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Une prohibition contestée en matière de franchise

par le Droit De la concurrence

2. Une prohibition contestée en matière de franchise

149. Bien qu’elle soit parfaitement ancrée dans le droit positif, la prohibition des prix imposés subit aujourd’hui de nombreuses critiques. Appliquée à un réseau de franchise, la règle crée parfois des situations paradoxales et s’avère fort délicate à manier (a), tandis que son efficience est de plus en plus contestée (b).

355 V. par exemple Cons. conc., 22 juin 2005, Pratiques mises en œuvre par la société Royal Canin et son réseau de distribution, n° 05-D-32.

356 Ibid.

357 Cons. conc., 24 janvier 2007, Jeff de Bruges, n° 07-D-04, Contrats conc. consom., 2007, comm. 70, note Malaurie-Vignal. Ces deux derniers critères ne présentent cependant pas de grande spécificité au regard de ceux développés sur le fondement de l’article L. 442-5 du Code de commerce (V. supra, n° 141 et s.).

358 V. en ce sens T. Granier, « Prix imposés, prix conseillés : le contrat de franchisage à l’épreuve du droit de la concurrence », RTD com., 1991, p. 358.

a. Une prohibition délicate à mettre en œuvre

150. Franchises de production et franchises de distribution. Il convient sans doute de distinguer, eu égard à la question des prix imposés, deux types de réseaux de franchise, selon que les produits distribués sont ou non contrôlés par la tête de réseaux. Comme le fait remarquer Thierry Granier, certains réseaux organisent « le transfert de méthodes commerciales de distribution de produits qui ne sont pas fournis par le franchiseur »359, l’exemple le plus courant étant les enseignes de grande distribu-tion. On parle alors couramment de franchises de distribution360. À l’inverse, d’autres réseaux organisent la commercialisation des produits fabriqués, ou en tout cas contrô-lés par le franchiseur. L’empreinte du franchiseur est alors souvent très forte, celui-ci souhaitant contrôler le mode de commercialisation de ses produits, en évitant qu’ils soient distribués dans des conditions peu adéquates. D’un point de vue économique ce type de réseau se rapproche davantage de la concession, voire de la distribution par succursales : ce sont les franchises dites de production361. Cette catégorie peut encore concerner l’ensemble des franchises de services, qui « distribuent » un service unique, conçu et pensé par le franchiseur.

151. Justification difficile de la prohibition des prix imposés pour les franchises de production. Si, pour la première catégorie, le respect de la prohibition des prix imposés semble relativement aisé, il en va différemment dans la seconde hypothèse.

Le prix participe alors souvent du concept, auquel il est plus ou moins lié : ainsi, une enseigne distribuant des produits « discount » est-elle fondée à demander à ses franchi-sés de pratiquer de tels prix362. Se pose encore la question de la fourniture des logiciels de gestion fournis par le franchiseur qui, pour être tranchée en jurisprudence363, n’en révèle pas moins le lien intime entre politique tarifaire et savoir-faire transmis. Pro-fesser que la première doit être totalement indépendante tout en même temps que le second doit être partagé et transmis relève d’un certain dogmatisme. On peut objecter que la licéité des prix conseillés constitue un juste équilibre entre ces deux impératifs contradictoires, mais l’on ne pourra empêcher que plus le savoir-faire transmis par le franchiseur sera abouti et développé, plus le conseil s’avèrera performatif364.

152. Justification difficile de la prohibition des prix imposés pour les franchises de service. De la même manière, lorsque le prix des produits ou prestations dépend très largement d’investissements réalisés en amont par le franchiseur (ou à tout le

359 Ibid.

360 Sur cette notion, v. supra, n° 19.

361 Sur cette notion, v. également nos propos introductifs, n° 19.

362 C.A. Lyon, 12 juillet 2005, SA Sobadis c/ SA Lyonnaise de développement commercial, JurisData n° 2005-292526.

363 Certains franchiseurs avaient en effet imaginé préprogrammer les logiciels de gestion et caisses enregistreuses avec « leurs » prix, lesquels s’imposaient de facto aux franchisés (ibid.).

