attirer de plus en plus d’hommes. Une enquête menée par Olivier et Weil en 2009 dans les régions Centre et Ile de France recense 51 candidats (pour 381 candidates) au Diplôme d’Etat d’assistant familial alors qu’il n’y en avait aucun en 2008. Ces hommes étaient alors uniquement des conjoints d’assistantes familiales en reconversion professionnelle. De fait, outre une volonté d’exercer le métier, l’agrément du conjoint peut trouver sa motivation dans le fait de permettre le maintien de l’accueil durant une absence momentanée de la personne détentrice de l’agrément. En effet, même si c’est bien la famille qui accueille un enfant confié par l’ASE, seul(e) l’assistant(e) familial(e) est agréé(e) et rémunéré(e) ce qui signifie que les autres membres de la famille (conjoint, enfants y compris majeurs) ne peuvent accueillir l’enfant pendant une absence de la personne agréée (sauf mention contraire prévue par le contrat d’accueil) ce qui a pour conséquence que pendant toute absence, même temporaire de cette personne (maladie, décès d’un proche, hospitalisation), l’enfant doit être confié à une autre famille ou à un établissement. Alors se pose la question délicate du positionnement du conjoint à qui l’on demande de s’investir sans pour autant avoir de légitimité. Caroline Helfter (2011) souligne que « jouer un rôle de père sans en avoir la légitimité est une position difficile à tenir, en particulier lorsqu’il s’agit

majeurs demandent un agrément pour assurer la continuité du placement et obtenir un statut officiel auprès de l’enfant accueilli car comme le souligne un rapport réalisé par l’Igas (Inspection générale des Affaires Sociales) en 2013 (Paul & Verrier, 2013), la place du conjoint « reste floue » malgré le fait qu’il « contribue à l’équilibre familial et ce faisant il contribue à l’équilibre du placement familial, voire, à son bon déroulement » (p.4).

Par ailleurs, le placement familial a, pendant de nombreux siècles, été exclusivement réalisé en milieu rural ce qui explique le fait que ce sont principalement les femmes d’agriculteurs qui s’occupaient des enfants de l’aide sociale. Cela permettait d’une part de compléter le revenu familial et d’autre part, d’apporter une main d’œuvre gratuite pour aider le mari aux travaux de la ferme dès que l’enfant était en âge de travailler. Cependant, le fait de résider en milieu rural et d’être issu du milieu agricole, ne constitue plus à l’heure actuelle un motif naturel d’agrément, et nous voyons apparaître dans certains départements, de nouveaux publics exerçant ce métier. Ainsi, une enquête de l’IGAS réalisée en 2013 et basée sur l’étude de plusieurs dossiers d’enfants confiés à des familles d’accueil dans cinq départements français souligne que le département de Seine Saint Denis « présente des caractéristiques très particulières : les assistants familiaux, désormais quasiment tous originaires du Maghreb, de première ou de seconde génération, ont souvent pratiqué une autre profession antérieurement (et rarement le métier d’assistant maternel), sont devenus assistants familiaux lorsque leurs propres enfants ont quitté leur domicile, ont eu connaissance de ce métier essentiellement par le bouche à oreilles » (Paul & Verrier, 2013, p.94).

Nous voyons donc apparaître une différence dans les caractéristiques et les motivations des familles d’accueil en fonction des générations et des départements même si quelques traits communs semblent cependant exister comme l’âge moyen d’exercice du métier. En effet, l’enquête de l’IGAS fait ressortir que la pyramide des âges des assistants familiaux est « inquiétante » puisque dans certains départements comme l’Indre et Loire, 55% des assistants familiaux sont âgés de plus de 50 ans (Paul S. & Verrier, 2013). En 2015, ils sont plus de 57% à être âgés de plus de 55 ans dans les Pyrénées Atlantiques (ONED, 2015) ce qui laisse non seulement entrevoir des difficultés d’accueil pour les années à venir mais aussi des conditions de vie pour l’enfant et la famille d’accueil qui témoignent d’un risque élevé de conflits entre les générations dû à un écart d’âge important entre l’enfant accueilli et les parents d’accueil.

