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L’obligation de non-concurrence d’origine légale

195. On définit traditionnellement l’obligation de non-concurrence de plein droit ou d’origine légale comme celle qui découle naturellement du contrat, sans qu’elle ait besoin d’être stipulée par les parties442. Si l’existence d’une telle obligation de plein droit à la charge des parties au contrat de franchise est plus qu’incertaine (1), sa recon-naissance semble pourtant s’imposer (2).

1. L’existence incertaine d’une obligation de non-concurrence de plein droit pendant l’exécution du contrat

196. Il n’existe naturellement aucune disposition légale mettant explicitement à la charge des parties au contrat de franchise une obligation de non-concurrence pendant l’exécution du contrat. La jurisprudence, à laquelle il revient traditionnellement le rôle de « découvrir » de telles obligations est en l’espèce particulièrement taiseuse (a), tandis que la doctrine demeure extrêmement prudente et divisée (b).

a. Une jurisprudence muette

197. Il n’existe, à notre connaissance, aucune décision qui se serait prononcée explicitement sur la question de l’existence ou de l’inexistence d’une obligation de non-concurrence de plein droit pendant l’exécution du contrat de franchise. Deux explications peuvent être tentées pour expliquer ce silence, de prime abord surpre-nant. Il est tout d’abord certain que l’immense majorité des franchiseurs prennent le soin d’insérer dans leurs contrats une clause de non-concurrence. De la sorte, le débat contentieux est orienté, non pas sur le terrain de l’obligation de plein droit, mais bien de l’obligation contractuelle. Ce n’est qu’en l’absence d’une telle stipulation, ou en cas de nullité de cette dernière, que pourrait ressurgir le débat sur l’existence d’une

441 Règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, art. 5§2.

442 Des auteurs indiquent que « Si l’obligation de non-concurrence apparaît comme étant impérativement nécessaire à l’économie d’une convention parce que, en son absence, la concurrence exercée par l’un des contractants, pendant ou après le contrat, serait anormale, engendrant une rupture de l’égalité dans les moyens de la concurrence et pourrait ainsi ruiner l’équilibre contractuel, elle est alors imposée aux contractants comme étant fictivement contenue dans la réglementation légale du contrat » ; ajoutant que

« l’obligation de non-concurrence est classiquement analysée comme une obligation contractuelle d’origine légale, résultant implicitement de la réglementation légale du contrat considéré ». Y. Picod, Y. Auguet et M. Gomy, « Concurrence (Obligation de non-) », in Rép. com. Dalloz, 2009, n° 28.

éventuelle obligation de non-concurrence de plein droit. Les hypothèses sont donc, de fait, beaucoup plus restreintes.

198. Intérêt pratique relatif. Cette première constatation ne peut cependant suffire, à elle seule, à expliquer l’absence de contentieux sur la question de l’obligation de non-concurrence de plein droit pendant l’exécution du contrat. En effet, les remarques qui viennent d’être faites valent aussi bien sur le terrain contractuel que post-contractuel.

Or, il existe, dans ce dernier domaine, et à l’inverse du premier, un corpus jurispru-dentiel important443. C’est sans doute qu’il faut ajouter à cette première constatation juridique, un aspect plus économique et pragmatique. Il est probable en effet que peu de franchisés prennent l’initiative de franchir le pas et d’ouvrir un commerce concur-rent pendant l’exécution du contrat. Une telle attitude reviendrait nécessairement à se mettre à l’écart de l’ensemble du réseau, c’est-à-dire du franchiseur lui-même, mais aussi des autres co-franchisés. Le franchisé franc-tireur prendrait ainsi immédiatement une grande partie du bénéfice qu’il peut tirer de son insertion dans un réseau de distri-bution. À l’inverse, on peut supposer que les avantages tirés de l’ouverture d’un point de vente sous une enseigne concurrente seraient relativement minces. Les investisse-ments à réaliser en terme de capital financier et humain seraient sans doute plus impor-tants que ceux nécessaires à consentir pour ouvrir un point de vente similaire auprès du réseau que le franchisé connaît déjà. On peut enfin s’interroger sur l’intérêt qu’aurait un réseau à accueillir en son sein celui qui continuerait d’être membre à part entière d’un réseau concurrent. Si ce dernier pourrait éventuellement espérer capter ainsi une partie du savoir-faire de la concurrence, sans doute craindra-t-il dans le même élan que le sien subisse, en sens inverse, le même sort. Ces quelques constatations doivent probablement conduire à relativiser l’incidence pratique de la question de l’obligation de non-concurrence de plein droit pendant l’exécution du contrat de franchise.