364 L’exemple le plus symbolique est sans doute le plus emblématique des réseaux de franchise constitué par une grande firme américaine de restauration rapide : on imagine mal constater au sein des établissements du groupe des écarts de prix autres que symboliques, sauf à vider de toute substance le concept développé par le franchiseur.

moins sur ses recommandations), il sera difficile de ne pas admettre que ce dernier a une influence, au moins indirecte, sur les prix pratiqués par les franchisés. Il en va notamment ainsi, en matière de franchise hôtelière365, et plus largement dans toutes les franchises de services à la personne où les investissements mobiliers ou immobiliers ont une grande importance. De même, des différences significatives de prix peuvent nuire à la collaboration interne au réseau, lorsque par exemple la clientèle est susceptible de fréquenter les établissements de différents franchisés par le biais de systèmes d’abonne-ments, lesquels impliquent une relative homogénéité tarifaire366. Il en va de même de toute opération promotionnelle ou de remise décidée conjointement par l’ensemble des franchisés, bien souvent sur les recommandations du franchiseur. Si les prix conseillés permettent peut-être d’atteindre cet équilibre entre concurrence interne et homogénéité du réseau, c’est probablement au prix d’un effet relativement modeste367. Plus fondamentalement encore, il est permis de s’interroger quant à la pertinence d’un système de concurrence par les prix, là où la franchise place au cœur le service. Il n’est pas impossible d’imaginer qu’en supprimant la concurrence intramarque sur les prix, celle-ci se reporte notamment sur la qualité du service, ce qui correspond davantage à l’esprit du contrat de franchise.

b. Une prohibition aux effets limités

153. Intérêt limité en présence d’exclusivités territoriales consenties aux fran-chisés. La finalité de la prohibition des prix imposés, tant en tant qu’entente qu’en tant que pratique restrictive de concurrence, est, in fine, de favoriser les intérêts du consommateur en espérant qu’elle puisse avoir un effet bénéfique sur les prix368. Si ce paradigme fonctionne nécessairement entre concurrents, il est sans doute plus difficile à transposer directement entre membres d’un même réseau qui, pour être concurrents, n’en sont pas moins des partenaires liés par un intérêt commun. Aussi, peut-on s’inter-roger sur l’impact réel d’une prohibition des prix imposés lorsque les franchisés béné-ficient d’une exclusivité territoriale pour la distribution de leurs produits. Cette clause qui, en elle-même, n’est pas illicite369, suffit à ôter tout réel impact à la prohibition des prix imposés pour la plupart des consommateurs. En effet, les différences de prix, sou-vent modestes, entre les différents franchisés ne justifieront pas que ceux-ci fréquentent un établissement qui ne correspond pas à la zone de chalandise dont ils dépendent.

Pour le dire autrement, il y a de fortes chances que la barrière géographique instaurée

365 Thierry Granier expose qu’il y existe une règle de gestion dite « du millième », selon laquelle le prix de vente d’une nuitée serait le millième de son coût de revient initial (T. Granier, « Prix imposés, prix conseillés : le contrat de franchisage à l’épreuve du droit de la concurrence », RTD com., 1991, p. 358).

366 On pense notamment à certaines salles de sport qui permettent à leurs abonnés de bénéficier d’un accès à la totalité du réseau moyennant le paiement d’une redevance unique au sein d’un établissement franchisé.

367 J.-J. Burst et R. Kovar, « La mariée est en blanc », Gaz. Pal., 1986, doctr., p. 398.

368 V. supra, n° 125.

369 V. supra, nos propos introductifs sur le caractère licite mais non-essentiel de cette stipulation, n° 12 et s.

par la clause d’exclusivité ne soit plus forte que l’incitation relativement modeste que constitue une différence tarifaire de seulement quelques pour cent.

154. Frein à la publicité comparative entre réseaux. De même, il n’est pas impossible de penser qu’une certaine unité tarifaire au sein d’un même réseau, si elle amoindrit nécessairement la concurrence intramarque, est susceptible de renforcer la concurrence intermarques, par une plus grande lisibilité pour le consommateur. Les comparatifs des tarifs proposés par les différentes enseignes pour des prestations iden-tiques n’en seraient que plus aisés. De même, on pourrait imaginer que les têtes de réseau puissent faire un usage plus systématique de la publicité comparative qui, bien que licite, apparaît difficile à mettre en œuvre à l’échelle d’un réseau de franchise si chaque établissement appartenant au réseau concurrent pratique un tarif différencié.

155. Influence de l’arrêt « Leegin Creative Leather Products ». Ces critiques avan-cées à l’encontre de la prohibition des prix imposés ont, semble-t-il, trouvé un écho favorable dans les dernières lignes directrices publiées par les instances européennes370. Il est en effet désormais possible pour les entreprises de tenter de renverser la double présomption découlant de la présence d’une restriction caractérisée en démontrant la possibilité de gains d’efficience au sens de l’article 101, paragraphe 3 du traité371. La position européenne s’aligne ainsi sur le droit américain, la Cour suprême ayant rejeté toute idée de prohibition per se des prix imposés dans un arrêt du 28 juin 2007, Leegin Creative Leather Products, Inc. v. PSKS, Inc372. Les lignes directrices apportent divers exemples, notamment s’agissant du lancement d’un nouveau produit ou dans le cadre de la fourniture de service de prévente additionnels. Sont en outre explicitement visés par cette possibilité de rachat au titre du droit des ententes les prix imposés qui seraient

« nécessaires pour organiser, dans le cadre d’un système de franchise ou d’un système de dis-tribution similaire appliquant un format de disdis-tribution uniforme, une campagne de prix bas coordonnée de courte durée »373.