Par ailleurs, malgré une volonté de professionnaliser le métier d’assistant familial, le constat dix ans après la création du diplôme d’état est assez mitigé puisque selon une enquête de l’ONED datant de 2015, seulement 16% de l’effectif global des assistants familiaux sont diplômés avec des disparités importantes selon les départements. Ainsi, deux départements enregistrent un taux de diplômés supérieurs à 40% tandis que vingt-et-un départements ont moins de 10% d’assistants familiaux diplômés. Ces pourcentages peu élevés nous incitent à penser que pour la majorité des assistants familiaux, le diplôme ne constitue pas pour leur métier au moins, un gage de qualité et de professionnalisme. Nous estimons que ce positionnement est le résultat de plusieurs décennies de pratique du « métier » sans proposition, ni obligation de formation, et qu’il est sous-entendu que la pratique familiale suffit pour la pratique professionnelle. En cela, le positionnement des assistants familiaux fait écho à celui d’autres professionnels exerçant à domicile comme les assistantes maternelles agréées à la journée ou les professionnels de l’aide à domicile qui interviennent au domicile des particuliers. Le point commun entre toutes ces professions étant le fait de prendre soin d’une personne dans le lieu clos et privé du domicile où les notions de professionnalité7, semblent difficiles à entrer. Cependant, malgré ces freins, les assistants familiaux diplômés précisent que « le diplôme leur donne plus d’assise, de confiance en eux, de légitimité, qu’il leur permet de prendre la parole et faire des demandes » (ONED, 2015, p.26). Les auteurs concluent en soulignant que le diplôme apparaît comme un critère de légitimité de la profession permettant ainsi aux assistants familiaux d’espérer pouvoir se hisser au même statut reconnu que les autres travailleurs sociaux.

Pour autant, même si l’assistant familial est, dans les textes au moins, devenu un professionnel à part entière, il n’en reste pas moins que son métier est « un métier pas comme les autres : sans horaires, sans vacances, sans week-ends, ni dimanches » (David, 2004, p.289). Les familles d’accueil ne sont ni les parents des enfants qu’elles accueillent, ni leur éducatrice ou leur thérapeute car comme le souligne Myriam David, elles n’en ont ni la formation, ni le statut. Leur rôle est de remplir auprès des enfants accueillis les principales fonctions éducatives que les parents ne sont pas en mesure d’accomplir, autrement dit, elles doivent jouer un rôle de « suppléance familiale » et non pas de « substitution parentale ».

7 Par « professionnalité » nous entendons ici « l’ensemble des compétences caractérisant les membres d’un

3.2.2. « Un métier pas comme les autres » (David, 1989, p.279) D’une place de substitution des parents, la famille d’accueil a désormais une place de « suppléante familiale » au sens donné par Durning c’est-à-dire une « suppléance » qui se « réfère simultanément à une absence même partielle de la famille, et à un supplément apporté par l’organisation éducative qui ne vient pas recouvrir strictement le manque » (Durning, 1995, p. 227). Autrement dit, la famille d’accueil n’est pas seule référente du jeune qu’elle accueille mais exerce bien une mission de suppléance parentale en collaboration avec les autres professionnels qui gravitent autour du jeune (éducateurs spécialisés, psychiatres, psychologues). Les familles d’accueil doivent adopter « un rôle parental pour l’enfant, mais aussi devenir des parents thérapeutiques, dans le but de modifier le sentiment fondamental de l’enfant vis-à-vis de lui-même et des autres » (Schofield & Beek, 2011). L’assistant familial, doit donc adopter une posture parentale suffisamment bienveillante pour donner une chance à l’enfant confié de « développer (ou retrouver) des capacités de résilience » (Richard, 2009, p.209). Pourtant, toute l’ambigüité de l’accueil familial en France réside il nous semble dans ce rôle parental dévolue aux familles d’accueil, qui semble simple en théorie mais qui se complique en pratique. En effet, la professionnalisation du métier impose une prise de recul de l’assistant familial alors qu’il est très difficile, voire impossible, d’assumer une fonction parentale sans être investi sur le plan affectif. Dans d’autres pays européens comme en Belgique par exemple, les familles d’accueil sont bénévoles et sont uniquement remboursées des frais générés par l’accueil. Il nous semble que la France, en choisissant de salarier et de professionnaliser les familles d’accueil entraîne une complexité, non pas dans la définition des rôles de chacun des protagonistes auprès de l’enfant confié, mais bel et bien dans la capacité à respecter ces rôles car apparait rapidement toute la complexité à se positionner entre un métier qui se professionnalise en ne prenant en compte que l’assistant familial, et la réalité d’une famille qui accueille au quotidien, « en son sein », des enfants en difficultés.