b. Une doctrine divisée et réservée

199. Cas par cas. Contrairement à la jurisprudence, la doctrine s’est intéressée dans les années 1990 à la question de l’obligation de non-concurrence de plein droit. Après avoir constaté le silence prétorien, la plupart des auteurs adoptent une position réser-vée et nuancée. Ainsi, le Doyen Yves Picod propose-t-il de procéder par distinctions successives444. Pour cet auteur, une obligation de non-concurrence de plein droit s’avé-rera systématiquement justifiée en présence d’une exclusivité territoriale bénéficiant au franchisé, la situation étant alors très proche de celle rencontrée en matière de concession commerciale. En l’absence d’une telle clause, il faudra alors vérifier cas par cas que le savoir-faire transmis est de nature à justifier l’atteinte à la libre concurrence que constituerait la reconnaissance d’une obligation de non-concurrence de plein droit. Aussi, le Doyen Yves Picod formule-t-il une position nuancée qu’il résume en ces termes : « il ne paraît pas possible d’apporter une réponse uniforme à cette question,

443 V. infra, n° 278.

444 Y. Picod, « L’obligation de non-concurrence de plein droit dans les contrats n’emportant pas transfert de clientèle », JCP E, 1994, I, 349

même si dans la grande majorité des cas, l’obligation de plein droit sera justifiée »445. La jurisprudence, sans consacrer explicitement cette théorie, semble parfois s’en inspirer, comme en témoigne une décision récente de la Cour d’appel de Paris446.

200. Le Professeur Marie Malaurie-Vignal, rappelle également que le problème est une question d’espèce447. Sans reprendre la distinction quant à l’existence d’une exclu-sivité territoriale, l’auteur estime que « tous les savoir-faire ne méritent pas la même protection »448 pour conclure que « ce n’est que si le savoir-faire présente une spécificité que le franchisé est tenu, directement ou indirectement, de ne pas exploiter une activité concur-rente de celle de son franchiseur »449. De la même façon, le Professeur Didier Ferrier semble renvoyer la question de l’obligation de non-concurrence pendant l’exécution du contrat à la liberté contractuelle des parties, estimant que « le franchisé peut être ainsi tenu […] de ne pas exercer une activité similaire dans un territoire où il concurrencerait le franchiseur ou un autre franchisé »450. L’auteur rappelle que les lignes directrices voient là une mesure nécessaire à la protection des droits de propriété intellectuelle du franchiseur451. Dans la même veine, Yves Serra estimait qu’« en considération de l’extrême variété des contrats de franchisage, il ne paraît pas possible ni opportun d’admettre le principe de l’existence d’une obligation de non-concurrence de plein droit à la charge des cocontractants »452.

201. Positions favorables à une obligation de non-concurrence de plein droit. À l’inverse, le plus favorable à la découverte d’une telle obligation semble aujourd’hui être le Professeur Philippe Le Tourneau. Après avoir soutenu une position proche de celle défendue par le Doyen Yves Picod, il voit désormais dans l’obligation de non-concurrence de plein droit un prolongement naturel de l’« animus cooperandi » et de l’intérêt commun453 qui président nécessairement à l’exécution du contrat de franchise. L’auteur estime ainsi que

« le franchisé ne peut pas représenter une marque concurrente, sauf accord du franchi-seur »454, ajoutant qu’« à défaut même d’une disposition expresse, une telle obligation […]

semble peser implicitement sur le franchisé de par la nature du contrat »455. Cette position

445 Ibid.

446 La Cour énonce que si « le Tribunal a exactement relevé qu’il n’était pas interdit [à la société franchisée], par l’effet du contrat de franchise, d’ouvrir une nouvelle agence immobilière dans le périmètre du secteur concerné, il n’en reste pas moins que compte tenu de l’exclusivité contractuellement stipulée dans ce même contrat relativement à l’implantation de [l’enseigne] sur ce territoire, la société [franchisée] n’était pas en droit de déployer une activité secondaire concurrente de la première, au détriment de l’agence [franchisée] » (C.A. Paris, 6 juin 2008, n° 07/03323 : Inédit).

