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PARTIE 2 : L’ACCROCHAGE SCOLAIRE DES ENFANTS CONFIES A UNE FAMILLE

1. Une scolarité jalonnée de quelques obstacles

2.1. Le choix du baccalauréat

2.1.4. Les équivalences au bac : le choix de la persévérance

Parmi les trente personnes que nous avons rencontrées dans le cadre de cette recherche, deux n’ont pas atteint la classe de Terminale et n’ont donc jamais passé les épreuves du baccalauréat. En effet, l’une s’est retrouvée en situation de décrochage scolaire à l’âge de seize ans et a commencé directement à travailler tandis que l’autre, a obtenu successivement deux Certificats d’Aptitude Professionnelle avant de lancer dans la vie active. Pour des raisons différentes, ces deux personnes ont décidé après quelques années d’activité professionnelle de tenter d’obtenir un diplôme équivalent au niveau baccalauréat via l’obtention du Diplôme d’Accès aux Etudes Universitaires (DAEU) à dominance littéraire.

Si aucun niveau d’étude n’est exigé pour se présenter aux épreuves du DAEU, il est en revanche obligatoire d’être âgé de vingt ans minimum et de justifier d’au moins deux années d’activité professionnelle salariée ou d’être âgé d’au moins vingt-quatre ans.

Afin de mieux comprendre les raisons qui ont amené Laetitia (J24) et Christophe (J26) à reprendre leurs études après quelques années d’interruption, nous retranscrivons quelques passages d’entretien qui nous semblent refléter leur cheminement.

J24 : « J’ai fait un BEP carrières sanitaires et sociales parce que je voulais être éduc voilà donc ben par contre, en sortant de carrières sanitaires et sociales, je me suis dit : « bon, tu fais quoi ? […] Parce que le sanitaire et social, qu’on le veuille ou non, c’est repartir sur d’autres études. On peut pas faire quelque chose avec un BEP comme ça en sortant ! […] Donc du coup ben, je me suis renseignée sur les métiers qui pouvaient me plaire et donc y en avait deux à ce moment-là qui me plaisent toujours d’ailleurs. Euh… serveuse ! Parce que je voulais aller servir en Espagne, voilà ! Et la pâtisserie ! Parce que je trouvais qu’autour d’un gâteau en fait, bon déjà, je suis hyper gourmande ! Et je trouvais qu’autour d’un gâteau, il se passait plein de choses et ça, ça m’intéressait ! Du coup ben j’ai été prise en pâtisserie à [nom d’un village où se trouve le lycée hôtelier] donc ben deux ans de BEP […] Mais en sortant de ce BEP voilà hein ! Retour à la réalité... tadam ! C’est beaucoup moins sympa ! Bon qu’est-ce que tu vas faire de ta vie ma petite Laetitia ? Parce que pareil avec un BEP pâtisserie on va pas très loin ! C’est un niveau trop bas ! Et puis moi j’avais un gros manque de confiance en moi en fait ! Je parais très sûre de moi mais je parais juste ! Donc du coup là j’ai pris le métier que je pouvais prendre à ce moment-là donc j’ai été auxiliaire de vie pendant deux ans. Ouais deux ans, deux ans environ, deux, trois ans ! Et alors sur la première année, en même temps que j’étais auxiliaire de vie, je faisais le ménage à Intermarché le matin voilà, donc… ça va un moment quoi !

Chercheur : Hum, hum.

J24 : Moi je voulais un métier, je voulais quelque chose dans les mains, quelque chose dans lequel je m’éclate ! Et c’est pas aller récurer les toilettes tous les matins dans lequel on s’éclate ! Puis les personnes âgées, moi la ponctualité, c’est franchement pas mon fort et du coup, travailler à domicile, c’était pas gérable ! C’était compliqué ! Bon j’ai réussi à le faire, ça s’est bien passé mais bon ! Et puis donc, une fois que j’ai fini le ménage à Intermarché, j’ai démissionné et je suis passée en tant que plongeuse dans un resto. Donc là, je me suis dit : « Bon, qu’est-ce que tu fais ? Tu vas peut-être pas non plus faire n’importe quoi ! ». Là, j’ai décidé de passer mon Bac ! En validation, donc j’ai réussi à l’avoir ! Bon je sais pas trop comment encore mais je l’ai eu !

Chercheur : Quand vous dîtes en validation ? C’était ?

J24 : En fait, on pouvait accéder à des diplômes de niveau Bac.

