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PARTIE 2 : L’ACCROCHAGE SCOLAIRE DES ENFANTS CONFIES A UNE FAMILLE

1. Une scolarité jalonnée de quelques obstacles

1.1. Un taux de redoublement supérieur à la moyenne nationale

Parmi les trente personnes rencontrées, dix-huit ont déclaré avoir eu au moins une année de retard dans leur cursus scolaire infra bac. Parmi elles, onze ont redoublé une seule classe, six ont redoublé au moins deux classes et une est entrée à l’école avec deux ans de retard. Selon une étude menée par Sellenet (1999) auprès de 502 enfants confiés à l’ASE d’un même département en 1993 et scolarisés de la classe de primaire à la classe de Terminale, il apparaît que 37% des enfants ont un an de retard, 22,9% en ont deux et 4,8% ont au moins trois années de retard en comparaison avec leur groupe d’âge. Ainsi, près de 65% des enfants de cette étude enregistraient un retard scolaire. Même si notre échantillon n’est pas assez important pour effectuer une comparaison en termes de pourcentages, il apparaît quand même une similarité dans les résultats que nous avons trouvés et une constance du taux de redoublement pour les personnes de notre échantillon. Ainsi, 60% des individus de notre enquête ont au moins une année de retard contre 64,7% pour l’enquête de Sellenet. Or, un point nous semble

déroulée à partir d’une cohorte d’enfants scolarisés en 1993, période à laquelle la pratique du redoublement en France était beaucoup plus prégnante qu’aujourd’hui puisque selon une enquête PISA de 1993, le taux de redoublement en France parmi les élèves scolarisés en troisième s’élevait à 46%. Selon la même source, il est en 2013 de 24% soit une diminution de vingt-deux points. Cette baisse du taux de redoublants correspond aux nouvelles recommandations selon lesquelles le redoublement est à éviter car il est non seulement contre- productif à la réussite scolaire des élèves et par ailleurs, il a un impact négatif sur l’estime de soi des enfants (Leyrit, 2010). En effet, en 2004, le Haut Conseil de l’évaluation de l’école a jugé le redoublement inefficace, inéquitable et stigmatisant (Paul & Troncin, 2004). Loin d’être un phénomène nouveau, l’inefficacité du redoublement est pointée depuis de nombreuses années notamment par des études américaines (Holmes & Matthews, 1984 ; Jackson, 1975, cités par Paul & Troncin, 2004). Par ailleurs, de nombreux travaux ont montré que loin d’être perçu comme une seconde chance de réussite par les élèves, le redoublement est ressenti comme un échec par les enfants et les adolescents. Ainsi, selon Perrenoud (1996), l’enfant qui redouble se perçoit comme un « mauvais élève » et perd confiance en ses capacités car il se sent jugé négativement (Paradis & Potvin, 1993) par ses professeurs mais aussi par ses proches (Leyrit, Oubrayrie-Roussel & Prêteur, 2011).

Cependant, si le taux de redoublement a considérablement diminué depuis vingt ans dans la population en générale, il semble que les enfants confiés aux services de l’ASE soient encore parmi les plus touchés par le taux de redoublement que nous estimons, d’après notre échantillon, quasi similaire à celui enregistré par Sellenet il y a vingt ans. Notons par ailleurs, que ce ne sont pas nécessairement les personnes les plus âgées de notre corpus qui ont redoublé puisque parmi les trois plus âgés (Michel, 53 ans ; Stéphane, 42 ans ; Christophe, 39 ans) seul Stéphane a redoublé. Les personnes rencontrées lors de notre recherche témoignent du sentiment d’échec ressenti à l’annonce du redoublement.

J6 : « C’était un échec pour moi, je voulais pas ! ». (Vanessa, vingt-et-un ans, confiée durant dix-huit ans à la même famille d’accueil).

Certains jeunes rencontrés ont même préféré s’orienter vers une autre filière que celle initialement souhaité plutôt que de vivre le stigmate du redoublement une nouvelle fois. Ainsi, Justine (J20) et Maxime (J21) ont préféré renoncer à leur premier souhait d’orientation et s’orienter plutôt en filière technologique afin d’éviter un deuxième redoublement.

J20 : « A la fin de ma première année de bac, j’étais pas pour le redoublement, j’ai fait non, je veux pas redoubler, je vais dans un autre truc ! » (Justine, vingt-deux ans, confiée de huit à dix-huit ans à plusieurs foyers et familles d’accueil).

