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Le choix de l’entretien semi-directif comme outil méthodologique

Chapitre 5 : Elaboration de la recherche

1. Le choix de l’entretien semi-directif comme outil méthodologique

d’autant plus vrai lorsqu’il s’agit de livrer à un chercheur une partie intime de sa vie privée qui peut faire écho à de douloureux souvenirs comme cela peut être le cas concernant une situation de placement durant l’enfance. C’est donc dans un souci d’établir un rapport relatif d’égalité entre l’enquêteur et l’enquêté de façon à ce que ce dernier se sente en toute confiance pour parler de son vécu, que l’entretien compréhensif a été inventé comme technique d’enquête sociologique par Roethlisberger et Dickson (1943). Selon Labov et Fanshel (1977), « un entretien est un « speech event » (Hymes, 1968) dans lequel une personne A extrait une information d’une personne B, information qui était contenue dans la biographie de B » (Blanchet & Gotman, 1992, p.82). Précisons alors que pour les auteurs, le terme de « biographie » signifie ici « l’ensemble des représentations associées aux événements vécus par B ». Par conséquent, cela signifie que l’information en question aura été vécue par B (le sujet enquêté) et qu’elle sera donc restituée à A (le chercheur) avec une déformation de l’expérience réellement vécue. L’enquêteur cherche donc à recueillir le récit de la personne enquêtée à partir d’une orientation non directive. Cette méthode s’inspire directement de celle utilisée par Carl Rogers (1945), psychothérapeute, qui, durant ses entretiens cliniques, utilisait le principe de non directivité pour aider ses patients (Dumez, 2013) et qui l’a, par la suite, appliquée au domaine de la recherche. Cela étant, la non- directivité étant impossible dans un travail de recherche en sciences sociales, nous avons opté pour l’utilisation semi-directifs, qui ont l’avantage de laisser la personne interviewée parler de son vécu tout en la guidant selon une trame préétablie par le chercheur. L’utilisation de cet outil présuppose donc que le thème de la recherche soit analysé d’un point de vue subjectif, à

à la pensée de Dilthey (1886) pour qui le monde n’existe que dans la représentation des individus (Blanchet & al., 2005, p.86).

Nous avons donc mené trente entretiens semi-directifs avec des jeunes confiés ou anciennement confiés à une famille d’accueil ayant obtenu le niveau baccalauréat et auprès de dix familles ayant accueilli ce profil de jeunes avec pour objectif de recueillir leur avis sur la problématique posée.

Outre le fait qu’il s’inscrit dans la lignée des courants de pensées précités, nous avons choisi l’entretien comme outil méthodologique afin de laisser aux personnes enquêtées une large marge d’initiative dans leurs réponses. En effet, à l’opposé de l’enquête par questionnaire qui ne laisse que peu (questions ouvertes), voire aucune liberté (questions fermées) aux personnes interrogées, l’entretien semi-directif ou guidé doit être un réel moment de rencontre et d’échange entre l’enquêteur et l’enquêté qui va au-delà d’un simple prélèvement d’informations (Blanchet et Gotman, 1992). Il permet de travailler autour d’un thème fixé par l’enquêteur (dans notre cas, l’accrochage scolaire) lors de la phase de préparation tout en laissant libre cours à la personne interrogée de répondre comme elle l’entend.

Pour rappel, notre hypothèse, établit que la combinaison de plusieurs facteurs de protection, inhérents aux conditions de l’accueil familial, permet à l’enfant confié de développer un comportement résilient, grâce auquel il peut dépasser le traumatisme de la séparation avec ses parents et s’accrocher à sa scolarité, limitant ainsi les effets des facteurs de risque.

Par conséquent, les objets de notre recherche sont l’accrochage scolaire, l’accueil familial et les facteurs de protection pouvant exister chez les enfants confiés au sein d’une famille d’accueil. L’objectif étant de repérer, dans un premier temps, quels facteurs peuvent influencer le développement d’un comportement résilient chez les enfants confiés à une famille d’accueil, puis chercher à comprendre le lien entre ce comportement résilient et l’accrochage scolaire de ces jeunes. A chaque objet, sont alors associés des variables et des indicateurs. Pour exemple, les variables de réussite scolaire et de persévérance scolaire ont été associées à l’accrochage scolaire ; les indicateurs en jeu sont alors le niveau scolaire atteint par le jeune, le déroulement de sa scolarité ou encore, le choix de l’orientation. En tenant compte de ces éléments, nous avons fait ressortir la nécessité de poser une question ouverte sur le déroulement de la scolarité et une sur la notion de réussite scolaire, notion subjective selon les individus. Enfin, une question ouverte sur l’avis des personnes quant aux raisons de

leur accrochage scolaire nous a semblé nécessaire. Nous avons ensuite procédé de la même façon pour les questions liées à l’accueil familial et aux facteurs de protection.