447 M. Malaurie-Vignal, « Clause de non-concurrence - Validité », Fascicule n° 110, in J.-Cl. Concurrence - Consommation, 2004, n° 24.

448 Ibid.

449 Ibid.

450 D. Ferrier, Droit de la distribution, 6 éd., Litec, 2012, n° 702.

451 Ibid.

452 Y. Serra, « Concurrence (Obligation de non-) », in Rép. com. Dalloz, 2003, n° 77.

453 Sur ces notions, v. notamment P. Le Tourneau, Les contrats de franchisage, 2e éd., Litec, 2007, n° 207 et s.

454 Ibid., n° 232.

455 Ibid.

semble également être celle adoptée par d’autres spécialistes de la franchise, à l’instar du Bâtonnier Jean-Marie Leloup456 ou de Maître François-Luc Simon457, quoique ces derniers raisonnent davantage en termes de secret du savoir-faire que de véritable obligation de non-concurrence. Garder le savoir-faire secret revient cependant, a fortiori, à ne pas l’utiliser au profit d’un concurrent. Il nous semble en effet que toute position contraire revient à vider de sa substance l’économie du contrat de franchise dans son ensemble.

2. La nécessité impérieuse d’une obligation de non-concurrence de plein droit pendant l’exécution du contrat

202. La reconnaissance d’une obligation de non-concurrence de plein droit est en vérité nécessaire au bon équilibre du contrat de franchise, voire du marché (b). D’un point de vue juridique, elle pourrait trouver un appui dans un raisonnement par ana-logie avec le contrat de concession (a).

a. La reconnaissance explicite en matière de concession

203. Le contrat de concession et le contrat de franchise ont, à notre sens, pour point commun de fournir au concessionnaire comme au franchisé un potentiel de clientèle458. Par l’attrait de la marque pour le premier, par le savoir-faire transmis pour le second, ces distributeurs voient leur position concurrentielle largement améliorée grâce à la tête de réseau. C’est bien cet avantage procuré par le contrat que doit venir protéger une éventuelle obligation de non-concurrence de plein droit.

204. Collaboration étroite entre les parties. En matière de concession, l’existence d’une telle obligation est unanimement reconnue, tant par la jurisprudence459 que par la doctrine. Le Doyen Yves Picod écrit ainsi que « l’imbrication des intérêts impose une loyauté réciproque et une très étroite collaboration entre les parties »460 ajoutant que

« tout cela conduit à reconnaître l’existence d’une obligation réciproque de non-concur-rence »461. Cette assertion nous semble pouvoir parfaitement être transposée au contrat de franchise. Certes, le franchisé ne bénéficie pas systématiquement d’une exclusivité territoriale. Toutefois, il ne semble pas que l’intensité des devoirs de loyauté et de col-laboration soit réellement fonction de l’existence ou non d’une obligation d’exclusivité territoriale. Celle-ci a bien souvent d’autres contreparties comme, par exemple, l’exclu-sivité d’approvisionnement du distributeur. Au reste, il peut arriver que, au sein d’un même réseau de franchise, des distributeurs bénéficiant d’une exclusivité territoriale,

456 J.-M. Leloup, La franchise, droit et pratique, 4e éd., Delmas, 2004, n° 1224.

457 F.-L. Simon, Théorie et pratique du droit de la franchise, Lextenso, 2009, n° 308.

458 Que nous proposons de baptiser « achalandage ». Sur cette question, v. n° 239 et s.

Sur la distinction entre contrat de franchise et contrat de concession, v. n° 16 et s.

459 Cass. Com., 20 juillet 1965 : Bull. civ., III, n° 466 ; C.A. Paris, 17 janvier 1989, D., 1989, somm.

p. 52, obs. D. Ferrier ; Cass. Com., 7 juin 1994, n° 92-19.048 : Inédit, RJDA, 1994, n° 1133.