J21 : « Ah j’ai déjà redoublé, j’ai pas envie de redoubler une deuxième fois ! » (Maxime, dix-huit ans, confié de quinze à dix-sept ans).

Le redoublement ne semble pas respecter de règles d’équité et nous constatons que certains profils de jeunes semblent davantage à risque de redoubler que d’autres. Une enquête Pisa de 2014 indique que « across OECD countries, one in five (20%) socio-economically disadvantaged students reported that they had repeated a grade at least once since they entered primary school, while only 7% of advantaged students so reported »27. En France, un récent rapport sur les inégalités scolaires (Mons, 2016) souligne que si le redoublement est en diminution constante depuis une quinzaine d’années, les élèves issus d’un milieu social défavorisé (chômage du père ou de la mère) sont désormais davantage affectés par le redoublement.

Ainsi, si le statut socio-économique du jeune peut avoir une influence négative sur le risque de redoubler une classe, le sexe peut aussi avoir une influence sur le risque de redoubler. Parmi les personnes de notre recherche, nous avons rencontré treize garçons et dix-sept filles ; or, sur les dix-sept personnes ayant redoublé, nous comptons neuf filles pour huit garçons soit 53% de filles et 61,5% de garçons. Les garçons de notre étude ont donc davantage redoublé que les filles ce qui rejoint la tendance historique nationale puisque par le passé, davantage de garçons que de filles redoublaient au moins une classe à l’école. Ainsi, selon les enquêtes PISA de 2003 et 2012, ils étaient respectivement 83% et 47% à avoir redoublé ce qui prouve une diminution de cette tendance pour les garçons depuis une quinzaine d’années.

Loin de protéger l’enfant du risque de redoublement, le placement semble au contraire l’accentuer puisque selon Remacle, Jaspart et De Fraene (2012), un « événement déclencheur », c’est-à-dire un événement à partir duquel découle tous les problèmes familiaux menant au placement du jeune, est fortement corrélé avec le commencement des difficultés scolaires. Comme nous l’avons vu précédemment, il est fréquent que les enfants placés connaissent plusieurs lieux de vie avant de trouver un endroit stable où ils pourront tenter de reprendre le cours de leur vie. Les multiples placements qui peuvent avoir lieu au cours du

parcours au sein de l’ASE génèrent alors des déménagements et des changements d’établissements qui sont autant de ruptures psychologiques, sociales et scolaires puisqu’à chaque nouveau placement, l’enfant doit s’efforcer de s’adapter au plus vite à son nouveau lieu de vie ce qui n’est pas sans entraîner de risque de difficultés dans la scolarité. En effet, outre les ruptures avec les enseignants et les camarades de classe, le changement d’établissement implique que l’enfant sera « en avance » ou « en retard » sur le programme suivi par l’enseignant dans sa nouvelle école et par conséquent, il lui faudra s’adapter rapidement pour ne pas développer de difficultés scolaires. Parmi les jeunes redoublants que nous avons rencontrés, huit sur dix-sept ont connu plusieurs lieux de placements et parmi ces huit jeunes, sept ont redoublé une classe au primaire ou au collège. Il semble alors que la multiplicité des placements, notamment durant l’enfance et l’adolescence soit un risque accru de redoublement chez les enfants confiés.

Au regard des facteurs favorisant un risque de redoublement, il apparaît évident de retrouver une surreprésentation du nombre de redoublants parmi les jeunes que nous avons rencontrés puisque ces élèves réunissent la plupart des facteurs de risques repérés par les chercheurs. Aux difficultés personnelles et familiales se sont ajoutées des difficultés propres au placement qui ont entraîné un bouleversement dans la vie du jeune et une nécessaire adaptation de ce dernier à la nouvelle vie qui se présente à lui. Certains enfants ont plus de difficultés que d’autres à s’adapter au placement notamment quand celui-ci intervient tardivement et qu’il implique déménagements de lieu de vie et changement(s) d’établissement(s). Dès lors, l’enfant confié à l’ASE se trouve bouleversé dans son mode de vie et les difficultés scolaires, qui pouvaient déjà être présentes de par les facteurs antécédents au placement, s’accentuent encore. Certains jeunes, peuvent s’adapter rapidement aux changements générés par le placement et leur scolarité peut ne pas trop en souffrir. Pour d’autres, l’adaptation peut être plus longue et difficile notamment quand les relations avec les parents restent compliquées au cours du placement ce qui peut plonger l’enfant dans un désarroi qui le détourne de la problématique scolaire. Dès lors, les difficultés commencent à s’accentuer et le redoublement apparaît parfois, aux yeux des enseignants, comme une deuxième chance offerte à l’enfant. En effet, nombreux sont les enseignants qui, malgré les effets négatifs du redoublement, démontré depuis de nombreuses années, continuent de le pratiquer en étant convaincus de son intérêt pour les élèves (Boraita et Marcoux, 2013 ; Crahay, 2007 ; Draelants, 2006 ; Pouliot & Potvin, 2000).