Chercheur : D’accord. Et donc c’est le diplôme d’accès aux études universitaires que vous avez fait ?

J24 : Oui ». (Laetitia, vingt-neuf ans, confiée de douze à dix-huit ans à la même famille d’accueil).

J26 : « Jusqu’à l’âge de, jusqu’à ce que je perde mon père, j’ai perdu ma mère à l’âge de trois ans, et donc jusqu’à ce que je perde mon père à l’âge de treize ans, j’étais plutôt assez brillant parce qu’il me suivait pas mal donc j’avais plutôt d’assez bonnes moyennes on va dire. Et donc quand je l’ai perdu, je suis parti un petit peu plutôt délinquant, et là, je me suis fait renvoyer de plusieurs établissements et quand je suis arrivé ici, pour mémoire, j’avais quitté la 4ème, et je suis parti faire des préapprentissages et des apprentissages, voilà. Pâtisserie et après tapisserie-décoration, que j’ai pas eu puisque, c’était pas que de mon fait, y a des entreprises qui ont fermé et du coup en soi ça a été difficile de retrouver des structures donc du coup, j’ai pas été jusqu’au bout des CAP et je suis parti ensuite dans l’hôtellerie, à l’âge de dix-huit ans. Voilà, 4ème et ensuite des CAP mais sans aller jusqu’au bout des CAP et après je suis parti dans l’hôtellerie, en autodidacte, avec une petite formation à l’IPC là qu’ils avaient fait sur six mois et après

j’ai rebondi là-dedans jusqu’à l’âge de 22 même un peu plus, jusqu’à 24 ans et à 24 ans, j’ai fait une rupture des ligaments croisés qui m’a mis en arrêt pendant dix mois.

Chercheur : D’accord.

J26 : Et j’en ai profité pour aller m’inscrire à la fac au diplôme d’accès aux études universitaires. […]

Chercheur : Qu’est-ce qui vous a motivé à aller vous inscrire à la Fac ?

J26 : Parce que j’avais conscience que c’était un minimum pour par la suite accéder à autre chose ! Voilà, l’hôtellerie, je savais que j’étais bouché ! Soit, pour reprendre une affaire, soit après, évolution des postes au mieux, soit au mieux, directeur d’établissement et encore s’il y a un directeur, c’est souvent des grosses structures et ils demandent plein de bagages, soit voilà j’étais muté pour être chez de salle ou pour acheter une affaire. Et j’étais conscient que si à un moment donné par la suite, je voulais faire une réorientation professionnelle, le bac était je dirais, un strict minimum ! ». (Christophe, trente-neuf ans, confié de treize à dix-sept ans à un foyer et deux familles d’accueil).

A la lecture de ces deux témoignages, nous pouvons dire que le choix de passer le DAEU représente pour ces deux personnes le diplôme de la deuxième chance qui leur a permis de reprendre des études et de pouvoir se projeter vers un avenir professionnel plus en adéquation avec leurs envies et besoins. Selon Nuttin (1987), chaque individu est, à un moment de sa vie, tenter de progresser vers des buts personnels plus ambitieux. Ce besoin, inhérent au fonctionnement humain, pousse les individus à s’engager dans une formation, ou à reprendre des études, à un moment où le besoin de réalisation se fait sentir (Maslow, 1943, cité par Tisseron, 2007, p.43). Bourgeois et Nizet (2005) pense que l’engagement en formation s’impose aux individus à un moment critique de leur parcours de vie, c’est-à-dire à un moment où ils font le bilan entre ce qu’ils ont réalisé et ce qu’ils pourraient obtenir en s’engageant dans une formation. Pour cela, le sentiment d’auto-efficacité (Bandura, 2004) est essentiel car sans lui, les personnes ne se risqueront pas à s’investir. Laetitia et Christophe soulignent d’ailleurs cela en précisant que leur entourage était convaincu de leurs capacités laissant supposer que ce regard d’autrui a pu influencer leur sentiment d’auto-efficacité.

J24 : « Vincent il a toujours eu confiance en moi ! Il avait plus lui confiance en moi que moi en moi ». (Laetitia, vingt-neuf ans, confiée de douze à dix-huit ans à la même famille d’accueil).

J26 : « L’entourage qui me disait qu’il me voyait d’autres capacités ». (Christophe, trente-neuf ans, confié de treize à dix-sept ans à un foyer et deux familles d’accueil).