460 Y. Picod, « L’obligation de non-concurrence de plein droit dans les contrats n’emportant pas transfert de clientèle », JCP E, 1994, I, 349.

461 Ibid.

et d’autres n’en bénéficiant pas462. Il serait quelque peu artificiel de considérer que les premiers soient tenus d’une obligation de non-concurrence, tandis que les seconds ne le seraient pas alors qu’ils appartiennent tous au même réseau et bénéficient d’un savoir-faire identique.

205. L’argument par analogie aurait cependant pu se retourner contre les promo-teurs de l’obligation de non-concurrence de plein droit. Le multimarquisme était en effet à l’honneur, y compris parmi les concessionnaires, dans le domaine particulier de la distribution automobile. Le règlement 1400/2002 consacrait en effet la possibilité pour un concessionnaire automobile de distribuer plusieurs marques. Seuls des espaces distincts de vente peuvent être imposés par la tête de réseau. L’obligation de non-concurrence de plein droit est donc largement remise en cause, y compris en matière de concession, dans le domaine spécifique de la concession automobile. Le règlement d’exemption de 2002 a toutefois fait long feu et la distribution automobile a rejoint le droit commun à compter du 1er juin 2013463.

b. L’impossible mépris de l’équilibre du contrat et du marché

206. Au-delà de l’argument par analogie, lequel ne nous paraît pas déterminant et peut prêter le flanc à la critique, il semble indispensable de reconnaître l’existence d’une obligation de non-concurrence de plein droit à la charge du franchisé afin de maintenir l’équilibre du contrat de franchise au cours de son exécution. Deux séries d’arguments sont susceptibles de soutenir cette position.

207. Obligation de fidélité. Les premiers sont les plus classiquement avancés et touchent les rapports micro-économiques entre les parties. L’obligation de non-concur-rence découle des obligations de loyauté et de coopération qui régissent l’exécution du contrat de franchise. Ce dernier est une forme de mariage entre deux entreprises, lequel ne peut se satisfaire de l’infidélité. La loyauté interdit au franchiseur de concurren-cer son propre réseau par la création d’un réseau parallèle concurrent464. Cette forme d’obligation de non-concurrence qui pèse sur le franchiseur doit avoir pour corollaire l’obligation du franchisé de demeurer fidèle à son enseigne, au moins aussi longtemps que dure le contrat de franchise. Au reste, si le savoir-faire délivré par le franchiseur pouvait s’accommoder de la présence d’un membre d’un réseau concurrent au sein de la franchise, c’est probablement que ce savoir-faire n’aurait rien de substantiel.

208. Préserver la concurrence entre réseaux. De façon plus abstraite, il est possible d’avancer un second type d’argument pour justifier la découverte d’une telle obliga-tion. La franchise est en effet souvent présentée comme un accord de distribution dont

462 Notamment parce que les premiers ont fait le choix de s’installer dans une zone de chalandise plus difficile à conquérir.

463 V. J. Vogel, « Les clauses de non-concurrence pendant la vie du contrat », Jurisprudence automobile, 2012, no 839, p. 15.

464 Certains franchiseurs peu scrupuleux ayant tenté ce type d’aventure se sont vus, fort logiquement, lourdement sanctionnés par la jurisprudence (C.A. Grenoble, 6 octobre 2011, Reliance : Inédit).

les effets anticoncurrentiels sont compensés par un renforcement de la concurrence intermarques et interréseau. Or, accepter que les réseaux puissent s’interpénétrer par la présence croisée de franchisés appartenant à plusieurs d’entre eux reviendrait à prendre le contre-pied de cette affirmation. Comment imaginer que deux réseaux se feront réellement concurrence si l’on retrouve simultanément les mêmes acteurs au sein de ces deux entités ? Dès lors, la reconnaissance d’une obligation de non-concurrence de plein droit semble aussi importante pour assurer l’équilibre du contrat de franchise que pour assurer celui du marché tout entier. Naturellement, en l’état de ces incertitudes persistantes, la prudence commande de recourir à une stipulation conventionnelle explicite, d’autant que celles-ci jouissent d’un traitement plus que favorable.

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