Parmi les classes les plus fréquemment redoublées, les « classes palliées » semblent particulièrement difficiles à franchir puisque les classes de Sixième, Seconde et Terminale ont été chacune redoublées par quatre personnes à chaque fois. Viennent ensuite les classes de Quatrième et de CE1 pour deux personnes. Pour ces enfants, le collège semble un niveau particulièrement difficile à franchir puisque parmi les dix-huit personnes ayant redoublé, six personnes ont redoublé au moins une classe de primaire, huit ont répété au moins une classe de collège et sept personnes une classe de lycée.

Selon certaines assistantes familiales, la décision de redoublement n’est pas toujours fondée sur des critères objectifs en termes de résultats scolaires mais prend plutôt en compte des critères familiaux et notamment la situation d’enfant placé.

Mme H : « C’était son institutrice, c’était la directrice d’école […] il était du 4 janvier et elle me dit :

- Ce serait le mien, il passerait pas en CP ! Euh…, et ben j’ai dit :

- Oui mais malheureusement, c’est pas le vôtre !

Donc je lui ai fait faire les attestations qu’il faut et du 04 janvier au 31 décembre, excusez-moi mais y a cinq jours ! Et j’ai fait faire les attestations par la PMI, j’avais une, un médecin de la PMI excellent qui suivait l’enfant petit, elle m’a dit :

- Y a pas de raison ! Il passe !

Il est passé et bon après, il a dû redoubler le CM2. Et puis bon après, il a grimpé ! ». (Famille d’accueil n°8, a accueilli Nicolas durant vingt-et-un ans).

Le point de vue des assistantes familiales fait écho aux travaux de plusieurs chercheurs (Paul & Troncin, 2004 ; Vallet & Caille, 1996) qui ont mis en lumière le fait que les enfants d’origine sociale modeste ou d’origine étrangère vivent plus fréquemment une décision de redoublement. De même, avoir une mère qui a fait des études ou avoir fait soi-même trois ans ou plus de maternelle augmente les chances de ne pas redoubler. Enfin, les chercheurs ont constaté que les garçons connaissent plus souvent un redoublement au cours de la scolarité primaire, de même que les enfants appartenant à des familles de trois enfants ou plus, ou encore à une famille monoparentale (Paul & Troncin, 2004, p.8). Or, parmi les personnes interrogées dans le cadre de notre recherche, il apparaît un milieu social le plus souvent modeste, voire précaire, au sein duquel les parents sont séparés et les familles déchirées. Quatorze personnes sur dix-huit ayant redoublé appartenaient à une famille ayant plus de trois enfants et au moins douze personnes étaient issues de familles monoparentales. Il apparaît donc que les jeunes de notre échantillon correspondent au profil des élèves sujets à redoublement répondant ainsi aux critères énoncés par de nombreux chercheurs (Bressoux,

ressort de nombreuses enquêtes que les motifs liés à la proposition de redoubler sont davantage corrélés aux caractéristiques personnelles et familiales des élèves plutôt qu’à leurs résultats scolaires. Selon Marcoux et Crahay (2008), au-delà des résultats scolaires, ce qui semble déterminant dans la décision de redoublement des enseignants, c’est bien « l’histoire individuelle et/ou familiale de l’enfant, la situation actuelle de la famille, la disponibilité et le niveau de formation des parents et/ou des grands-parents » (p.502). Ainsi, comme le dit Bressoux (2004), « le jugement scolaire est aussi un jugement social » (p. 72) ce qui peut expliquer en partie, la surreprésentation d’élèves ayant redoublé parmi les jeunes que nous avons rencontrés.

Pourtant, si le taux de redoublement pour les jeunes de notre échantillon est nettement supérieur à la moyenne nationale établie pour l’ensemble des enfants scolarisés, il semble que le taux de scolarisation en classe spéciale soit moins important que la moyenne établie pour l’ensemble des enfants confiés aux services de l’ASE.

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