Enfin, Zaouani-Denoux (2014), qui a travaillé sur la motivation des adultes non bacheliers qui s’engagent à l’université dans le but d’obtenir un Diplôme d’Accès aux Etudes Universitaires, soulignent que ces individus « se forment pour conquérir une position conforme à leur milieu social » (p.427) ce qui semble également avoir été le cas des deux personnes que nous avons

milieu social, semble s’être senti en décalage avec ses proches ce qui a pu représenter une source de motivation à la reprise d’études.

J26 : « J’avais un cadre où j’avais des gens qui vivaient convenablement, et donc mon père, j’ai vécu avec lui jusqu’à l’âge de treize ans, plus que convenablement, il avait des gros moyens, et ça j’ai eu toujours la réalité de la nécessité de devoir gagner convenablement ma vie si je voulais vivre confortablement. Donc je pense que si à un moment donné, j’en ai fait abstraction parce que j’étais loin de toutes ces préoccupations, dès que, dès que, encore une fois, y a un autre cadre qui s’est installé, oui j’avais conscience que… d’ailleurs l’hôtellerie, je savais que je plafonnerai quoi ! Non seulement je plafonnerai mais en plus, je ferai des heures de dingues ! Alors c’est sympa quand on a, moi je regrette rien hein, de dix-huit à vingt cinq ans, c’est génial ! J’ai bougé, on fait des soirées, on fréquente du monde, c’est pas… Y a pire quoi ! Je me disais, c’est pas une finalité quoi ! C’est sympa de 18 à 25 ans mais aujourd’hui, je vois, j’ai toujours des copains qui sont dans l’hôtellerie et on a le même âge, pfft, je me dis, je leur laisse quoi ! Moi je veux pas finir le samedi soir à 2h du matin, travailler les week- ends, déjà, j’avais conscience oui ! Ça, j’avais cette conscience là ! Surtout du fait de mon entourage et de mon passé, que voilà, il valait mieux que j’arrive à obtenir un meilleur poste à un moment donné si je voulais avoir une vie, enfin entre guillemets hein, une vie plus agréable, plus confortable quoi ! […] Quand on a un entourage qui a la belle maison, la belle voiture, qui part en vacances, on se dit que ça doit être plus sympa à vivre après dans le temps que de galérer ! ». (Christophe, trente-neuf ans, confié de treize à dix-sept ans à un foyer et deux familles d’accueil).

De son côté, Laetitia souligne combien le mode de vie de sa famille d’accueil lui plaisait et elle pense avoir été influencée par celui-ci pour expliquer son envie de reprendre des études.

J24 : « Je les ai pas vus galérer, je les ai pas vus galérer et puis ils ont pu, ils avaient leur maison et ils ont pu construire une piscine. Enfin, on voyait les choses évoluer quoi ! Voilà, tout s’est pas fait en un jour mais au fur et à mesure on voyait les choses évoluer. Enfin, ils ont changé de voiture, on n’a pas mangé plus de pâtes ou autre chose vraiment plus à ce moment-là ! Voilà, non on a continué à vivre normalement ! Et ça, ça c’était bien ! ça me plaisait bien le côté de on peut continuer à vivre quoi ! Vivre sans se prendre la tête à dire : « qu’est-ce qui va se passer ? ». Et ça je pense que ça, ça a été hyper bénéfique parce que sinon ben, je me serai peut-être contentée d’avoir un métier ingrat qui m’aurait pas plu ! J’aurais peut-être râler à longueur de journée parce que je râle hyper facilement (rires) mais j’aurais continué quoi ! Tandis que là j’ai un super métier, je m’éclate toujours, je me lève, je suis hyper contente de me lever, ça c’est génial quoi ! ». (Laetitia, vingt-neuf ans, confiée de douze à dix-huit ans à la même famille d’accueil).

Il semble que les raisons ayant influencé Christophe et Laetitia à s’engager dans une reprise d’études en vue d’obtenir un diplôme équivalent au baccalauréat, soient multiples mais cependant guidées par la même envie d’évoluer professionnellement et socialement.

Ainsi, si toutes les personnes rencontrées dans ce travail de recherche ont donc réussi, de façon classique ou détournée, à obtenir un niveau équivalent au baccalauréat, nous avons découvert que l’obtention de ce diplôme ne représente pas forcément une fin en soi puisque certaines personnes ont souhaité poursuivre à l’issue de cette première réussite scolaire.

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