156. Assouplissement limité en droit européen. Comme l’ont remarqué les pre-miers commentateurs de ces lignes directrices, il convient sans doute d’aborder cet assouplissement avec une grande prudence374 dans la mesure où les hypothèses visées

370 Communication relative aux lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE n° C 130, 19 mai 2010, p. 1.

371 Ibid., n° 223.

372 La Cour suprême effectue ainsi un revirement de jurisprudence par rapport à son ancienne doctrine, fixée par l’arrêt Dr. Miles Medical Co. v. John D. Parke & Sons Co., de 1911. Il est à noter que la Suisse est historiquement l’une des premières législations occidentales a avoir reconnu le caractère licite des prix de revente imposés : v. J. Ibarrola, Les prix de revente : étude de droit comparé des Etats-Unis, du Canada et de la communauté européenne, Mc Gill University (Canada), 1994.

Sur cette décision, v. également V. Sélinsky et C. Montet, « États-Unis : Revirement de jurisprudence sur les prix minima de revente imposés », Rev. Lamy conc., 2007, no 13, p. 14 et s.

373 Communication relative aux lignes directrices sur les restrictions verticales, JOUE n° C 130, 19 mai 2010, p. 1, n° 225

374 G. Toussaint-David, « Les nouvelles règles de concurrence communautaires applicables aux réseaux de distribution », Cah. dr. entr., 2010, no 4, p. 28.

ont sans doute vocation à demeurer relativement exceptionnelles. Suivant l’exemple américain, il est possible de penser que les instances européennes procéderont à un examen selon la fameuse règle de raison. Appliquant sa nouvelle position, la Cour suprême des États-Unis est notamment venue préciser qu’il convient pour apprécier la licéité de la pratique de prendre en compte le nombre de firmes présentes sur le marché et leur pouvoir de marché afin de prévenir de potentiels cartels375. Du point de vue français, on peut toutefois s’interroger sur l’efficacité d’un tel assouplissement en droit européen des ententes lorsque le droit interne incrimine pénalement, tant au titre des pratiques restrictives de concurrence que du droit social, toute forme de prix imposés, sans pratiquer de telles distinctions376.

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157. Au terme de cette analyse, il est possible d’affirmer que la prohibition des prix imposés au sein d’un réseau de franchise demeure perçue comme un rempart efficace et fondamental au déséquilibre contractuel et à la perte d’indépendance du franchisé.

De telles pratiques sont lourdement sanctionnées par une multitude de textes et de procédés juridiques (nullité partielle ou totale, requalification, voire résolution), dont la finalité est toutefois identique. Il ne semble cependant pas acquis, en matière de réseaux de franchise, qu’une telle prohibition permette réellement d’atteindre l’objectif qui lui est fixé et consistant en la restauration d’une certaine concurrence intramarque.

Le droit de l’Union européenne, sous l’influence outre-Atlantique, paraît avoir amorcé un processus d’assouplissement à cet égard, dont on peut espérer qu’il sera suivi par le droit interne. La prohibition ne nous paraît ainsi pas avoir grand sens dans le cadre de réseaux monomarques dont le but n’est finalement autre que de distribuer les produits du franchiseur dans des conditions par lui fixées.

ii. l

a prohibitionDes restrictions relatives àla vente

158. Traditionnellement, les restrictions de concurrences relatives aux modalités de vente des franchisés étaient strictement géographiques. Procédant à un découpage

375 De nombreux économistes plaident, outre-Atlantique, pour une approche beaucoup plus compréhensive de la pratique des prix imposés et regrettent notamment que les tribunaux ne procèdent pas systématiquement à une analyse selon la règle de raison. V. en ce sens, B. Orbach,

« Antitrust Vertical Myopia : The Allure of High Prices », Arizona L. Rev., no 50, p. 261 ou A.

Meese, « Price Theory and Vertical Restraints : A Misunderstood Relation », UCLA L. Rev., no 45, p. 143. Barak Orbach propose notamment de distinguer les marchés de produits « non-marqués », des marchés de produits « marqué » ce qui, transposé en matière de franchise, nous semble recouper la distinction que nous proposions supra, n° 150.

376 V. supra, n° 125 et s.

étanche du marché, le franchiseur pouvait être tenté de prohiber à ses affiliés de revendre hors du territoire qui leur était contractuellement alloué, créant alors un monopôle de fait (A). L’apparition d’internet a largement modifié la problématique et les principales interrogations ne concernent plus aujourd’hui l’accès géographique aux marchés, mais bien à un marché dématérialisé (B).

A. L’interdiction de vente hors du territoire,

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