Par ailleurs, si les assistants familiaux endossent la responsabilité des « actes usuels » concernant l’éducation quotidienne de l’enfant, ils « ne sont pas toujours associés au temps de rencontres institutionnels (comme les réunions visant à faire le point sur la situation de l’enfant entre les différents acteurs qui interviennent au sein d’une même situation, ou encore lors des audiences ou des rendez-vous administratifs visant à reproduire l’accueil de l’enfant) » (Capelier, 2014, p.14). Ce constat était encore d’actualité en 2013 puisque selon Piraud-Rouet « l’intégration des assistantes familiales dans les équipes laisse encore à désirer. Celles-ci demeurant souvent tenues à l’écart des réunions de synthèse » ce qui génère chez

elles un sentiment de frustration et d’isolement qui rend plus difficile encore la prise de distance et le professionnalisme demandés par les professionnels de l’ASE. Ambiguïté qui s’accentue encore dans la mesure où certains dispositifs s’attachent à brouiller les limites entre vie personnelle et vie professionnelle. En effet, si l’enfant confié à une famille d’accueil devient « adoptable » au cours du placement, la première personne à qui l’adoption est proposée, est la famille d’accueil. N’y a-t ’il pas une contradiction entre ce qui est exigé des familles d’accueil, c’est-à-dire, être professionnelles et ne pas considérer l’enfant comme le sien et le fait de demander à la même famille de considérer la possibilité d’une adoption de cet enfant à qui elle n’est pas sensée s’être attachée comme un parent ? Or, en cas de refus de cette dernière, l’enfant et la famille doivent continuer à vivre avec le poids du refus d’adopter. L’enfant peut se sentir doublement rejeté et se considérer uniquement comme une source de revenu tandis que la famille d’accueil se retrouve à devoir justifier son refus pour avoir considéré sa fonction d’assistante familiale, avant tout, comme un métier, ce qui lui est demandé au départ. Cela met en lumière tout le paradoxe du métier d’assistant familial et la difficulté d’exercer une profession qui n’est que rarement reconnue comme telle par tous les protagonistes concernés.

En outre, il semble que la population des enfants confiés change ces dernières années avec de plus en plus d’enfants rencontrant des troubles multiples du comportement et de la personnalité. En effet, les actions éducatives de prévention, visant à aider les parents à assurer au mieux leur rôle auprès de leurs enfants, ont pour conséquence un placement plus tardif des enfants et par conséquent, une multiplicité des problématiques chez l’enfant confié et des difficultés d’accueil et d’éducation grandissantes pour les familles d’accueil. Déjà en 1999, Ruhaud soulignait que « lorsque la séparation devient nécessaire, souvent après un long travail visant à l’éviter, il s’agit de situations très difficiles, de familles à problèmes multiples, d’enfants ayant souffert de négligences graves, de carences relationnelles, de mauvais traitements voire d’abus sexuels. La difficulté de leur éducation heurte les illusions de l’assistante maternelle. Elle peut déstabiliser son équilibre personnel et familial, envahir sa vie quotidienne, provoquer déception et insatisfaction » (Ruhaud, 1999, p.30). Dans les faits, « l'assistante familiale va devoir cheminer de l'enfant accueilli imaginaire à l'enfant accueilli réel » (Nouvel, 2008, p.41) ; c’est ce que Myriam David a nommé la phase de « l’après- idylle » c’est-à-dire que la famille d’accueil et notamment l’assistante familiale peut se trouver ébranlée, déstabilisée dans son rôle de « mère » face à un enfant qui ne correspond pas