Cependant, si les questions sont anticipées par l’enquêteur dans le guide d’entretien (Cf Annexe 2), elles sont posées sous forme de questions ouvertes dans un ordre aléatoire. Ces questions appellent donc des réponses complètes et nuancées, à partir d’un discours continu, qui permet de recueillir un maximum d’informations sur le sujet étudié. Cependant, si le guide d’entretien est indispensable en tant que fil conducteur, chaque entretien reste unique et dépend de la relation qui s’établit entre l’enquêteur et la personne enquêtée. Bourdieu (1980) précisait en cela, que l’entretien comme l’habitus est une « improvisation réglée ». « Improvisation » car chaque entretien est susceptible de se dérouler d’une façon particulière et de révéler des informations différentes, et « réglée », car le guide d’entretien, bien que non hiérarchisé, permet de garantir une homogénéité des questions abordées par l’enquêteur.

Enfin, nous avons choisi d’utiliser l’entretien compréhensif car nous souhaitions analyser le sens que les jeunes donnent à l’expérience familiale et scolaire qu’ils ont vécue. Le contexte de vie étant primordiale pour expliquer les raisons de l’accrochage scolaire de ces personnes dans le cadre de notre recherche, l’entretien comme technique d’enquête semblait le plus approprié pour mettre en exergue les interactions qui avaient pu entrer en jeu et faciliter ainsi l’accrochage scolaire des jeunes de notre recherche. La richesse de l’entretien tient alors dans le fait que la personne interviewée ne sait pas à l’avance ce qu’elle va dire puisqu’elle construit son discours au fur et à mesure de la discussion laissant quelques fois remonter à son insu des informations implicites qui deviennent alors explicites, se trouvant « dans l’obligation » de réfléchir et d’expliciter ce qui allait de soi, ce qui était jusqu’alors naturel et sur lequel, elle ne s’était probablement jusque-là, pas posée de question.

Précisons alors que l’entretien peut être utilisé comme outil principal ou complémentaire au questionnaire. Le choix de l’utilisation de l’entretien dépend donc de la finalité de ce qui est recherchée par l’enquêteur. Dans notre recherche, nous avons utilisé l’entretien comme seule technique d’enquête car notre hypothèse avait au préalable été posée en modèle explicatif, c’est-à-dire comme expliquant les raisons de l’accrochage scolaire chez ces jeunes et par conséquent, nous attendions que les données produites par les entretiens réalisés puissent être confrontées à notre hypothèse. Cette dernière établissant que la combinaison de plusieurs facteurs de protection, inhérents aux conditions de l’accueil familial, permet à l’enfant

traumatisme de la séparation avec ses parents et s’accrocher à sa scolarité,limitantainsi les effets des facteurs de risque, cela impliquait le choix de l’entretien comme outil d’expression libre et ouvert nous permettant de saisir la subtilité des interactions ayant joué un rôle prépondérant dans l’accrochage scolaire de ces personnes. En effet, comme le rappellent Blanchet et ses collègues (2005), il est indispensable de resituer les réponses de l’enquêté dans son contexte afin de ne pas dénaturer le propos et par conséquent, partir sur une mauvaise interprétation. Enfin, cette technique d’enquête présente l’avantage de respecter les cadres de références de la personne interviewée en lui permettant de s’exprimer dans son propre langage ce qui facilite donc la prise de parole et enrichit par conséquent, le contenu du discours et de l’analyse qui en découle.

Cependant, si l’entretien comme technique d’enquête présente de nombreux avantages, il a comme tout outil méthodologique, ses limites, qu’il a fallu apprendre à gérer. En premier lieu, il requiert une extrême rigueur du chercheur qui ne doit pas se laisser aller à converser avec le sujet interviewé en donnant son avis et son ressenti sur la question. Par ailleurs, si la longueur des réponses est un avantage important en termes de richesse et de contenu, cette méthode présente l’inconvénient d’être longue à retranscrire et donc à analyser ce qui limite de fait, le nombre de personnes avec qui s’entretenir notamment dans le cas d’une thèse qui doit être limitée dans le temps. Enfin, contrairement aux enquêtes par questionnaire par exemple, cette méthode n’a pas de mode d’analyse prédéfini et demande donc une grande rigueur du chercheur dans l’élaboration de la grille d’analyse de contenu qui doit être construite conjointement avec le guide d’entretien de façon à garder une cohérence dans la dynamique des propos recueillis et analysés.

De ce fait, afin de limiter le risque que le sujet interrogé s’éloigne trop de la question posée et dans le but d’optimiser le contenu de ses réponses, il est important en amont d’élaborer une guide d’entretien. Cette dernière, centrée sur le thème de recherche délimité à partir d’une recherche documentaire précise mais variée, évite de récolter trop d’informations superflues qui surchargeraient l’analyse des données. C’est pourquoi, avant de nous tourner vers l’élaboration du guide d’entretien et de la grille d’analyse, nous avons effectué un travail de recherche documentaire qui nous a aidé à déterminer nos axes de travail et nous a permis d’élargir et d’approfondir notre point de vue sur le sujet.

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