l’affection qu’elle souhaite lui offrir ou au contraire qui accapare toute son attention et son temps au détriment de ses propres enfants. Ainsi, même si une formation obligatoire de 300 heures existe pour exercer ce métier (durée la plus courte pour un diplôme du travail social de niveau 5), nous pouvons nous demander si elle est suffisante au regard des difficultés quotidiennes que rencontrent les assistants familiaux face à l’accueil de jeunes aux problématiques de plus en plus variées.

Enfin et surtout, être assistant familial n’est pas un métier comme un autre car il nécessite d’être présent et disponible pour l’enfant confié à tout moment du jour ou de la nuit, durant les week-ends, voire même durant les vacances car si les assistants familiaux ont droit à cinq semaines de congés par an, en pratique, rares sont ceux qui profitent réellement de ces congés car cela signifie pour beaucoup d’accepter la culpabilité de confier l’enfant à une autre famille d’accueil. Les enfants confiés sont donc présents dans les moments les plus intimes de la vie familiale (fêtes de famille, vacances, décès d’un proche), partageant avec la famille d’accueil les joies et les peines du quotidien, apparaissant sur les photos au mur de la maison et s’inscrivant dans l’histoire de la famille d’accueil. L’assistant familial doit donc s’occuper d’un enfant qui n’est pas le sien mais en lui apportant tous les soins physiques et psychologiques dont celui-ci peut avoir besoin. Il apparaît donc un décalage entre les attentes du métier tel qu’il est défini par le législateur et les difficultés que peuvent rencontrer l’assistante familiale et au-delà, la famille d’accueil toute entière car « même si tout métier mobilise l’identité personnelle du sujet, ce constat est d’autant plus vrai chez les assistants familiaux pour au moins deux raisons : la spécificité du métier (accueillir chez soi 24 heures sur 24 un enfant en souffrance séparé de ses parents) qui fait particulièrement appel à des émotions et sentiments relatifs à la sphère de l’expérience et de l’histoire personnelle ; et l’absence ou la faiblesse de l’identité professionnelle » (Euillet, 2010, p.79). Les frontières entre sphère privée et sphère professionnelle, loin d’être parfaitement séparées, s’entrelacent quotidiennement car « c’est un métier qui sollicite l'assistante familiale à la frontière d’un dedans et d’un dehors, de l’intime et du professionnel » (Nouvel, 2008, p.39) et qui en cela, en fait un métier unique et différent de tous les autres.

Conclusion :

Malgré les efforts législatifs des quarante dernières années, il apparaît qu’empreinte d’une histoire vieille de deux millénaires, il faudra dans les faits, beaucoup plus que des lois, pour modifier les pratiques de l’accueil familial et faire reconnaître le métier d’assistante familiale comme un métier à part entière.

En effet, nous constatons que malgré le dernier décret de 2005 reconnaissant pour la première fois le statut d’assistant familial comme un métier du travail social, le constat, dix après, n’est pas encore optimal et dans les faits, beaucoup d’assistants familiaux ne sont pas considérés comme des membres d’une équipe pluridisciplinaire à part entière. Et pour cause… L’assistant familial n’est pas un travailleur social comme un autre puisqu’il est le seul à partager sa maison et sa famille au quotidien avec un ou plusieurs enfants confiés par l’ASE ou une association déléguée, durant une durée qui peut aller de quelques jours à plusieurs années. Ces enfants, plus connus sous la terminologie d’« enfants placés » qui a longtemps prévalu, ont chacun, une histoire singulière, douloureuse qui démarre parfois dès la vie intra utérine.

Outline

Documents relatifs